L’infanterie au XVIIIe siècle - LA TACTIQUE

 

CHAPITRE V

LA TACTIQUE AVANT LA RÉVOLUTION

 

Table des matières - Introduction - Chapitre I - Chapitre II - Chapitre III - Chapitre IV
Exclusion des partis extrêmes -L'instruction provisoire du 20 mai 1788 - L'instruction « de M. de Noailles » - L'ordonnance du 1er août 1791 - Les doctrines tactiques du XVIIIe siècle
Planche 1 - Planche 2 - Planche 3 - Planche 4 - Planche 5

I - Exclusion des partis extrêmes

Nous venons d'entendre les avis de Puységur et de Castries, l'un et l'autre partisans déclarés de l'ordre profond pour le combat ; puis celui de Guibert, partisan de l'ordre mince. Ils sont d'accord pour rejeter la colonne de Mesnil-Durand et pour faire en colonnes serrées de divisions ou de brigades les mouvements d'armée sur le champ de bataille. Cette doctrine est celle que l'on trouvait exprimée, dès 1773, dans l'ouvrage de Dulaurens de Beaujeu (Essai de manoeuvre pour l'infanterie française) et dans celui de Sinclaire (Institutions militaires). Elle est aussi résumée dans un mémoire manuscrit du baron de Traverse, Sur les manoeuvres de l'infanterie. La caractéristique de cette doctrine est d'éviter les préférences exclusives de Mesnil-Durand pour l'ordre profond, comme celles de l'ordonnance (1774-1775-1776) pour l'ordre mince. Puységur, Castries, Guibert penchent plus ou moins dans l'un ou l'autre sens ; le baron de Traverse tient la balance plus égale. Il faut, d'après lui, faire route et manoeuvrer en colonne, puis marcher à l'ennemi en bataille, et enfin le charger en colonne de combat. Il en résulte que le passage d'une formation à l'autre doit se faire très vite et simplement, de manière à pouvoir s'exécuter sous le feu de l'ennemi, au dernier moment.

Pour les mouvements d'armée, le baron de Traverse les veut aussi rapides que possible et, en conséquence, il recommande que l'armée soit divisée en plusieurs parties, dans chacune desquelles le mouvement s'exécute très vite et très simplement.

Ces idées, dont on trouve l'origine dans les instructions du maréchal de Broglie en 1760, sont adoptées d'une manière presque unanime. Elles diminuent singulièrement l'importance des alignements et des points de vue de Pirch, et peu à peu l'on en vient à concevoir des doutes sur la nécessité de ces fameux principes, accueillis naguère avec tant d'enthousiasme, qui ont fait le fond des dernières ordonnances.

Chacun déclare, à l'exemple de Guibert, que la régularité dans l'alignement est une chimère. Pourtant, pendant quelques années encore, on se flatte d'y parvenir : le maréchal de camp de Bois-Claireau a proposé d'employer une équerre d'arpenteur ou un graphomètre simple pour élever des perpendiculaires sur l'alignement général et déterminer ainsi très vite, avec toute l'exactitude nécessaire, et sans difficulté réelle, le point de direction de chaque bataillon. Cet officier général paraît être l'auteur d'un manuscrit intitulé : Résumé des questions sur la marche en bataille :

« ... La perfection dans ce genre est imaginaire, surtout à la guerre, et on ne doit la faire consister que dans l'ensemble et la tranquillité de chaque bataillon. Qu'ils soient un peu mieux ou un peu plus mal alignés, ils doivent être censés marcher parfaitement toutes les fois qu'il n'y a point d'à-coup dans la marche et que le soldat ne se pousse ni à droite ni à gauche... L'alignement exact de tous les bataillons les uns sur les autres est une chimère... On aurait tort cependant de conclure, de ce qu'une grande précision est impossible à espérer, qu'on doit rejeter tout moyen dont le but est d'y tendre... La plus grande partie des moyens proposés, pour être surérogatoires, ne sont ni contradictoires, ni même inutiles, si on les sacrifie à la maxime fondamentale de ne jamais allonger ou raccourcir le pas que très insensiblement, et d'appuyer à droite ou à gauche avec encore plus de précaution. Avec ce tempérament, les moyens indiqués concilient la précision qu'on exige toutes les fois que les circonstances le permettent, avec le but essentiel de la marche en bataille.

« ... On ne doit faire marcher une ligne en bataille que sur une direction perpendiculaire à son front. Si cette direction n'est pas prise exactement, elle contribuera sans cesse à faire augmenter les intervalles d'un côté et à les diminuer de l'autre, et opérera même un changement de direction. Il arrivera encore que tous les ballottements qui en résulteront mettront beaucoup de désordre dans la ligne, que les bataillons seront sans cesse obligés de marcher le pas oblique pour rétablir des intervalles altérés, et perdront autant de terrain en avant ; qu'une aile sera obligée de pivoter pour ne pas dépasser la base d'alignement, et l'autre restera considérablement en arrière...

« Un instrument seul peut donner exactement cette perpendiculaire, et ce moyen a de plus l'avantage d'être le plus prompt de tous, puisqu'un homme un peu exercé peut très bien, dans une quinzaine de secondes et avec une équerre d'arpenteur de 3 à 4 pouces de diamètre, déterminer cette perpendiculaire et placer des points de raccord. »

L'idée de M. de Bois-Claireau est accueillie favorablement et appliquée dans un grand nombre de régiments. Cependant, on se lasse vite d'employer des appareils topographiques au cours des manoeuvres, et l'on préfère déclarer que, décidément, il est impossible de régler avec exactitude la marche en bataille d'une longue ligne. On en revient aux procédés préconisés douze ans plus tôt par le capitaine de Laroque : prendre l'alignement sur le centre et non pas, comme le voulait Pirch, sur une aile de la ligne ; ne pas faire marcher chaque bataillon sur le point de direction pris au début, mais s'efforcer de conserver les intervalles du côté du centre, et de marcher à la même hauteur, d'un pas régulier, sans presser ni ralentir brusquement l'allure.

Cette opinion s'était déjà répandue, lorsque, vers 1783, le public français connut les Éléments de la tactique de l'infanterie, du général prussien von Saldern ; on y vit qu'au moment même où nous recevions de Pirch le principe des points de vue, l'infanterie prussienne en avait reconnu les défauts et commençait à s'en écarter.

Un mémoire important sur ce sujet, remis au ministre en 1787 par un officier allemand, précipita sans doute l'abandon des principes de Pirch et la rédaction d'une nouvelle ordonnance.

Résumé des principes de tactique du général de Saldern   (1787)

« Saldern était l'officier prussien qui avait le plus approfondi la tactique élémentaire de l'infanterie, et qui l'avait pratiquée avec le plus de succès. Saldern était pénétré des vrais principes de cette mécanique ; « elle ne peut être bonne, disait-il, si elle « n'est parfaitement simple. » L'infanterie doit être conduite lentement ; tous mouvements vifs et brusques ne lui conviennent point. Les éléments de tactique qu'il a publiés sont écrits d'une manière claire et précise. Les principes sont si bien exposés et si parfaitement démontrés qu'on les saisit à la première lecture et qu'il ne faut aucun effort de mémoire pour les retenir. Si cet auteur avait pu se permettre de retrancher tout ce qu'il y avait d'inutile dans l'ordonnance prussienne, il aurait encore resserré et simplifié son ouvrage de beaucoup.

« Après avoir fait une multitude d'expériences en toute espèce de terrains, avec des corps d'infanterie très considérables, Saldern a trouvé une méthode qui était adaptable à tel nombre de bataillons que ce fût, qui se ployait à tous les terrains, à toutes les circonstances d'alignements, courbes, courbés, serpentés, tels que sont ceux que l’on prend lorsqu'on couronne des hauteurs, que l'on borde des positions, des bois, ou lorsqu'on n'a pas le temps de donner un alignement général à une ligne.

« Lorsqu'on attaque, les canons des bataillons commencent à tirer quand on est à 400 ou 500 toises de l'ennemi ; les drapeaux des bataillons étant alternativement masqués par la fumée qui se répand en tourbillons et en nuages, il fallait que cette fumée ne fût pas un obstacle invincible pour tenir les bataillons à peu près à même hauteur ; il fallait aussi que l'on pût changer un peu de direction en marchant à l'ennemi, sans que la ligne se mît en désordre.

« Une longue suite d'expériences ayant prouvé au général de Saldern que la méthode des perpendiculaires était très fautive, parce que les angles qui différeraient seulement de 4 ou 5 degrés de l'angle droit produiraient des erreurs considérables sur une distance de 2000 ou 3000 pas, il a préféré d'employer le principe des parallèles, de prescrire à tous les bataillons de considérer le directeur qui est au centre ou à l'une des ailes comme infaillible, et de le charger lui-même de la conduite de son bataillon dont il changeait la direction quand il s'apercevait qu'il dérivait, afin de ne pas faire converser la ligne.

« La position du corps, l'instruction individuelle de chaque homme, la mesure et la cadence du pas établies dans tous les régiments sont les bases de cette mécanique (il faut beaucoup de temps et de soin pour les établir) ; il ne faut jamais donner de saccades à un bataillon ; la machine étant en mouvement, il faut y toucher le moins que l'on peut ; il faut raccorder autant qu'il est possible les drapeaux du bataillon que l'on conduit avec ceux des deux bataillons qui sont du côté de celui d'alignement.

« Il faut juger par les surfaces (?) comparées des bataillons si on est à peu près à hauteur de celui de direction, et ne pas être très scrupuleux sur cela ni sur l'alignement individuel du bataillon. Il ne doit cependant pas exister de flottement.

« Il ne faut pas marcher obliquement ni faire changer de direction à un bataillon, que cela ne soit évidemment nécessaire, ce que l'on juge par la comparaison des intervalles de plusieurs bataillons et par leur direction. On y est néanmoins souvent obligé, surtout dans de mauvais terrains, et même dans les terrains les plus unis, quand les chefs de bataillon ne sont pas d'une adresse extrême et qu'ils sont à pied. Les principes géométriques ne pouvant pas être adaptés à une troupe qui marche en ligne, parce que la moindre irrégularité dans le pas occasionnerait des ballottements et des erreurs considérables, il fallait trouver une méthode qui rendît pour ainsi dire les bataillons indépendants ; il fallait surtout éduquer des officiers à qui on pût confier le gouvernail de chaque bataillon. On s'aide en ligne d'une infinité de moyens que la pratique a fait découvrir... Enfin l'on marche en ligne avec dix-huit et vingt bataillons de 900 hommes chacun, et même de 1100 aussi parfaitement qu'un connaisseur puise le désirer. La perfection imaginaire a été bannie de toute grande école en Prusse. Les détails mêmes n'ont rien de brillant ni de léché ; la machine est montée pour jouer en grand, on ne donne rien au coup d'oeil. Je considère cette perfection idéale comme la chimère qui nuira toujours le plus à cette espèce de mécanique en France, parce que les petites expériences d'esplanade conduisent aux minuties. On ne cesse de proposer de nouveaux moyens ; c'est à qui mettra des chevilles et des bâtons dans les roues...

« Ce n'est que depuis la guerre d'Allemagne que l'on s'est occupé en France de la tactique élémentaire ; on n'avait établi aucune base sous M. de Choiseul ; on travaillait sans principes ; chacun avait sa manière ; il n'y avait pas deux régiments qui fussent dressés l'un comme l'autre ; il n'y a sorte de torture que l'on n'ait employée pour dresser les recrues ; il n'y avait aucune évolution qui ne fût vicieuse et puérile. Si l'on avait gagné du côté de la tenue, qui était portée à un excès ridicule, ruineux et désolant pour le soldat ; si on avait à certains égards bien monté la discipline, il faut avouer que l'instruction était au berceau, et qu'on n'était, comme le dit le roi de Prusse, rhétoricien qu'à coups de bâton.

« Le baron de Pirch avait apporté quelques moyens qui nous étaient inconnus. On a fait, deux ordonnances qui avaient besoin d'être corrigées ; celle que nous avons, qui a été imprimée en 1776, n'a point de rapport avec ce que les Prussiens exécutent aujourd'hui. Enfin le système de M. de Bois-Claireau a paru, et a été fort vanté. Si celui que je propose lui est préférable, c'est que j'ai recueilli ce qui se pratique depuis trente-cinq ans en Prusse ; c'est le fruit de leur expérience que je me suis approprié ; c'est le livre du général de Saldern que j'ai expliqué et détaillé...

« La chose essentielle, en marchant en ligne, n'est pas d'avoir tous les bataillons à même hauteur, mais c'est de conserver les intervalles, afin d'avoir un espace libre pour les canons de bataillon, de pouvoir mettre tout son monde en action, et de n'être pour ainsi dire jamais dans le cas de rompre des files. Il faut surtout ne pas laisser écharper la ligne en marchant à l'ennemi.

« En conduisant tous les drapeaux comme je l'ai vu faire à Saint-Omer, les intervalles se perdent sans qu'on ait le temps d'y remédier ni de les reprendre. Les bataillons sont mis en désordre par les arrêts, les hoquets, les saccades, les courses que l'on fait faire à leurs drapeaux...

« En Prusse, c'est toujours un officier à cheval qui, partant du premier point de vue du bataillon, et se dirigeant au pas sur le second, rectifie l'alignement du bataillon, qu'ils se dispensent toujours de rendre très parfait, parce qu'ils considèrent une perfection d'alignement individuel par bataillon dans l'ensemble d'une ligne comme une pédanterie... Les bataillons étant toujours encadrés entre deux hommes à cheval, on ne peut jamais commettre sur cela que des fautes très légères, que l'on peut réparer dans, un instant. »

Cet abrégé est assez précis pour que nous ne fassions pas d'autre emprunt au volumineux mémoire présenté en même temps par son auteur. Son influence est d'ailleurs démontrée par ce fait que l'on en retrouvera les principales dispositions, et des phrases même, reproduites dans l'instruction provisoire de 1788.

On y verra reparaître aussi les colonnes à la Guibert et les colonnes d'attaque.

Enfin, l'on a fait de notables progrès en ce qui concerne les feux et le tir. On tend à rejeter les feux au commandement et, en conséquence, on se préoccupe davantage de la justesse du tir.

Un officier d'infanterie (régiment de Bretagne) invente les « tréteaux de tir », ou chevalets, pour dresser les soldats à viser et vérifier leurs visées.

« Il paraît inconcevable, écrit le baron de Traverse, que le feu soit toujours prescrit en ordre plein », et la plupart du temps, il demande que le feu soit exécuté par des tirailleurs détachés à 100 pas en avant, le reste du bataillon étant néanmoins déployé. Les tirailleurs rentreraient dans les rangs lorsque le gros ,du bataillon arriverait à 100 pas de l'ennemi.

Un M. de Putheaux, lieutenant-colonel d'un bataillon de garnison, écrit en 1784 un Mémoire sur les, feux, dans lequel il s'exprime ainsi :

« Il faut que les hommes aient l'habitude de bien ajuster. La grande vitesse que. l'on recherche dans le tir fait brûler de la poudre inutilement. C'est ce qui arrive à l'infanterie prussienne. Après toutes ses batailles, elle laisse sur le terrain des tas de cartouches avec lesquelles elle aurait dû anéantir l'ennemi, et il a peu souffert.

« On pourrait ajouter à l'ordonnance... que, dans la progression de l'école des recrues, chaque homme étant amené au point de bien charger, de coucher en joue horizontalement dans la position des trois rangs, et tirer à volonté trois coups au moins par minute et le quatrième chargé,... on l'instruirait de la manière qu'il doit viser aux différentes distances... »

On a commencé, depuis plusieurs années, à discuter la nécessité de la formation sur trois rangs. Déjà Mesnil-Durand a proposé de mettre ses compagnies de chasseurs sur deux rangs ; on sait que Frédéric II a souvent rangé son infanterie de cette manière, et bon nombre d'officiers commencent à se demander s'il n'y a pas avantage, au point de vue des feux, à se former sur deux rangs au lieu de trois. On a reconnu, en général, que l'on ne pouvait pas faire tirer efficacement le troisième rang en même temps que les deux premiers. M. de Putheaux signale les accidents que le feu des trois rangs occasionne souvent

« L'emboîtement prescrit par l'ordonnance du 1er juin 1776 ne devrait causer aucun accident au premier rang ; il ne peut être mieux fait, à tous égards, pour que les trois rangs puissent tirer debout ; mais comme il est difficile de l'observer toujours régulièrement relativement à la distance des rangs et aux position des files, il arrive souvent, dans le feu en avançant, que quelque soldat du premier rang reçoit du troisième des coups de feu dans ses habits, ce qui provient de ce que les derniers rangs ne conservent pas toujours, en marchant pour aller à la charge, la distance qui doit les séparer de leur chef de file, et que, si elle est plus ouverte au moment que le bataillon arrête pour charger, le feu du troisième rang peut devenir fort dangereux pour le premier, par le peu d'attention de quelque soldat du deuxième rang qui, au lieu de porter, au commandement « Armes », le pied droit sur la droite à 6 pouces du pied gauche et sur l'alignement du rang, le porte en arrière, empêche le soldat du troisième de s'avancer assez dans son créneau en couchant en joue, et expose à son feu un des soldats du premier rang entre lesquels passe la ligne de tir, s'il n'a pas les coudes abattus...

« Un autre inconvénient est que quelque soldat du deuxième rang a souvent les cheveux et la joue brûlés par le feu de quelque bassinet du troisième rang ou, pour mieux dire, par le jet de feu de quelque lumière. »

II n'est donc pas surprenant qu'en 1788 et dans les années suivantes la formation sur deux rangs commence à paraître dans les ordonnances.

L'instruction provisoire de 1788, qui diffère profondément des trois précédentes (1774, 1775 et 1776), résumera tous les progrès accomplis depuis la guerre de Sept ans ; mais, rédigée un peu hâtivement, semble-t-il, elle succombera bientôt sous le poids d'innombrables critiques de détail.

 

Table des matières - Introduction - Chapitre I - Chapitre II - Chapitre III - Chapitre IV
Exclusion des partis extrêmes -L'instruction provisoire du 20 mai 1788 - L'instruction « de M. de Noailles » - L'ordonnance du 1er août 1791 - Les doctrines tactiques du XVIIIe siècle
Planche 1 - Planche 2 - Planche 3 - Planche 4 - Planche 5

II - L'instruction provisoire du 20 mai 1788

Le conseil de la guerre institué en 1787 charge deux de ses membres, le comte de Puységur et le duc de Guines, tous deux partisans de l'ordre profond, de rédiger une nouvelle ordonnance pour l'exercice et les manoeuvres de l'infanterie. Ces officiers généraux se mettent à l'oeuvre le 9 décembre ; dix régiments sont instruits par eux, à mesure que la rédaction avance, et servent à expérimenter les manoeuvres proposées.

« La discussion et la nouvelle rédaction de l'ordonnance entière exigeant beaucoup de temps, on ne proposera que successivement au conseil de la guerre les corrections qu'il est nécessaire de faire à l'ordonnance actuelle.

« L'école du soldat devant être la base première de l'instruction, le titre qui la concerne sera le premier qu'on mettra sous les yeux du conseil. Dès qu'il en aura été approuvé, il sera envoyé aux régiments désignés ci-dessus, afin que cette partie de l'instruction y soit établie pendant l'hiver. Viendra ensuite l'école du peloton, et ainsi successivement l'envoi de tous les titres de la nouvelle ordonnance... On croit que, vers le mois de septembre prochain, ces dix régiments, surveillés et commandés par M. le duc de Guines, seront en état de manoeuvrer ensemble. »

Le conseil approuve le 15 décembre les Bases pour la rédaction de l'école du soldat. La vitesse du pas ordinaire est fixée à 76 par minute ; celle du pas accéléré à 110 ; la longueur est de 24 pouces (67 centimètres).

« Sur tous les autres points de l'école du soldat, on ne propose presque point de changement ; on exprimera seulement d'une manière plus précise ce qui est prescrit par l'ordonnance actuelle.

« Le conseil a de plus arrêté que le feu à commandement sera exécuté, le premier rang genou à terre.

« On rétablira dans l'instruction le feu de peloton exécuté respectivement dans la division.

« On exercera le soldat à exécuter des feux à commandement obliques.

« Il sera inséré dans l'ordonnance qu'on n'en fera usage que quand on ne pourra pas se procurer des feux croisés par la direction de la troupe.

« Le feu de file continuera jusqu'à nouvel ordre d'être exécuté comme il l'est dans l'ordonnance. »

Dans sa séance du samedi 7 janvier 1788, le conseil « arrête que le feu de file ne se fera que par les deux premiers rangs debout, le troisième rang restant l'arme au bras et remplaçant les soldats des deux premiers rangs qui seront hors de combat. Les officiers de serre-file veilleront à ce que le remplacement se fasse avec silence et ordre.

« Ce feu de file servira particulièrement pour les défenses de postes et, dans ce cas, on pourra étendre son front au moyen du troisième rang. »

A partir de ce moment, le registre de délibérations du conseil de la guerre, qui paraît d'ailleurs présenter de très grandes lacunes, ne fait plus mention des manoeuvres de l'infanterie.

L'instruction provisoire parait le 20 mai 1788.

La manière dont elle est composée donne à penser que les rédacteurs ont eu tout particulièrement en vue l'instruction de la troupe. Ils ne se sont pas bornés à faire connaître les formations et manoeuvres, mais la manière même de les enseigner, ne craignant pas les répétitions, divisant l'ordonnance en écoles et en leçons, précisant ce qui devait être fait dans chacune, et comment on devait le faire. Selon l'usage, le préambule indique cette tendance du règlement :

« Sa Majesté, ayant reconnu, d'après les observations qui ont été mises sous ses yeux par le conseil de la guerre,

« Que, depuis la dernière ordonnance qu'Elle a rendue concernant l'exercice et les manoeuvres de l'infanterie, les connaissances acquises par la réflexion et par l'expérience ont démontré la nécessité d'améliorer quelques anciens principes ou d'en adopter de nouveaux, de n'abandonner aucun détail à l'incertitude et à l'arbitraire, et de refondre toute l'ordonnance en une forme plus méthodique et plus motivée, qui remplisse à la fois le double objet de perfectionner l'école du soldat et d'étendre les vues de l'officier, etc. »

Comme on a pu le voir, Guibert n'est pas plus le rédacteur de cette ordonnance que des précédentes ; mais son influence y est très sensible. L'instruction de 1788 se rattache étroitement à celle de 1769 (pour les troupes légères) bien plus qu'à celles de 1774, 1775 et 1776. On n'abandonne pas complètement les principes d'alignement et de direction qui ont tenu la première place dans ces trois ordonnances ; mais on les modifie, on les réduit, on les relègue dans un ou deux passages relatifs à la marche en colonne ou en bataille. Au contraire, le ploiement en colonnes serrées « de Guibert » et le mouvement inverse deviennent un objet considérable ; on spécifie que les évolutions de plusieurs bataillons se feront le plus souvent par bataillons en masse ; c'est la tactique de Guibert qui est devenue officielle et prend le premier rang. Elle n'exclut pas d'ailleurs les évolutions de ligne, car celles-ci peuvent s'imposer parfois dans la pratique.

Les mouvements élémentaires ont été perfectionnés, simplifiés ; les pelotons ont plus de souplesse : on les fait marcher souvent par le flanc, déployer par files sur la droite en bataille, etc. Les conversions se font, suivant les cas, à pivot fixe ou à pivot mouvant.

Outre la colonne à distance entière et la colonne serrée, on adopte la colonne à demi-distance, participant des avantages de l'une et de l'autre, assez courte et cependant plus flexible que la colonne serrée. Celle-ci peut exécuter de front un changement de direction peu prononcé ; elle emploie le changement de direction par le flanc, si l'angle dont il faut tourner est plus grand.

Une innovation plus considérable encore, c'est le passage de trois rangs sur deux et, par conséquent, la faculté donnée aux généraux de former les troupes sur deux rangs au lieu de trois.

L'immobilité à laquelle est condamné le troisième rang dans les feux explique cette réduction de la profondeur à deux rangs :

« Le troisième rang, dit l'instruction, portera l'arme au bras et fera un pas en arrière. » Cette prescription ne s'applique qu'à la charge à volonté, mais elle doit être la plus fréquente ; dans les feux à commandement, qui sont exceptionnels, le premier rang tire à genou, les deux autres debout.

Les feux peuvent être directs ou obliques ; ils s'exécutent de pied ferme ou en marchant, et en particulier pendant le changement de front d'un bataillon.

Le passade de défilé dans la marche en avant s'exécute en reployant les files des ailes. De même, le passage de défilé en retraite s'exécute en faisant rompre les files l'une après l'autre, à commencer par celles des extrémités. Chaque file à son tour fait deux à-droite ou à-gauche successifs et, longeant le front par derrière, va franchir le défilé. La retraite des files extrêmes est aussi couverte par le centre, et celui-ci, quand son tour vient de passer le défilé, est protégé et flanqué par le feu des files extrêmes qui ont repris position au delà de l'obstacle.

Le bataillon change de front par conversion des pelotons. Si la conversion se fait autour d'une extrémité, le peloton placé au pivot converse de manière à se placer sur le nouvel alignement. Chacun des autres fait un demi-quart de conversion et se porte en ligne par une marche directe. Si le pivot est pris dans le front même du bataillon, par exemple entre le 4e et le 5e peloton, pour converser à droite, les pelotons 5 à 8 exécutent le mouvement comme il est dit pour le cas précédent; 1 à 4 font demi-tour et exécutent ensuite la conversion à droite par les mêmes moyens.

Les évolutions de plusieurs bataillons sont exécutées tantôt par bataillons ou pelotons déployés, tantôt en colonne serrée.

L'ordonnance traite d'abord du mouvement : ployer la ligne en colonne serrée. « On peut suivre deux méthodes : ou en ployant tous les bataillons à la fois sur telle division d'un de ces bataillons ; ou en ployant d'abord chaque bataillon en colonne serrée. La première méthode, qui pourra s'employer lorsque le nombre des bataillons ne sera pas considérable, s'exécutera d'après les principes prescrits pour un seul bataillon. » Si le nombre des bataillons est considérable, et que les circonstances déterminent le commandant en chef à préférer la seconde méthode, il commencera par faire ployer chaque bataillon en colonne serrée. Les masses serreront sur la masse indiquée comme base du mouvement, avec un intervalle de 4 pas, puis se formeront en colonne de masses par mouvements carrés.

L'ordonnance donne ensuite des principes pour la marche en colonne, l'augmentation et la diminution des distances.

Les changements de direction d'une colonne de masses s'exécutent successivement par bataillon, par le front, et exigent que l'on arrête la colonne.

Pour recevoir une charge de cavalerie, on fait sortir de la colonne les grenadiers d'une part, les chasseurs de l'autre, ou, à leur défaut, les pelotons de tête et de queue. Ils marchent sur les flancs de la colonne, de part et d'autre, et, en cas d'attaque, font face et exécutent des feux de peloton ou à volonté.

Les déploiements s'exécutent par les moyens les plus simples : l'ordonnance examine successivement le cas des colonnes à distance entière longeant la ligne où elles doivent se déployer, ou se déployant face en tête, par une marche oblique en bataille des divisions, puis celui des bataillons en masse. Dans ce dernier cas, on déploie d'abord la colonne par masses, puis chaque bataillon en ligne.

La marche en bataille s'exécute avec les précautions indiquées antérieurement par Laroque et par Saldern : s'efforcer de prendre un point de direction convenable, mais surtout de conserver les intervalles et de rester à hauteur du bataillon de direction.

Les changements de front s'exécutent par bataillons en colonne à distance entière, suivant les procédés réglementaires depuis 1776. Une ligne peut changer de front en se portant en avant en échelons : chaque bataillon marche en bataille en prenant sa distance et la conserve en s'arrêtant, puis s'aligne par un demi-quart de conversion.

L'instruction se termine par les marches en échiquier.

Les mouvements sur deux lignes n'y sont pas compris. On les réservait pour le code, c'est-à-dire pour l'instruction sur le service en campagne. Les rédacteurs se réservaient aussi, d'après les résultats des observations et des essais, de terminer l'ordonnance par une analyse qui établirait l'application au terrain et aux circonstances des différentes évolutions, et ferait disparaître celles qu'on jugerait inutiles.

Les événements de 1789 arrêtèrent le travail. Le maréchal de Broglie, nommé ministre, supprima le conseil de la guerre. Les essais furent interrompus, et l'ordonnance de 1788 tomba dans l'oubli.

Pendant près de deux ans, l'on ne s'occupa guère de tactique ; il fallut la menace de l'invasion pour décider à reprendre les études.

Les critiques, très nombreuses, formulées sur l'instruction provisoire de 1788 par les chefs de corps ne portaient que sur des points de détail, principalement pour ce qui concerne la marche en bataille d'une ligne de plusieurs bataillons.

Il semblait donc qu'on y apporterait peu de changements. Cependant, les deux règlements qui lui succéderont, le 1er janvier et le 1er août 1791, feront un pas de plus dans le sens de l'ordre profond en adoptant la colonne d'attaque sur le centre ; de plus, l'un d'eux imposera la formation sur deux rangs, l'autre reviendra à la formation sur trois rangs, sans laisser la faculté de choisir entre les deux.

 

Table des matières - Introduction - Chapitre I - Chapitre II - Chapitre III - Chapitre IV
Exclusion des partis extrêmes -L'instruction provisoire du 20 mai 1788 - L'instruction « de M. de Noailles » - L'ordonnance du 1er août 1791 - Les doctrines tactiques du XVIIIe siècle
Planche 1 - Planche 2 - Planche 3 - Planche 4 - Planche 5

III - L'instruction « de M. de Noailles »

La garde nationale, organisée en 1789, fut d'abord instruite non pas d'après l'ordonnance provisoire de 1788, mais d'après celle de 1776, rééditée à cette occasion. Il parut cependant que les règles méticuleuses de Pirch et les commandements compliqués de l'ordonnance n'étaient guère appropriés à des milices improvisées. Le comité militaire, institué le 2 octobre 1789, s'occupa de rédiger une instruction plus simple, destinée spécialement aux gardes nationales.

Ce comité se composait de douze membres


Lieutenants généraux

Marquis d'Egmont Pignatelli ;
Marquis de Boathillier ;
Marquis de Rostaing ;



Maréchaux de camp

Comte de Gomer ;
Baron de Menou ;
Baron de Flachslanden ;

 


Membres militaires

Vicomte de Noailles, colonel des chasseurs d'Alsace ;
Vicomte de Panat ;
Baron de Wimpfen ;

 


Membres civils

Dubois de Crancé
Comte de Mirabeau
Emmery, avocat

}

Membres de l'Assemblée constituante.

   

La majorité des officiers qui appartenaient à ce comité étaient partisans de l'ordre profond, aussi bien que les auteurs de l'instruction provisoire de 1788.

Le vicomte de Noailles fut chargé de présider à la rédaction de l'Instruction pour les gardes nationales, qui parut le 1er janvier 1791. Un certain nombre des bataillons de volontaires levés quelques mois plus tard ne connaîtront pas d'autre règlement avant d'entrer en campagne.

L'introduction précise le but de cette Instruction et l'esprit dans lequel elle a été rédigée :

« L'Assemblée nationale a confié au comité de constitution et au comité militaire le soin de lui présenter l'organisation des gardes nationales, ainsi que les éléments de tactique à leur usage... Les occupations journalières des gardes nationales, les intérêts de l'agriculture, du commerce et des arts, ne leur permettent point de se livrer au genre d'éducation militaire qu'on exige des troupes de ligne ; elles ne doivent donc pas suivre exactement les mêmes principes de tactique.

« La, formation habituelle des gardes nationales sera sur deux rangs. Sans exiger que les gardes nationales manient leurs arme avec la précision du soldat sans cesse sous les drapeaux, nous désirons qu'elles puissent s'en servir sans se gêner dans le rang, et de manière à éviter les accidents qu'entraîne le manque d'habitude pendant l'action...

« Les gardes nationales doivent savoir combattre en troupe ; pour cela, il faut qu'elles apprennent à marcher en ordre et à tirer avec justesse ; il est donc nécessaire de leur fixer une instruction par compagnie, ensuite par bataillon, et de les faire tirer à la cible.

« Promptitude et simplicité dans les manoeuvres, tel est le problème que nous avons à résoudre.

« Sans entrer ici dans la question gui s'est élevée entre les partisans de l'ordre mince et ceux de l'ordre profond, nous adopterons les moyens les plus faciles d'occuper toutes les positions où les gardes nationales peuvent se trouver devant l'ennemi. Nous n'hésitons pas à établir que la marche en colonne est celle que les gardes nationales doivent préférer. Elles doivent fondre sur l'ennemi à l'instant où le point d'attaque est déterminé, et conserver ainsi l'avantage non contesté aux Français dans les combats corps à corps.

« Après avoir indiqué l'attaque en colonne comme la plus. favorable pour les bataillons de gardes nationales, nous ne donnons cependant point d'exclusion à l’ordre déployé ; nous avons cherché seulement à le simplifier, de manière à le rendre d'une exécution facile pour des troupes toujours moins manoeuvrières que les troupes de ligne. »

Nous n'avons pas besoin d'insister sur l'importance capitale de cette introduction : ses auteurs se déclarent formellement en faveur de l'ordre profond pour l'attaque à 1a baïonnette ; mais ils n'adoptent pas le système compliqué et les principes exclusifs de Mesnil-Durand ; et c'est bien plutôt à Guibert qu'ils emprunteront les procédés de manoeuvre de leur instruction. Enfin, bien qu'ils ne croient pas à la supériorité de l'ordre mince dans le combat, ils feront une large place aux évolutions de ligne.

Après les mouvements élémentaires de l'école du soldat et de l'école de peloton (01), l'instruction de M. de Noailles en vient aux feux, qui sont singulièrement facilités par la formation sur deux rangs.

La colonne se forme « habituellement » par peloton, soit qu'on rompe à droite ou à gauche en colonne à distance entière, soit qu'on ploie le bataillon en colonne serrée par le procédé de Guibert ; mais le bataillon peut se ployer en colonne par peloton ou par division, sur une subdivision quelconque. On peut serrer une colonne par peloton à distance de section ou à trois pas.

Le bataillon en colonne serrée change de direction parle flanc.

La colonne à distance entière se déploie à droite ou à gauche, sur la droite ou sur la gauche ; elle se déploie en avant par un demi-quart de conversion de chaque peloton (ou division), suivi d'une marche en bataille, et d'un demi-quart de conversion pour s'aligner. Elle se forme face en arrière en bataille, ainsi que le prescrivaient les ordonnances précédentes : la subdivision de queue fait une contremarche, et chacune des autres, marchant par le flanc, va se redresser sur son emplacement de manière à faire toujours face par le premier rang.

L'instruction donne aussi les mouvements composés par lesquels on déploie une colonne qui n'est pas entièrement redressée dans sa direction définitive. Si par exemple une colonne par peloton débouche en arrière du centre de la ligne qu'elle doit occuper, et converse à droite le long de cette ligne, on fait faire à gauche en bataille aux pelotons de tête ; les autres opèrent comme dans le déploiement sur la tête.

Tous ces mouvements sont ceux de l'instruction précédente, dégagés de quelques détails ; M. de Noailles y a joint la colonne d'attaque sur le centre, presque identique à celle de 1766, bien plus légère, plus souple que la colonne essayée à Vaussieux, et surtout n'entraînant aucun des inconvénients reprochés au projet d'instruction de 1778, puisqu'il ne s'agit plus que d'un bataillon isolé, et d'une formation d'attaque. Tous les reproches opposés à la formation centrale pour les manoeuvres de plusieurs bataillons ne peuvent être faits à la colonne d'attaque de 1791, et elle est la plus rapide à ployer et à déployer dans le moment critique de l'attaque à la baïonnette.

La colonne d'attaque de M. de Noailles se forme en ployant les 3e, 2e et 1er pelotons derrière le 4e ; les 6e, 7e et 8e derrière le 5e ; le mouvement s'exécute suivant le procédé de Guibert. Les pelotons sont à distance de section, c'est-à-dire à demi-distance.

Une des idées les plus ingénieuses de M. de Noailles, c'est celle qui lui permet de réduire de moitié la sixième partie de l'instruction : Mouvements de plusieurs bataillons, en identifiant le changement de front avec le déploiement d'une colonne.

Une ligne AB devant converser à droite pour venir en AC, rompre d'abord en colonne par pelotons face à droite ; il restera à déployer cette colonne face en tête, ce qui s'exécute comme à l'école de bataillon.

Si une ligne ADB doit converser pour venir en EDC, elle commence par rompre en colonne par pelotons face à droite ; puis elle se divise en deux tronçons dont l'un, DB, se déploie face en tête, et l'autre, DA, face en arrière, comme à l'école de bataillon.

Grâce à cette ingénieuse remarque, toutes les évolutions de lignes sont enseignées sans effort, et leur théorie tient en six pages. On n'en supprime que le passage de lignes.

L'Instruction se termine par les mouvements des masses, pour lesquels on se borne à résumer les prescriptions de 1788.

« Telle est l'instruction que le comité militaire a trouvé convenable de fixer pour les gardes nationales. Il a cru, avant de l'adopter, devoir se concerter avec les officiers supérieurs et M. Bourcard (02), appelés par le conseil de la guerre et par M. de la Tour du Pin (03 ) pour rédiger l'ordonnance des manoeuvres de l'infanterie. »

 

Table des matières - Introduction - Chapitre I - Chapitre II - Chapitre III - Chapitre IV
Exclusion des partis extrêmes -L'instruction provisoire du 20 mai 1788 - L'instruction « de M. de Noailles » - L'ordonnance du 1er août 1791 - Les doctrines tactiques du XVIIIe siècle
Planche 1 - Planche 2 - Planche 3 - Planche 4 - Planche 5

IV - L'ordonnance du 1er août 1791

On a répandu bien des opinions erronées sur la tactique du dix-huitième siècle ; mais la plus commune peut-être, la plus grave est celle qui attribue l'ordonnance de 1791 à des partisans de l'ordre mince. Comme on vient de le voir, les instructions de 1788 et du 1er janvier 1791 ont été rédigées par des partisans de l'ordre profond ; l'ordonnance du 1er août 1791 émane du comité de la guerre, comme la précédente, et ses auteurs ont travaillé de concert avec M. de Noailles. Ils sont, eux aussi, partisans de l'ordre profond.

On peut lire dans un des livres les plus récents sur l'histoire de la tactique (04 ) : « Le règlement de 1791, qui durera pendant près d'un siècle, n'était guère que la reproduction du règlement de 1776, élaboré après la guerre de Sept ans sous l'influence des méthodes prussiennes ; c'était donc la continuation de la tactique prussienne dans toutes ses formes. » Or on sait que le règlement de 1776, reproduisant à peu de chose près les instructions provisoires de 1774 et 1775, était strictement conforme aux idées de Pirch, traitait surtout des alignements et marches directes, des changements de front, accordait une place minime aux colonnes serrées ; c'était, d'une manière très exclusive, un règlement de manoeuvres en ordre mince, ligne déployée ou colonne à distance entière. Au contraire, les instructions de 1788 et 1791 ont réduit à peu de chose les règles pour la marche en bataille ; elles donnent la préférence aux ploiements en colonne serrée sur les ruptures en colonne à distance entière, consacrent de longs développements aux évolutions de masses, et celle de 1791 donne une colonne d'attaque ployée sur le centre du bataillon. L'ordonnance du 1er août 1791 présente avec ces deux instructions la plus grande analogie et diffère profondément du règlement de 1776 ; elle ne contient presque plus rien des principes de Pirch. Dans les titres IV et V (école de bataillon et évolutions de ligne), les mouvements en colonne serrée, en masse, en colonne à demi-distance, et la colonne d'attaque occupent à peu près la même place que les évolutions en ordre mince, ligne déployée ou colonne à distance entière.

Si les évolutions de ligne forment une partie aussi considérable de la nouvelle ordonnance, ce n'est pas qu'on leur accorde une plus grande importance qu'en 1788 ; mais les rédacteurs de 1791 ont la prétention de donner un règlement complet, ne laissant aucune difficulté à résoudre, aucun détail à préciser ; les évolutions de ligne, délicates et compliquées, ont donné matière à une foule d'explications, de sorte que, sans rien ajouter à la série des manoeuvres de 1788, l'ordonnance de 1791 consacre une place beaucoup plus grande aux changements de front, déploiements, etc.

Vers cette époque, les partisans de l'ordre profond se sont fort éloignés du système de Mesnil-Durand ; ils n'admettent plus la généralisation de la rupture par le centre, et la restreignent au bataillon ; ils ne veulent plus de colonnes serrées et surpressées, même pour l'attaque, et sont pleinement d'accord avec Guibert en adoptant une colonne à demi-distance formée par marche de flanc et déboîtement des pelotons. Enfin, ils ne sont plus persuadés que la formation linéaire soit très exceptionnelle, et ils ne croient pas possible d'exclure du règlement les évolutions de ligne et la marche en bataille. En vérité, il semble qu'en 1791 il n'y avait plus entre les partisans de l'ordre profond et ceux de l'ordre mince qu'une différence d'appréciation sur la fréquence relative des attaques en ligne et en colonne dans le combat, personne ne niant, d'ailleurs, que les unes et les autres seraient souvent employées. La question, réduite à ces termes, serait définitivement résolue sur les champs de bataille.

Comparée aux instructions précédentes, l'ordonnance du 1er août 1791 présente les différences suivantes :

Une rédaction plus minutieuse, plus longue, plus nette.

La suppression absolue de la formation sur deux rangs, autorisée en 1788 et imposée par M. de Noailles aux gardes nationales.

Le retour au feu de rangs de 1766, dans lequel l'homme du troisième rang charge l'arme pour la passer à son voisin du second rang. On ne veut plus que le troisième rang reste inactif comme dans l'instruction de 1788.

L'école de division est supprimée.

La prompte manoeuvre de 1774, qu'on avait fait disparaître en 1776 comme évolution distincte, sans cesser de l'employer comme élément de certains déploiements ou changements de front, est rétablie. Elle est même usitée, non seulement pour les déploiements, mais pour le changement de direction des colonnes.

Les autres modifications introduites alors ne présentent qu'un intérêt secondaire, et nous n'y insisterons pas ; mais, comme l'ordonnance de 1791 va rester en vigueur pendant les grandes guerres de 1792 à 1815, il est nécessaire d'en reprendre sommairement toutes les dispositions.

La formation est sur trois rangs, avec 1 pied de distance entre les rangs. Les hommes sont par rang de taille, les plus grands au premier rang, les plus petits au second rang, les autres au troisième. La réduction à deux rangs n'est admise qu'en temps de paix, pour exercer à l'école de bataillon des troupes d'un effectif très inférieur au complet de guerre.

La longueur du pas est de 2 pieds (0m,67), la vitesse est de 76 par minute pour le pas ordinaire, 100 pour le pas accéléré ; on peut aller jusqu'à 120 « dans la charge et dans toutes les circonstances qui pourront exiger une grande célérité » ; mais on suppose (titre III, art. 108), qu'« une troupe qui marcherait ainsi longtemps ne pourrait manquer de se désunir ». Il n'est pas question de pas de course. On admet qu'une colonne en marche peut faire 90 pas à la minute sur de bonnes routes, soit 3000 à 3500 mètres à l'heure.

La charge en douze temps ne sert qu'à l'instruction, ainsi que la charge précipitée, qui groupe les différents temps de manière à montrer au soldat ceux qui peuvent s'escamoter et ceux qu'il importe de faire avec soin. La charge à volonté est seule employée au combat.

On admet les feux de bataillon, de demi-bataillon et de peloton, qui sont des feux de salve, et le feu de deux rangs. Pour les salves, le premier rang est à genou. Le feu de peloton est exécuté dans chaque division sans tenir compte des autres, les deux pelotons de la division tirant tour à tour.

Le feu de deux rangs est un feu à volonté, dans lequel l'homme du troisième rang charge l'arme pour celui du second rang. L'ordonnance fixe d'une manière précise comment on doit commencer le feu de deux rangs : les deux tireurs de la file de droite tirent ensemble dans chaque peloton, puis successivement la deuxième, etc., jusqu'à la gauche du peloton, chacune ne mettant en joue qu'au moment où la précédente amorce ; mais cette progression n'a lieu que pour le premier coup, chaque homme devant ensuite charger et tirer sans se régler sur les autres. Le feu commence et finit à un roulement de tambour.

Les feux de salve peuvent s'exécuter dans une direction oblique:

L'ordonnance comprend pour la première fois une « instruction pour tirer à la cible » ; les tirs se feront à 100, 200 et 300 mètres, d'abord individuellement, puis au commandement.

La formation sur trois rangs ne permettait pas de marcher par le flanc en doublant comme on le fit plus tard, lorsqu'on eut réduit la profondeur à deux. La marche de flanc était donc pénible et condamnait à des allongements considérables. Pour les réduire au minimum, on avait recours depuis quarante ans à l'emboîtement, tous les hommes d'une même file marchant exactement au pas, sans plier le genou, et « s'emboîtant » pour ainsi dire l'un dans l'autre, depuis la tête de la colonne jusqu'au bout. Malgré cette précaution, et bien que l'ordonnance parlât de la marche de flanc d'un bataillon, il était difficile de faire exécuter de pareils mouvements à des unités plus fortes que le peloton.

La colonne par le flanc converse par files, fait face à droite (ou à gauche) par un à-droite (ou à-gauche) individuel de tous les hommes, et se déploie par files sur la droite (ou sur la gauche) en bataille.

On sait qu'à la fin du dix-septième siècle et au début du dix-huitième les armées marchaient surtout à travers champs, et en colonne par pelotons, pour se déployer plus vite en cas de surprise ; mais, au cours du dix-huitième siècle, à mesure que les procédés de déploiement se perfectionnent, on utilise de plus en plus le réseau routier. L'ordonnance de 1791 considère la marche sur les chemins comme le cas général, la marche à travers champs comme exceptionnelle, au moins pour de longs parcours. Tout en conseillant la colonne par pelotons, elle reconnaît qu'on marchera le plus souvent par sections, et même sur un front moindre. La section ne comptant jamais plus de 36 hommes, c'est-à-dire douze files, on peut réduire son front à six files sans élever le nombre des rangs au-dessus de six et, par conséquent, sans allonger la colonne, car la profondeur de six rangs en marche ne dépasse pas le front de dix files.

Si les chemins sont trop étroits encore pour qu'on y marche par six, on ne repliera pas les files à droite comme dans le cas précédent, mais la section rompra par quatre files et la colonne sera plus longue que le front de la troupe en bataille. Cette marche par quatre ne doit être admise que hors de portée de l'ennemi, ou pour de très petites colonnes.

Le bataillon peut rompre en colonne à distance entière, le plus souvent par peloton, mais aussi par division ou par section, face à droite ou à gauche ; il peut également, rompre en arrière à droite ou à gauche.

Il peut se ployer en colonne serrée ou en masse, le plus souvent par division, sur une quelconque de ses divisions, par le procédé de Guibert ; chaque division fait par le flanc, les trois premières files déboîtent du côté où la division doit se porter, et celle-ci va prendre sa place dans la colonne par le chemin le plus court. Si l'on ploie le bataillon sur la 1re division, les autres font à droite et. déboîtent en arrière de la ligne ; si on le ploie sur la 4e division, les autres font à droite et déboîtent en avant ; si on le ploie sur la 2e, la 1re fait à gauche et déboîte en avant, les 3e et 4e font, à droite et déboîtent en arrière. La distance entre le troisième rang d'une division et le premier rang de la suivante est de 3 pas.

Une colonne serrée peut prendre ses distances sur la tête ou la queue et se transformer en colonne à distance entière, ou inversement.

La colonne peut être serrée à distance de section, c'est-à-dire ayant un front de section entre le premier rang d'une division et le premier rang de la suivante. En réalité, la colonne à distance de section diffère peu de la colonne serrée. Elle se ploie et se déploie par les mêmes moyens.

La colonne à distance entière par peloton peut doubler les pelotons et donne ainsi une colonne par division à demi-distance.

En résumé, on peut former les colonnes par section, peloton ou division, à distance entière, à demi-distance, ou en masse mais, pratiquement, on emploie surtout :

1° Les colonnes par section à distance entière, par six ou par quatre, comme formations de marche ;

2° La colonne par peloton à distance entière, comme formation de manœuvre ;

3° La colonne par division à distance de section ou en masse, comme formation d'attente ou de manoeuvre.

La colonne d'attaque se forme en ployant les pelotons 3, 2, 1 derrière le 4e et les pelotons 6, 7, 8 derrière le 5e, à distance de section. C'est exclusivement une formation de combat. Les partisans de l'ordre profond attribuent quelques avantages à cette colonne centrale ; mais il est facile de voir que, comme dimensions et comme rapidité de formation, elle ne diffère pas de la colonne serrée par division sur la deuxième division.

Les colonnes se déploient par les moyens inverses de ceux qui ont servi à les former : la colonne à distance entière, la droite en tête, qui longe la ligne où elle doit se déployer et arrive par la gauche, s'arrête, puis fait face à gauche par une conversion simultanée de tous les pelotons. Si elle arrive par la droite de la ligne, chaque peloton converse à son tour après avoir dépassé le précédent.

La colonne à distance entière d'un seul bataillon, débouchant en arrière de la ligne, vers son extrémité de droite, marche jusqu'à ce que le peloton de tête ait pris position. A ce moment, la colonne s'arrête ; chaque peloton fait une conversion à 45° à gauche, puis se porte en ligne par une marche directe.

Si la colonne comprend plusieurs bataillons, les bataillons se séparent au moment où la tête a atteint la ligne. Chaque bataillon, en colonne par peloton, se dirige sur la droite de l'emplacement qu'il va occuper, et se déploie isolément.

Si la colonne débouche en arrière d'un point quelconque de la ligne, elle continue de marcher jusqu'à ce que sa tête atteigne cette ligne, puis change de direction à droite. Elle s'arrête quand les premiers pelotons se trouvent à hauteur des emplacements qu'ils doivent occuper. Ces pelotons se déploient à gauche ; les autres se déploient en avant, comme il est expliqué plus haut.

La colonne serrée, arrivant par la gauche, prend ses distances par la tête de la colonne et se transforme en colonne à distance entière pour se déployer à gauche. Si elle entre dans la ligne par la droite, elle se déploie sur la droite de la même façon que la colonne à distance entière.

Si elle arrive par l'arrière, chaque bataillon (ou masse) gagne sa place par un mouvement carré, puis s'y déploie par le procédé de Guibert.

Les colonnes à demi-distance peuvent soit prendre les distances par la tête, soit. les serrer, et se déploient ensuite par l'un des procédés indiqués précédemment.

Une colonne à distance entière, la droite en tête, peut faire face à droite par inversion, si la situation l'y oblige. C'est un coup décisif porté au préjugé de l'inversion.

Une colonne peut également se déployer face en arrière ; mais, si l'on admet l'inversion entre les pelotons d'un bataillon, on ne l'admet pas entre les trois rangs du peloton. Il faut toujours que le premier rang reste en tête. Dès lors, si une colonne serrée doit se déployer face en arrière, on commence par faire exécuter une contremarche (deux fois par file à gauche) à chaque division, puis on se déploie sur la quatrième division. Comme la distance entre les divisions ne permet pas d'exécuter simultanément la contremarche des quatre divisions, les divisions impaires exécutent seules la contremarche sur place ; les divisions paires vont l'exécuter à un front de division en avant. On voit quelles complications et quelles lenteurs imposait le préjugé contre l'inversion des rangs.

La difficulté est un peu moindre pour une colonne à distance entière. Dans un bataillon isolé, le peloton de queue fait seul une contremarche ; les autres rompent par le flanc gauche, chacun d'eux se porte vers la droite de l'emplacement qu'il doit occuper, fait par files à gauche et face à droite. Dans une colonne de plusieurs bataillons, le bataillon de queue exécute le mouvement comme il vient d'être expliqué ; chacun des autres change de direction à gauche, se porte sur la droite de l'emplacement où il doit se déployer, et se déploie par le procédé usité pour se déployer en avant.

La colonne à distance entière change de direction par une conversion à pivot mouvant de chaque peloton successivement. S'il y a intérêt à ce qu'elle soit redressée le plus tôt possible dans la nouvelle direction, on emploie la prompte manœuvre : tandis que les pelotons de tête changent de direction à gauche, par exemple, les autres font par le flanc droit et, obliquant vers leur gauche, vont se placer derrière les premiers, en s'efforçant de garder leur distance.

Le bataillon en colonne serrée change de direction parle flanc. Les changements de front, pour lesquels les ordonnances précédentes se bornaient à des principes généraux, sont réglés en tous détails par celle de 1791. Elle envisage séparément le cas d'une seule ligne, puis de deux lignes, d'une conversion sur une extrémité, puis sur le centre, à angle droit, à angle aigu, etc.

Un bataillon isolé, changeant de front en avant à droite sur son flanc droit, fait converser à droite le peloton qui est au pivot. Chacun des autres pelotons converse aussi sur place, puis se porte en ligne par une marche directe.

Pour changer de front en arrière à droite, le bataillon fait demi-tour, exécute le mouvement de changer de front en avant à gauche, puis fait demi-tour une seconde fois.

Pour changer de front sur un peloton quelconque, une partie du bataillon fait un changement de front en avant à droite, et l'autre en arrière à gauche.

Dans le changement de front d'une ligne de plusieurs bataillons, celui qui est au pivot exécute le mouvement comme s'il était isolé ; chacun des autres rompt en colonne par peloton, se dirige sur l'emplacement qu'il doit occuper et se déploie en avant ou en arrière.

Quand la troupe est formée sur deux lignes, la question est infiniment plus compliquée.

Un pivot ayant été choisi pour la première ligne, la deuxième ne pourrait se replacer exactement derrière la première, et à sa distance, que par un mouvement de rotation autour du même pivot, c'est-à-dire autour d'un point extérieur à cette ligne, manoeuvre irréalisable par tous les moyens connus. On renonce donc à ce que les extrémités de la deuxième ligne soient exactement derrière celles de la première, chose d'autant moins essentielle que, dans la pratique, les deux lignes ne sont pas forcément égales.

Ce premier sacrifice fait, on constate que, s'il s'agit d'un changement de front à angle droit, on peut encore, sans trop de peine, conserver la distance entre les deux lignes en choisissant à la seconde un pivot convenable, situé à droite ou à gauche du pivot de la première ligne, d'une quantité égale à la distance des deux lignes. En adoptant cette solution, la seconde ligne sera déplacée à droite ou à gauche, par rapport à la première, d'une longueur égale à deux fois la distance qui les sépare.

Si le changement de front se fait sous un angle très aigu, et que la seconde ligne prenne son pivot exactement en arrière de celui de la première, leur distance sera un peu modifiée, et la seconde ligne débordera un peu la première d'un côté. On est obligé d'accepter cette solution.

Le pivot une fois déterminé, la seconde ligne exécute le mouvement comme si elle était seule.

Pour le passage d'obstacles dans la marche d'une ligne déployée, le peloton qui rencontre un obstacle l'évite en faisant par le flanc droit et par files à gauche.

Le passage des lignes se fait en arrière ou en avant. La ligne qui s'ouvre pour laisser passer l'autre double les sections ; les pelotons de l'autre ligne, ayant fait par le flanc et par files à droite ou à gauche, passent dans les intervalles.

L'ordre en échelons et l'ordre en échiquier n'ont pas besoin d'une plus ample définition.

Les dispositions contre la cavalerie sont les suivantes : une colonne de plusieurs bataillons, si elle est menacée par la cavalerie, se forme par divisions avec distance de section ; au moment d'être chargée, elle se forme en colonne contre la cavalerie : la deuxième division serre sur la première ; les deux dernières sur celle qui les précède. A l'exception des deux premières et des deux dernières divisions, toutes les sections conversent à droite et à gauche, de sorte qu'on a partout une profondeur de six hommes. Les canons de bataillon sont mis en batterie entre les bataillons ; leurs avant-trains sont placés aux angles ; des tirailleurs s'écartent de la colonne et ouvrent le feu sur les cavaliers.

Telle est, en résumé, l'ordonnance du 1er août 1791.

Elle est la résultante de tout le travail accompli depuis un siècle en fait de tactique. L'ordre mince et l'ordre profond y subsistent côte à côte, mais on sent qu'elle n'ose pas déterminer de manière exclusive la formation de combat : l'expérience, les circonstances en décideront. Ce que le règlement procure, c'est la faculté de choisir parmi toutes les formations et de passer de l'une à l'autre par les moyens les plus pratiques. Rédigé avec un soin méticuleux, il a fait un choix généralement sage, quelquefois moins heureux, entre les procédés connus ; il les a réduits à toute la simplicité dont chacun d'eux était susceptible et, surtout, il les a définis avec tant de précision et de clarté que nulle erreur, nulle hésitation ne restent possibles.

Pour atteindre ce résultat, il a fallu multiplier les prescriptions de détail ; il semblera donc toujours, en temps de paix, que cette ordonnance est hérissée de difficultés ; à vrai dire, ces minuties, fort utiles pour instruire les troupes d'une manière uniforme, seront négligées sans inconvénient à la guerre. Pendant vingt-cinq ans, l'ordonnance de 1791 sera appliquée sur les champs de bataille et y contribuera largement à nos victoires. Nul règlement contemporain n'a été rédigé dans un esprit aussi éclectique, ne procure un tel arsenal de formations et de manœuvres.

Table des matières - Introduction - Chapitre I - Chapitre II - Chapitre III - Chapitre IV
Exclusion des partis extrêmes -L'instruction provisoire du 20 mai 1788 - L'instruction « de M. de Noailles » - L'ordonnance du 1er août 1791 - Les doctrines tactiques du XVIIIe siècle
Planche 1 - Planche 2 - Planche 3 - Planche 4 - Planche 5

V - Les doctrines tactiques du XVIIIe siècle

L'année 1791 termine, pour la tactique élémentaire de l'infanterie française, la période qui correspond à peu près au dix-huitième siècle. Déjà les bataillons de gardes nationales sont organisés ; les premiers bataillons de volontaires se forment dès le mois de septembre et, en 1792, vont commencer les guerres de la période révolutionnaire. Avant d'en aborder l'histoire, jetons mi coup d'oeil sur le siècle qui finit, et résumons en quelques lignes l'oeuvre accomplie.

Les feux - Les tirailleurs - Ordre mince et ordre profond

a) LES FEUX

Depuis le dix-septième siècle, on considère les feux comme la partie essentielle du combat. Ils s'exécutent d'abord gauchement, péniblement, dans cette formation sur quatre ou cinq rangs avec distances qu'ont léguée les bataillons de mousquetaires à leurs successeurs. On porte en avant, par rangs ou par files, les soldats qui doivent tirer, et qui rentrent ensuite à leur place, pendant que d'autres leur succèdent. Peu à peu, de 1700 à 1740, ces procédés d'un autre âge disparaissent : les rangs se serrent, et les feux s'exécutent sur quatre, puis sur trois rangs serrés, par salves de peloton, demi-rang, etc.

Pendant la guerre de Sept ans, le feu de billebaude, c'est-à-dire à volonté, s'impose, et le maréchal de Broglie y exerce la troupe. Le règlement de 1766 consacre ce feu sous le nom de feu de rang ; il gardera désormais la première place sous le nom de feu de files ou feu de deux rangs ; les salves par bataillon, demi-bataillon, ou peloton, subsistent toujours, mais, au lieu d'être la règle, ne sont plus que l'exception.

On discute beaucoup, à partir de 1774, s'il convient d'admettre le feu en marchant, pratiqué par l'infanterie prussienne ; on l'adopte entre 1774 et 1776, puis on l'abandonne. On a discuté aussi l'ordre dans lequel il convenait de faire tirer les salves de peloton dans le bataillon ; cette question peu intéressante est à peu près laissée de côté par l'ordonnance du 1er août 1791, puisque les deux pelotons d'une même division alternent entre eux, sans souci des feux exécutés dans les autres divisions.

Ainsi, les règles adoptées pour les feux sont de plus en plus simples, de plus en plus larges.

Les feux - Les tirailleurs - Ordre mince et ordre profond

b) LES TIRAILLEURS

L'emploi des tirailleurs, qui n'a cessé de se généraliser depuis la guerre de la succession d'Espagne, marque un progrès considérable dans le même sens. Contre les nombreuses troupes légères de la reine de Hongrie, la France a organisé successivement les corps de Grassin, de Fischer ; pendant la guerre de Sept ans, nos chasseurs à pied, sous le nom de Volontaires, se multiplient. Ils prennent le nom de légions et, à la paix, on conserve six légions. En 1781, elles sont transformées en bataillons de chasseurs à pied. En 1788, le nombre de ces bataillons est porté à douze. Toute cette infanterie légère combat, en principe, en tirailleurs ; tel est son rôle dans les guerres de Louis XV, et conformément aux instructions postérieures sur le service en campagne. Ce sont donc des tirailleurs en grandes bandes.

Les tirailleurs de bataillon tirent leur origine des piquets de 50 hommes fournis par chaque bataillon jusqu'à la guerre de Sept ans ; ces piquets se dispersent en avant des troupes de ligne, tantôt en petites troupes, tantôt en tirailleurs ; on les emploie aussi, groupés en gros détachements, soit sur les flancs de l'armée, soit pour des missions spéciales. Les compagnies de chasseurs, créées à l'armée de Broglie en 1760, sont supprimées à la paix ; mais l'ordonnance de 1764 mentionne l'emploi des tirailleurs en avant des colonnes d'attaque. On crée en 1766 une compagnie de chasseurs par régiment, et l'ordonnance de 1778 sur le service en campagne nous montre la bataille engagée par les chasseurs éparpillés en avant de leurs régiments. Il n'y a pas de manoeuvre, dans les camps ou les garnisons, sans que l'on y voie les chasseurs éparpillés en tirailleurs, soit en avant, soit sur les flancs. Ils sont généralement soutenus par les grenadiers (05 ).

On a souvent répété que l'origine des tirailleurs remontait seulement à la guerre d'Amérique de 1778 ; on voit qu'il n'en est rien. Cette guerre a-t-elle eu pour résultat un emploi plus fréquent des tirailleurs ? En a-t-elle fait prélever une plus grande proportion sur les troupes de ligne ? Rien, dans les documents contemporains, ne permet de le supposer, et il semble bien, par les Mémoires de La Fayette, que cette hypothèse soit erronée. Lorsqu'il parle des tirailleurs employés en 1792 dans son armée, il ne fait aucune allusion à l'expérience acquise dans la guerre d'Amérique, qu'il rappelle pourtant avec complaisance en plusieurs occasions. Pendant les campagnes de la République, nous trouverons la proportion des tirailleurs fixée généralement à 50 ou 60 par bataillon, comme sous Louis XV.

Ainsi, l'emploi des tirailleurs en grandes bandes, ainsi que des tirailleurs de bataillon, s'est développé durant tout le dix-huitième siècle, et il est absolument passé dans les moeurs à la veille de la Révolution.

Les feux - Les tirailleurs - Ordre mince et ordre profond

c) ORDRE MINCE ET ORDRE PROFOND

Nous arrivons à la question la plus importante et la plus complexe, à celle des formations régulières de combat et de manoeuvre. La plupart des historiens la présentent d'une manière très simple, mais par cela même peu naturelle : il y aurait eu deux systèmes en présence, celui de l'ordre mince et celui de l'ordre profond, inconciliables, irréductibles ; le premier aurait triomphé dans les milieux officiels, dicté les ordonnances, mais le second aurait pris le dessus aux armées à partir de 1792.

La vérité est un peu plus compliquée, mais aussi, nous semble-t-il, moins extraordinaire : entre les deux partis extrêmes, intransigeants, se sont formés deux on trois intermédiaires qui se rapprochent, tendent à se fondre, et finissent par éliminer les opinions exagérées.

A un point de vue un peu différent, nous trouvons aux prises, à l'origine, les théories du feu et du choc ; et, tandis qu'elle luttent, un troisième élément se montre non moins essentiel que le feu et le choc : c'est le mouvement. C'est lui qui prend la première place lorsque triomphe le tiers parti qui s'est développé entre ceux de l'ordre mince et de l'ordre profond.

Au début du siècle, l'aptitude manoeuvrière de l'infanterie est à peu près nulle. La ligne déployée sur quatre ou cinq rangs avec de grandes distances a si grand'peine à se rompre en colonne de route qu'on est loin encore d'essayer d'autres formations et évolutions. Les armées sont donc figées dans cet ordre linéaire, peu propre aux mouvements rapides, et qui se prête mal à une offensive vigoureuse.

Quand Folard, frappé de ces inconvénients, leur oppose sa colonne massive, « serrée et surpressée », il n'en pénètre pas les véritables causes : il ne comprend pas qu'il s'agit avant tout de ranger les troupes dans un ordre plus facile à rompre et à mouvoir. Sa colonne est certainement un peu plus mobile que les longues lignes minces en usage de son temps, mais elle subit, elle aussi, les inconvénients de l'incapacité manœuvrière : elle est difficile à former et à rompre, lourde à manier. Si on l'adopte, il faut renoncer à toute autre formation. Soumis plus qu'il ne le croit aux faiblesses de son temps, Folard n'a pas pu imaginer une colonne qui manoeuvre avec souplesse ; aussi a-t-il dû se proposer surtout, en opposition avec l'ordre mince et le combat par le feu, un ordre profond et un combat de choc.

Pendant la première moitié du dix-huitième siècle, la tactique sort de l’enfance ; les rangs se serrent, les ruptures et déploiements deviennent plus faciles. On forme aisément la colonne à distance entière ; on commence à former des colonnes serrées. Aussi, quand les ordonnances de 1753 et 1754 présentent des colonnes massives à peu près conformes aux idées de Folard, c'est-à-dire sans subdivisions ni intervalles dans le sens de la profondeur, elles rencontrent peu de partisans.

Entre les deux partis extrêmes, celui de l'ordre mince et celui de Folard, se manifeste un tiers parti qui comprend la majorité des officiers expérimentés : ceux-là sont bien d'avis qu'il faut préférer souvent la colonne à la ligne déployée, mais ils n'admettent pas les colonnes massives ; ils veulent simplement des colonnes par divisions ou pelotons avec distances.

En même temps que ce parti intermédiaire, ayant à sa tête les Puységur, les Saint-Pern, les Brézé, les Crémilles, un autre a fait son apparition : le maréchal de Saxe, d'Hérouville, Rostaing et, plus tard, La Noue, Joly de Maizeroy, etc., rejettent la colonne comme trop lourde et l'ordre mince comme trop fragile ; ils ne veulent qu'une formation doublée sur six ou huit. Cette idée rallie bon nombre de suffrages et trouve son application dans les règlements de 1754 à 1764, puis elle paraît tomber dans l'oubli. Nous n'y reviendrons pas.

Vers 1755, un rapprochement sensible s'est opéré entre les partis. Y a-t-il des officiers qui préconisent encore l'emploi exclusif de l'ordre mince ? Rien ne permet de le supposer. D'autre part, la colonne massive à la Folard disparaît des règlements. L'opinion intermédiaire, celle des manoeuvriers, partisans des colonnes serrées par divisions ou pelotons, a pris le dessus. Mesnil-Durand lui-même, qui veut ressusciter le système de Folard, est obligé de former sa plésion en ployant des pelotons derrière le centre du bataillon.

Malgré cette concession, Mesnil-Durand reconstitue le parti intransigeant de l'ordre profond, et d'un ordre profond très particulier.

Il ne se borne pas à proclamer que les colonnes sont plus faciles à diriger et à manoeuvrer que les lignes minces, qu'elles se prêtent mieux aux attaques à la baïonnette. Il n'admet presque jamais d'autre formation que la colonne, puisqu'il ne veut de ligne déployée que si le terrain s'oppose absolument à la marche des colonnes. Enfin, il veut, comme Folard, des colonnes profondes et compactes, sans distances entre les subdivisions ; et, ce qui est plus grave, il pose en principe l'universalité des ruptures et déploiements par le centre. Un bataillon, une brigade, une division en ligne, pour se former en colonne, se ploient sur le centre et, inversement, lorsqu'une colonne se déploie, l'élément de tête forme le centre de la ligne. On a vu tous les inconvénients de ces principes, la lourdeur, la gêne qu'ils apportaient dans les évolutions.

Avec le temps, de 1755 à 1778, Mesnil-Durand sera obligé de faire quelques concessions : il admettra des distances entre les subdivisions de ses colonnes ; mais il ne veut rien céder sur le principe des ruptures et déploiements par le centre.

Les victoires remportées par les Prussiens, qui combattent exclusivement en ligne et font mouvoir leurs armées en colonnes à distance entière, provoquent une réaction en faveur de l'ordre mince, au moment où Mesnil-Durand reconstitue le parti de l'ordre profond.

Nous retrouvons donc, après 1755, les deux partis extrêmes en présence ; mais, comme auparavant, c'est l'opinion intermédiaire qui semble triompher : la ligne et les colonnes serrées par peloton (ou par division) sont employées concurremment comme formations de combat pendant la guerre de Sept ans, et surtout l'idée de manoeuvre, le souci de se mouvoir et d'évoluer promptement, avec aisance, dominent à partir de 1758. Les instructions du maréchal de Broglie et ses dispositions sur le terrain nous montrent les armées rompues en de nombreuses colonnes, ou massées en colonnes serrées à l'entrée des champs de bataille. A la fin de la guerre, la grande majorité des officiers a pris l'habitude d'envisager la colonne serrée non pas seulement comme une formation d'attaque, mais comme une formation d'attente et de manoeuvre. C'est alors que Guibert fait connaître la manière la plus simple et la plus rapide de ployer un bataillon en colonne serrée, chaque peloton rompant par le flanc et se portant diagonalement derrière (ou devant) le peloton de base. En même temps, il expose une théorie générale des mouvements d'armée, qui précise les idées demeurées vagues encore chez la plupart de ses contemporains.

Mesnil-Durand expose aussi, presque à la même époque, une théorie générale des mouvements d'armée. Elle présente bien des points communs avec celle de Guibert, puisqu'il s'agit toujours de faire marcher les armées en plusieurs colonnes serrées jusqu'au moment où se prend la formation de combat ; mais elle en diffère profondément en ce que les colonnes de Mesnil-Durand sont toujours les fameuses « jumelles » ployées sur le centre des brigades ou des divisions, tandis que celles de Guibert sont des colonnes par peloton ou division, où les unités se succèdent dans l'ordre où elles étaient rangées de la droite à la gauche (ou inversement) en ordre de bataille.

La plupart des officiers de troupe et des généraux se rallient aux idées de Guibert sur les déploiements et les manoeuvres d'armée, attribuent peu d'importance aux minuties de la tactique linéaire, des alignements et des marches en bataille, mais rejettent aussi les lourdes colonnes de Mesnil-Durand. Ils sont partisans des colonnes serrées « à la Guibert » comme formations de manoeuvre et d'attente.

En revanche, les opinions sont divisées en ce qui concerne le combat lui-même. Les uns se rapprochent de Mesnil-Durand, estimant que l'on doit s'efforcer de combattre à l'arme blanche, d'abréger la fusillade et de charger en colonne. Ce sont donc des partisans de l'ordre profond, bien qu'ils n'admettent pas la plésion et le « système français » en tactique.

Les autres croient le combat par le feu inévitable, jugeant que la bataille commencera toujours par une fusillade que l'on ne pourra éviter ; ils ne croient pas possible d'essuyer le feu de l'ennemi sans y répondre ni de charger sans avoir la supériorité du feu. Enfin, ils ne pensent pas qu'il y ait avantage à charger en colonne en terrain découvert : Frédéric a prouvé que l'on pouvait porter une ligne mince à l'assaut avec toute l'ardeur et la puissance nécessaires. Ils réservent donc les colonnes serrée pour le combat de localités.

En résumé, il existe vers 1772 quatre partis :

1° Celui de Mesnil-Durand, qui non seulement se déclare pour l'ordre profond, mais tient au principe des ploiements et déploiements sur le centre, et n'admet d'autre colonne que la plésion ;

2° Le parti de l'ordre mince ou prussien, qui ne veut pas employer de colonnes serrées et exécute tous les mouvements soit en ligne, soit en colonne à distance entière ;

3° Les officiers qui admettent les colonnes de Guibert pour la manoeuvre et la ligne déployée pour le combat ;

4° Enfin, ceux qui veulent l'ordre profond, les colonnes serrées dans la plupart des cas, mais qui, soucieux avant tout de la mobilité et de l'aptitude manoeuvrière, préfèrent les colonnes de Guibert à celles de Mesnil-Durand.

Vers 1773, c'est-à-dire aussitôt après la publication de l'Essai général de tactique, les partis extrêmes prennent tour à tour une influence prépondérante, et la tactique française de Guibert, Puységur, Castries, risque fort de succomber.

C'est d'abord le parti de l'ordre mince qui, avec Pirch, domine de 1774 à 1776 ; les colonnes serrées disparaissent de l'ordonnance, et les généraux, ceux-là mêmes qui se disaient partisans de l'ordre profond, sont séduits par la simplicité, la rigueur des méthodes d'alignement. On croit tenir le secret des victoires prussiennes et, dès lors, pourquoi chercher mieux ? Pendant plusieurs années, on ne songe qu'à prendre des «  points de vue », à faire converser et déployer avec exactitude des colonnes à distance entière, à faire marcher de longues lignes en bataille, à changer de front.

L'excès où l'on tombe procure, par réaction, quelque crédit à Mesnil-Durand ; le maréchal de Broglie prend sa cause en main, et l'on en vient ainsi à mettre les deux systèmes en présence clans les essais de Vaussieux.

Le résultat en est considérable. C'est, en quelques années, l'écroulement des partis extrêmes. Chacun aperçoit les erreurs où l'on s'est laissé entraîner, soit en abandonnant les colonnes serrées (Guibert même regrette les colonnes d'attaque), soit en les rendant rigides, lourdes, compliquées. Les derniers renseignements venus de Prusse, l'analyse de Saldern par plusieurs officiers français ou allemands, achèvent de discréditer les principes de Pirch.

A partir de 1780, les partis modérés reprennent l'avantage. A de rares exceptions près, nul n'accepte plus ni les procédés de Mesnil-Durand, ni l'emploi exclusif de l'ordre mince. Lorsque Guibert et Wimpfen, partisans du combat en ligne déployée, se trouvent réunis dans un même comité avec Puységur, de Guines, ou Noailles, partisans de l'ordre profond, ils ne sont plus séparés que par des questions secondaires. Tous sont d'avis qu'il faut rendre surtout les troupes aptes à la manoeuvre, leur donner un code d'évolutions complet, avec des formations souples, des mouvements simples et rapides. Tous adoptent, comme formation habituelle de manoeuvre et d'attente pour le bataillon, la colonne de Guibert ; ils admettent que les armées marcheront en colonne à distance entière par peloton sur les routes, se subdiviseront et manoeuvreront en colonnes serrées par divisions en approchant des champs de bataille. Les généraux, tenant ainsi leurs troupes dans la main, pourront en modifier vite et facilement la direction générale, la disposition, et ne les déploieront qu'à la dernière minute, lorsqu'il faudra enfin en venir aux coups de fusil.

Pour tous, cette question de mouvement a pris la première place. Quant au combat lui-même, nul ne songe à le réduire soit à une fusillade, soit à un choc à l'arme blanche. Tous admettent, avec l'ordonnance de 1778 sur le service en campagne, que l'affaire sera engagée par les tirailleurs et le canon ; tous admettent aussi qu'il faudra généralement déployer la plupart des bataillons pour soutenir le combat par le feu ; mais les uns comptent pousser jusqu'au bout et charger à la baïonnette en ordre mince ; les autres pensent qu'il faudra se former le plus tôt possible en colonnes d'attaque (une par bataillon) pour charger avec plus d'élan et de force. Il ne semble pas, d'ailleurs, que personne se croie bien certain de la tournure que prendront les batailles de l'avenir ; admettant, qu'il faudra combattre tantôt en ligne, tantôt en colonnes, on laisse aux circonstances le soin de se prononcer.

C'est à la guerre, sur les champs de bataille, que l'on décidera, s'il le faut, entre l'ordre mince et l'ordre profond.

Les feux - Les tirailleurs - Ordre mince et ordre profond

Table des matières - Introduction - Chapitre I - Chapitre II - Chapitre III - Chapitre IV
Exclusion des partis extrêmes -L'instruction provisoire du 20 mai 1788 - L'instruction « de M. de Noailles » - L'ordonnance du 1er août 1791 - Les doctrines tactiques du XVIIIe siècle
Planche 1 - Planche 2 - Planche 3 - Planche 4 - Planche 5

 

Note 01  : En 1791, les compagnies ont été dédoublées et se confondent avec les pelotons comme avant 1776.

Note 02  : Le chevalier Bourcard, chargé de dessiner les figures des règlements, était probablement officier dans un régiment suisse.

Note 03  : Ministre de la guerre.

Note 04  : Ce texte a été écrit en 1907.

Note 05 : Le développement de la « tiraillerie » profite à l'instruction du tir. Le feu des bataillons, même à volonté, s'exécute dans un nuage de fumée qui rend toute précision illusoire ; mais on s'occupe (bien peu encore, il est vrai) d'instruire le tireur quand il doit faire usage de son arme isolément, en tirailleur.