L’infanterie au XVIIIe siècle - LA TACTIQUE

 

CHAPITRE II

LA GUERRE DE SEPT ANS  

 

Table des matières - Introduction - Chapitre I
Tactique française pendant la guerre - Instructions du maréchal de Broglie - Le règlement de 1764 - Critique du règlement de 1764 - Ordonnance de 1766 - Les colonnes de Guibert - L’instruction de 1769 pour les troupes légères - La tactique française de 1770 - L’" Essai général de tactique " de Guibert
Chapitre III - Chapitre IV - Chapitre V
Planche 1 - Planche 2 - Planche 3 - Planche 4 - Planche 5

I - Tactique française pendant la guerre

Les connaissances que l'on possède habituellement sur la partie française de la guerre de Sept ans se bornent à savoir que nos troupes ont été mal commandées et souvent battues. Ce n'est pas ici le lieu de discuter cette opinion, en opposant les campagnes de 1757-1762 à d'autres plus vantées ; mais, ce qu'il faut écarter avant tout, c'est la pensée que ces troupes mal commandées devaient être médiocres à tous les points de vue et, en particulier avoir une mauvaise tactique.

La période de 1757 à 1762 est au contraire une des plus intéressantes au point de vue tactique, car on y voit soumettre aux épreuves de la guerre les divers systèmes proposés depuis trente ans : lignes minces, colonnes, tirailleurs ; formations d'attente en masse ; canons de bataillon ; système divisionnaire, etc. ; on voit tout essayer, avec un mépris de la routine et un désir de progrès qui conduiront à la refonte totale de nos règlements et de notre tactique.

Les canons à la suédoise, sur lesquels on avait fondé tant d'espérances vers 1740, avaient complètement échoué à Fontenoy ; les pièces longues, plus puissantes, composaient désormais les équipages d'artillerie ; cependant, comme on n'avait pas assez de canonniers pour servir un nombre de canons égal à celui qui était en usage dans les armées étrangères, une ordonnance du 20 janvier 1757 donna à chaque bataillon d'infanterie une pièce à la suédoise. Les relations, malheureusement peu circonstanciées, ne permettent guère d'apprécier le rôle de ces canons de bataillon dans les combats ; il semble que leur mitraille ajouta son effet à celui de la mousqueterie, sans se distinguer par une efficacité particulière.

Toutes les fois que l'on eut à livrer bataille en terrain peu accidenté, comme à Crefeld, l'infanterie conserva la disposition classique sur deux lignes de bataillons déployés. Les grenadiers et piquets furent employés seulement à repousser les avant-postes de l'ennemi en avant du front.

Nous trouvons cependant l'ordre profond dans quelques batailles, comme celles de Rosbach et de Minden.

A la désastreuse affaire de Rosbach, les troupes franco-impériales marchaient sur trois colonnes étroitement serrées l'une contre l'autre lorsqu'elles furent surprises et, se gênant mutuellement, elles n'eurent pas le temps de se déployer. Cependant, les régiments de tête, tels que Piémont, Saint-Chamant, purent se mouvoir, et il est à constater qu'ils n'eurent d'autre idée que de former la colonne d'attaque et foncer sur l'ennemi. Le feu des Prussiens arrêta presque aussitôt cette velléité de charge et ramena nos officiers à de plus justes notions sur la supériorité de l'arme blanche. Nous ne parlerons pas davantage ici de ce désastre, dû à des causes tout étrangères à la tactique élémentaire ; le seul point qui nous importe, c'est que la formation dans laquelle se sont rangées les seules troupes qui aient pu manoeuvrer, c'est la colonne d'attaque.

L'ordre donné par le maréchal de Contades (01) pour la bataille de Minden, le 1er août 1759, est particulièrement intéressant, parce qu'on y voit paraître l'ordre mixte :

" Chaque brigade d'infanterie de première ligne formera son premier bataillon en colonne, et les autres en bataille. La seconde ligne sera formée dans le même ordre que la première. "

Pour se porter à l'attaque, " chaque brigade d'infanterie et de cavalerie marchera en colonne par bataillons et par escadrons de front, observant leur distance d'une brigade à l'autre pour pouvoir se ranger en bataille. Le premier bataillon de chaque brigade, à qui il est ordonné de se former en colonne, conservera cette disposition soit en marche, soit en bataille...

M. le duc d'Avré..... aura des postes de l'infanterie de ses troupes légères pour tenir les hauteurs de la montagne contre les chasseurs et autres infanteries légères de l'ennemi. "

La variété des formations est plus grande encore dans cette foule de combats qui furent livrés dans les terrains coupés de Hesse et de Westphalie.

A Hastembeck (02), Chevert engage sa division sur des hauteurs boisées. Il fait avancer d'abord les grenadiers et ses quatre brigades avec quelques piquets et, des volontaires. Quoique la relation n'entre ici dans aucun détail, il semble bien que, sous bois, ce ramassis de détachements divers n'a pu combattre qu'en tirailleurs, sauf peut-être les grenadiers tenus en réserve.

La brigade de Picardie longeait la lisière des bois en colonne par bataillon ; les brigades de la Marine et d’Eu la suivaient dans la même formation ; lorsqu'il fallut pénétrer dans le fourré, elles se rompirent par pelotons pour le traverser en plusieurs colonnes. Dès qu'elles en furent maîtresses, on jugea impossible de les maintenir dans un ordre aussi dense et on les reporta à la lisière, a de manière que la brigade d'Eu se trouva à côté du fourré en colonne par pelotons, et les trois autres brigades se portèrent à environ 5 ou 6 pas l'une de l'autre ". Le reste de la journée, de ce côté, ne présente plus d'opération intéressante, car on se borne à peu près à une canonnade sans grand résultat.

A Clostercamp (03), le 16 octobre 1760, la brigade d'Auvergne marche à l'ennemi en colonne, la gauche en tête, et le charge au débouché de Camp. La brigade d'Alsace, au contraire, se déploie dans la plaine pour attaquer de front la lisière du village. La brigade de La Tour-du-Pin débouche en colonne, puis déploie tour à tour sur la droite ses 2e et 1er bataillons ; enfin, les deux autres se forment aussi en bataille aux dernières haies du village, " voyant sur la bruyère avec leurs quatre pièces de canon ". La brigade de Normandie (six bataillons) se porte entre Auvergne et Alsace et demeure provisoirement en colonne, puis, l'ennemi prenant l'avantage sur Auvergne, elle déploie son premier bataillon et charge.

A Sundershausen (04), le 23 juillet 1758, le gros de la division française (douze bataillons) est déployé ; à 200 mètres en avant, sept compagnies de grenadiers sont éparpillées en tirailleurs ; trois autres sont également en tirailleurs dans un petit bois qui couvre notre droite, et les volontaires dans les bois situés à la gauche du front. Au moment de l'attaque, ces volontaires débordent la droite ennemie et leur action est très efficace. Les brigades de Rohan et de Royal-Bavière exécutent correctement un changement de front à gauche pour répondre à un mouvement tenté de ce côté par l'ennemi.

Au combat de Lutternberg (05), le 10 octobre 1758, même disposition : pas de colonnes, des bataillons déployés et des tirailleurs, c'est-à-dire tous les modes de combat par le feu. Notre droite se forme en trois petites colonnes pour traverser les bois et se déploie au débouché. Elle est couverte de tirailleurs sur son front et surtout sur son flanc droit, où sont tous les chasseurs et les troupes légères. Les bataillons qui forment le gros de l'armée se déploient dès le début du combat.

Le 5 août de la même année, sur un terrain tout différent, Chevert a été surpris près de Meer (06). Une lettre écrite par le colonel du régiment de Périgord nous fournit les détails les plus complets sur la manière dont sa troupe a combattu : " Notre infanterie, après avoir débouché en bataille et s'être ensuite, suivant les différentes positions du terrain, rompue par quart de rang et peloton, avait occupé différents vergers et enclos, où elle était restée en bataille... Quelques troupes à notre gauche se retirèrent avec précipitation. Dès que je m'en aperçus, je portai sur-le-champ tout le régiment de Périgord dans les haies les plus avancées, en gagnant de haie en haie et criant : " Vive le roi ! " Le régiment de Royal-Lorraine suivit en avant le régiment de Périgord, marchant à la même hauteur et occupant également les haies les plus avancées. Ces deux régiments essuyèrent alors une décharge de l'ennemi à bout portant. Ils la soutinrent de pied ferme, la baïonnette au bout du fusil, sans tirer un seul coup et sans avoir été ébranlés ni rompus par l'événement des morts et des blessés. Je fis ensuite tirer le régiment de Périgord par pelotons, ayant gardé encore quelque temps la position. Enfin, voyant le terrain de la gauche qui n'était plus du tout occupé, et les ennemis par plusieurs troupes nous prenant en flanc, le régiment de Périgord fit sa retraite après avoir été rompu trois fois par le feu de l’ennemi. Je le ralliai chaque fois, faisant face à l'ennemi, et par les feux de peloton et un feu à volonté, je fis ma retraite. "

Le rapport de Melford (07) sur le combat de Lippstadt (2 juillet 1759) est d'autant plus intéressant qu'il est accompagné d'un croquis détaillé où sont figurés les tirailleurs des deux partis, en même temps que les troupes dont ils sont détachés. Melford, se portant sur Lippstadt, fait d'abord mettre pied à terre à des dragons pour refouler les chasseurs hanovriens ; puis, afin de couvrir sa droite, il place un piquet d'infanterie à l'angle d'une haie. Enfin, sa colonne étant arrivée à hauteur de l'avant-garde, ses bataillons déploient leurs tirailleurs sur un front de 500 mètres environ. Ces tirailleurs sont suivis de près par des soutiens.

La bataille de Berger (13 avril 1759) [08] est la première qui nous présente une réserve générale dans une formation massive, à la place de la seconde ligne généralement adoptée : derrière le village de Bergen, occupé par huit bataillons, le duc de Broglie " mit en colonnes les cinq bataillons de Piémont et de Royal-Roussillon et les deux d'Alsace pour les soutenir en cas de besoin, et derrière ce régiment étaient ceux de Castella et de Diesbach, formés aussi en colonnes, ainsi que les régiments de Rohan et de Beauvoisis, pour être en état de marcher au village lorsqu'il serait nécessaire.

" A la gauche furent placés le corps des Saxons et, derrière eux, en réserve, les régiments de Dauphin, Enghien, Royal-Bavière, Nassau, Bentheim, Berg et Saint-Germain, formant trois brigades.

" Toute cette disposition fut finie à 8 heures, et on commença en même temps à voir venir quelques troupes légères des ennemis, qui attaquèrent nos Volontaires dans un bois en avant de la gauche et à la tête des haies du village de la droite. "

Ce combat de tirailleurs sous bois dura toute la journée, sans décision. Autour de Bergen, les troupes réglées combattirent tour à tour en ligne (ou en tirailleurs) et. en colonnes : " Les ennemis parurent sur les 9 heures et demie après avoir fait leurs dispositions à la faveur d'un rideau qui les couvrait, et ils vinrent sur trois colonnes attaquer le village de Bergen. L'attaque commença à 10 heures avec la plus grande vivacité. Comme M. le duc de Broglie vit que les ennemis y portaient beaucoup de forces, il chargea M. le chevalier Pelletier de diriger sur la tête du village par où les ennemis arrivaient la plus grande partie de l'artillerie du parc, et il fit entrer par la rue du village le régiment de Piémont et celui de Royal-Roussillon, en même temps que les deux bataillons d'Alsace et les régiments de Castella et de Diesbach se portèrent sur le flanc droit. Cela arrêta les ennemis, qui revinrent cependant sur-le-champ avec de plus grandes forces et firent même reculer nos troupes quelques pas. Alors M. le duc de Broglie mena le régiment de Rohan le long des vergers, fit entrer celui de Beauvoisis par la rue du village, et ordonna qu'ils fussent soutenus par Dauphin et Enghien. "

Comme on le voit par cet exemple, le duc de Broglie (09) s'était complètement affranchi des errements trop réguliers de la génération précédente et il employait, selon les cas, les formations en bataille et en colonnes, et les tirailleurs ; mais, en ce qui concerne ces derniers, les relations de combats sont trop succinctes pour mentionner ce qu'on appellera plus tard les " tirailleurs de bataillon ", tels que nous les avons vus au combat de Lippstadt ; nous n'apercevons que les Volontaires, par bataillons entiers, combattant à la façon des Grassins, c'est-à-dire des " tirailleurs en grandes bandes ". Nous savons heureusement, par d'autres documents, que le duc de Broglie institua dans chaque bataillon de ligne des compagnies de chasseurs pour combattre en tirailleurs.

Accusé de vouloir les séparer de leurs corps et les employer isolément, il se disculpe auprès du ministre (30 mars 1760), en protestant qu'il n'a pas l’intention de les former en détachements spéciaux et que, les jours de bataille surtout, il les laisse à leurs bataillons respectifs, où ils sont fort utiles :

" Quelques régiments d'infanterie, tels que Champagne, Navarre, Belsunce, Auvergne, Le Roi et plusieurs autres avaient exercé l'hiver dernier 50 soldats par bataillon à tirer et à combattre dans le goût des troupes légères. On s'en est servi fort utilement la campagne dernière, et notamment dans la retraite de Minden, le jour que l'armée passa à côté d'Hameln. Il est à remarquer que cette idée ne venait point de moi, qu'il n'y avait dans ma réserve aucun régiment qui en eût, et que même aucun de ceux qui en avaient formé n'avait été à mes ordres ni hiverné sur le Mein.

" On m'a beaucoup parlé, à la fin de la campagne, de la bonté de cet établissement et de l'utilité qui pouvait résulter, dans beaucoup de circonstances, d'avoir 50 hommes par bataillon qui fussent exercés à tirer avec justesse ; on m'a proposé de mander à tous les régiments de dresser ainsi 50 hommes par bataillon, ce que j'ai chargé M. de Belsunce de faire.

" Quelques colonels m'ont fait faire les mêmes objections qui sont contenues dans la lettre dont vous m'honorez, et j'ai chargé M. de Belsunce de leur répondre que leurs craintes étaient imaginaires, que mon intention n'était en aucune façon de faire faire à ces piquets le service des troupes légères, ni de les tenir continuellement séparés de leurs corps, et surtout les jours d'affaires. "

Le ministre refusera, en 1762, de créer définitivement des compagnies de chasseurs dans les bataillons de ligne, mais le maréchal de Broglie, dans l'ordonnance de 1764, rédigée par lui, recommandera l'emploi d'une section en tirailleurs en avant de chaque colonne d'attaque.

Au cours de la guerre, et tout en créant des compagnies de chasseurs, le maréchal de Broglie fait exercer toutes les troupes au feu de billebaude, qu'il considère comme le plus efficace, et il emploie successivement tous les bataillons de l'armée à ce qu'on appelait alors la " petite guerre ", c'est-à-dire aux reconnaissances, expéditions, détachements de toute sorte, où les cadres et la troupe s'aguerrissaient plus que dans le courant ordinaire des marches et des batailles rangées, acquéraient de la souplesse et de l'initiative et, s'ils rencontraient l'ennemi, combattaient dans les localités, le plus souvent en tirailleurs.

Que doit-on conclure de ces différents exemples ? En premier lieu, que la ligne déployée reste la formation de combat la plus ordinaire, celle qu'adoptent presque toujours les généraux, fussent-ils partisans déclarés de l'ordre profond en temps de paix. Les bataillons restent en ligne mince, non seulement en terrain découvert, en plein champ, mais aussi à des lisières de vergers et de jardins, le long des haies. Pourtant, les colonnes sont d'un usage assez fréquent pour les combats de poste ou en cas de surprise, et il est évident que tous nos officiers considèrent l'ordre profond comme avantageux en beaucoup d'occasions ; l'ordre mixte lui-même commence à être connu. Il n'y a pas de combat sans tirailleurs. On les trouve assez souvent éparpillés en avant de la troupe réglée, qu'elle soit en ligne ou en colonne ; mais on les rencontre plus souvent en grandes bandes, d'un ou de plusieurs bataillons, opérant offensivement ou défensivement sur les ailes de l'armée, dans un bois ou dans un village.

La colonne, avons-nous dit, est employée quelquefois comme formation de combat; mais c'est surtout comme formation d'attente ou de marche qu'elle parait sur les champs de bataille. Ce n'est pas un des sujets les moins dignes d'attention présentés par ces combats en Westphalie et dans la Hesse, que les nombreuses petites colonnes traversant bois et villages, se déployant et se reformant à plusieurs reprises. A coup sûr, notre infanterie a beaucoup gagné en souplesse et, entre les mains de chefs plus habiles, elle pourrait obtenir des succès décisifs, malgré la précision plus grande de ses adversaires.

 

Table des matières - Introduction - Chapitre I
Tactique française pendant la guerre - Instructions du maréchal de Broglie - Le règlement de 1764 - Critique du règlement de 1764 - Ordonnance de 1766 - Les colonnes de Guibert - L’instruction de 1769 pour les troupes légères - La tactique française de 1770 - L’" Essai général de tactique " de Guibert
Chapitre III - Chapitre IV - Chapitre V
Planche 1 - Planche 2 - Planche 3 - Planche 4 - Planche 5

II - Instructions du maréchal de Broglie

Dans un ordre d'idées analogue, il faut remarquer les dispositifs de marche pris à l'approche des engagements. Depuis Luxembourg jusqu'à Maurice de Saxe, nos généraux ne formaient de leurs armées qu'un petit nombre de colonnes, et la longueur de ces colonnes ralentissait singulièrement les déploiements. Pendant la guerre de Sept ans, on voit multiplier les colonnes dans les marches d'approche, afin de leur permettre de se déployer rapidement. Les Prussiens pouvaient, grâce à la précision de leurs mouvements, passer rapidement de l'ordre de marche à l'ordre de bataille sans former plus de deux ou trois colonnes; la médiocrité de l'instruction dans les troupes françaises obligeait à chercher d'autres solutions.

Il faut donner une attention particulière, à ce point de vue, à la célèbre Instruction du maréchal de Broglie pour la campagne de 1760, Instruction qui régularise et fixe l'organisation divisionnaire, déjà ébauchée depuis les campagnes de 1746, 1747 et 1748 (10).

L'infanterie est divisée en quatre divisions égales dont la composition reste constante durant toute la campagne. " L'armée marchera ordinairement sur six colonnes. Chaque aile de cavalerie et chaque division d'infanterie formera la sienne... Lorsque l'armée marchera sur quatre colonnes, la première ligne de l'aile droite de cavalerie marchera avec la première division, etc.

" Les jours de marche,... l'on fera rompre les régiments d'infanterie par pelotons par la droite ou par la gauche,... observant de ne laisser d'un peloton à l'autre que 3 pas... en sorte que les troupes puissent être en bataille en un instant dès qu'on battra le drapeau. Comme rien n'est si important que de pouvoir être promptement en bataille, on accoutumera les troupes à exécuter ces mouvements avec la plus grande célérité...

" MM. les officiers généraux commandant les colonnes donneront la plus grande attention à ce qu'elles conservent entre elles pendant toute la marche le terrain nécessaire pour se mettre en bataille au premier ordre.

" Une fois pour toutes, dès que les officiers généraux commandant les colonnes auront été avertis qu'ils sont proches des ennemis, ils observeront et feront observer ce qui suit :

" 1° Ils formeront au moins deux colonnes de celle qu'ils conduisent, et même davantage, si cela est possible, les composant chacune moitié de troupes de la première ligne et moitié de la seconde ;

" 2° Ils feront toujours garder d'une colonne à l'autre les distances nécessaires pour se mettre en bataille tout d'un coup, et toutes les colonnes à la fois ; pour cela, ils chargeront un officier-major intelligent de marcher entre les deux colonnes pour les avertir si elles se serraient ou s'ouvraient trop ;

" 3° Dès qu'on approchera du terrain où l'on voudra se former, ou que, par l'approche de l'ennemi, on sera obligé à le faire, les bataillons ou escadrons se serreront les uns aux autres, ne dardant que 12 pas de distance ; les officiers mettront pied à terre, et au premier commandement les colonnes se mettront en bataille par un à-droite ou un à-gauche ;

" 4° En même temps que la première ligne se mettra en bataille, la seconde ligne et les réserves s'y mettront aussi, gardant 300 pas de distance d'une ligne à l'autre, ou les prenant en marchant en avant après que les lignes seront formées. Tous ces mouvements se feront aussi vite qu'il sera possible, et au pas redoublé.

" Il sera formé par brigade un bataillon de grenadiers et chasseurs... Il y aura un lieutenant-colonel ou commandant de bataillon nommé pour commander pendant toute la campagne chaque bataillon de grenadiers et chasseurs. "

D'après cette Instruction, chaque division pouvait être de seize bataillons au plus qui, en colonne par pelotons à 3 pas, et avec 12 pas entre les bataillons, occupaient une profondeur totale d'environ 1 000 pas. Ces divisions étant formées en deux colonnes à l'approche de l'ennemi, chaque colonne était longue de 500 pas. Le déploiement se faisant séparément pour les troupes de la première et de la deuxième ligne, c'était seulement quatre bataillons, dont la profondeur était de 250 pas, qu'il s'agissait de déployer au dernier moment, sous la protection des quatre bataillons de grenadiers et chasseurs qui formaient l'avant-garde de la division. Les procédés indiqués par le duc de Broglie semblaient donc assurer le déploiement rapide de son armée. Il est à remarquer que cette Instruction ne vise que l'ordre de bataille en ligne, malgré les préférences manifestées par l'auteur pour l'ordre profond, et l'application qu'il en a faite à Bergen.

Un manuscrit intitulé: Observations sur l'armée française en Allemagne (11), écrit sous l'inspiration du maréchal de Broglie, forme une suite naturelle à son Instruction. Il y est question des manoeuvres à faire pendant les cantonnements d'hiver.

" Pour bien donner l'intelligence des manoeuvres dont on peut ordonner l'exécution pendant une bataille, il faut commencer par établir la force des divisions et le rapport de leurs manoeuvres particulières avec le mouvement général de l'armée.

" Un lieutenant-général attaché à l'infanterie doit avoir sous ses ordres seize bataillons et huit pièces de parc ; un maréchal de camp, huit bataillons et quatre pièces ; un brigadier, quatre bataillons.

" Un lieutenant-général attaché à la cavalerie aura sous ses ordres vingt-quatre escadrons, huit pièces de parc ; un maréchal de camp, douze escadrons et quatre pièces, et un brigadier, six escadrons.

" Les manoeuvres d'une armée consistent en quatre principales :

" 1° Déployer les colonnes en bataille sur deux lignes ;

" 2° Charger l'ennemi, en ligne ou posté, avec différentes armes, et faire un quart de conversion des troupes victorieuses sur le flanc de l'ennemi ;

" 3° Former la retraite générale de l'armée ;

" 4° Reformer l'armée après une victoire ;

" Et quatre de détail pour des divisions :

" 1° Former des colonnes de retraite par division ;

" 2° Attaquer l'infanterie hors de ligne avec des divisions de cavalerie ;

" 3° Faire soutenir une attaque séparée par l'arme la plus propre à procurer le succès au corps qui attaque ;

" 4° Tourner un poste ennemi par une manoeuvre vive sur son flanc ou sur ses derrières.

ORDRE DE BATAILLE EN PLAINE

" (NOTA. - De cet ordre on peut aisément former des colonnes pour attaquer des postes ou des villages, et comme les positions varient à l'infini, on ne parle pas ici des attaques de postes.)

" L'infanterie au centre, la cavalerie sur les ailes. L'infanterie du centre sera séparée en trois (12) sections de première et de deuxième ligne ; chaque section sera composée de deux divisions de lieutenant-général ; chaque division..., avant huit bataillons en première ligne et huit en deuxième ligne, aura en troisième ligne, vis-à-vis de l'intervalle qui la sépare de l'autre, quatre escadrons de piquet en colonne pour charger l'infanterie ennemie au premier désordre, et l'empêcher de se rallier. Ces piquets ne seront point chargés et n'auront que leurs manteaux.

" La cavalerie des ailes sera en muraille en première ligne, et avec des intervalles en deuxième ; chaque extrémité d'aile sera renforcée par une brigade d'infanterie en colonne pour pouvoir, par un à-droite ou à-gauche par bataillon, former un flanc et faire feu sur ceux qui poursuivraient la cavalerie après l'avoir enfoncée.

" Les dragons et hussards seront partagés en deux, la moitié en troisième ligne derrière la droite, et la moitié en troisième ligne derrière la gauche ; ils seront en colonne par escadrons pour déboucher sur le flanc de l'aile de cavalerie ennemie, si la première charge a du succès ; si au contraire notre cavalerie était battue, ils pourraient faire un quart de conversion sur le flanc de la retraite de la cavalerie et charger les vainqueurs en flanc, tandis que la brigade d'infanterie de l'aile ferait aussi une décharge sur le flanc.

" La réserve sera composée des grenadiers, des carabiniers, de la gendarmerie, de deux brigades d'infanterie et de deux de cavalerie...

PREMIERE MANOEUVRE - DÉPLOIEMENT DE L'ARMÉE

" Les colonnes seront disposées de façon que les troupes puissent prendre sur-le-champ leur ordre de bataille en se formant par la gauche, l'infanterie au pas redoublé et la cavalerie au galop. Dès que les têtes des colonnes seront à portée du terrain où l'armée doit se déployer, on avertira par une bombe de carton qui crèvera en l'air; aussitôt toute l'infanterie battra le drapeau, et la cavalerie fera son mouvement, après avoir sonné un appel. MM. les officiers généraux se distingueront par la promptitude avec laquelle leurs divisions feront leur mouvement, par l'alignement des troupes qu'ils commandent et la justesse des intervalles.

DEUXIEME MANOEUVRE - CHARGE DE LIGNE OU DE POSTE

" Les trompettes sonneront et l’on battra la charge sur tout le front ; l'infanterie marchera au pas redoublé, la cavalerie au grand trot, et l'infanterie conservera son feu le plus longtemps possible.

Infanterie

" L'objet de chaque commandant de division doit être d'ébranler l'ennemi par le feu de sa première ligne, et de l'attaquer au pas redoublé, la baïonnette basse. La deuxième ligne d'infanterie doit marcher serrée et porter ses armes, mais au pas redoublé aussi. Les quatre escadrons de la division doivent déboucher ventre à terre sur la troupe rompue, et la culbuter sur la deuxième ligne, l'infanterie victorieuse rappelant, se réunissant, et remarchant toujours au pas redoublé à la deuxième ligne, qu'il lui sera aisé d'emporter par le désordre où l’aura mise la retraite de la première. Dès que les sections de l'infanterie auront percé et dispersé les deux lignes d'infanterie ennemie, elles se rassembleront, se remettront quelques instants, et feront un quart de conversion sur le flanc de la partie d'infanterie du front de la ligne qui tiendrait encore, pour achever sa défaite.....

" Les principes de l'attaque des postes sont de s'y porter en colonne par bataillon ou demi-bataillon, selon le terrain, et de se déployer le plus qu'il est possible le long des haies ou retranchements dont on a chassé l’ennemi, pour prendre de toutes parts des flancs et des revers sur les troupes qui résistent, afin de gagner la tête du village ou le parapet du retranchement, jusqu'à ce qu'on reçoive ordre de déboucher. La cavalerie des divisions doit tourner le village pour tomber sur l'infanterie qui en sort en désordre .....

TROISIÈME MANOEUVRE - RETRAITE

" Si plusieurs attaques successives ne réussissaient pas, le général fera tirer vingt bombes de carton qui crèveront en l'air; à ce signal, toutes les divisions d'infanterie se mettront en colonne par deux bataillons, et laisseront leurs chasseurs et grenadiers dans les intervalles des colonnes.....

QUATRIEME MANOEUVRE DE DÉTAIL

" Si un officier général s'aperçoit, par la situation du terrain ou des ennemis, qu'il peut leur dérober la marche de sa division sur leur flanc, soit à la faveur des blés, haies, coteaux, ou autrement, il est certain que cette manoeuvre l'étonnera d'autant plus qu'elle l'oblige à changer son ordre dans le milieu de l'action, et les troupes surprises sont toujours plus disposées à fuir qu'à prendre un parti. Il faut que cette marche soit sans avant-garde, et que les premiers coups de fusil soient tirés par les grenadiers, ou les coups de sabre donnés par les escadrons, qui doivent alors être en muraille pour causer un plus grand désordre. S'il s'agit, comme à Laufeld, de couper une colonne qui rafraîchit un village, il faut disposer les divisions comme pour l'attaque de ligne sur un petit front ".

En résumé, l'infanterie française, ne possédant pas la précision et l'entraînement des troupes prussiennes, veut compenser cette infériorité en manoeuvrant par divisions ou brigades en colonnes, faciles à mouvoir et à déployer. A vrai dire, les troupes et les règlements sont suffisants. Il ne manque que des chefs.

 

Table des matières - Introduction - Chapitre I
Tactique française pendant la guerre - Instructions du maréchal de Broglie - Le règlement de 1764 - Critique du règlement de 1764 - Ordonnance de 1766 - Les colonnes de Guibert - L’instruction de 1769 pour les troupes légères - La tactique française de 1770 - L’" Essai général de tactique " de Guibert
Chapitre III - Chapitre IV - Chapitre V
Planche 1 - Planche 2 - Planche 3 - Planche 4 - Planche 5

III - Le règlement de 1764

En 1762, la guerre étant terminée, le ministre Choiseul, qui projette une réorganisation générale de l'armée, réunit un comité où le maréchal de Broglie prend naturellement une place prépondérante, mais ne parvient pas, cependant, à faire instituer une compagnie de chasseurs par bataillon.

La nouvelle organisation accomplit un progrès important en réduisant le nombre des compagnies à huit par bataillon (grenadiers non compris). Le peloton, unité de manoeuvre, se trouve ainsi confondu avec la compagnie, unité organique. Les mots de peloton et de compagnie deviennent synonymes dans les ordonnances de manoeuvre. La section est un demi-peloton, c'est-à-dire une demi-compagnie.

Le règlement de 1764, rédigé par le maréchal de Broglie ou du moins sous sa direction, est la suite immédiate des événements observés pendant la guerre de Sept ans.

Comme on a surtout reproché à nos troupes le défaut de discipline et d'exactitude, cette ordonnance a un souci tout particulier de précision, et elle comprend une foule de règles relatives à la discipline et à l'exercice, dont beaucoup sont empruntées aux Prussiens. Elle est rédigée avec un soin méticuleux et incomparablement supérieure, à tous égards, à celles qui l'ont précédée. Toutes les prescriptions renouvelées de nos ,jours sur l'instruction par compagnie, l'instruction individuelle, etc., y sont très explicitement formulées.

L'ordonnance entre dans les plus grands détails sur la position du soldat, soit de pied ferme, soit en marchant, et sur les différents pas. Elle tâche de faire comprendre que la précision rigoureuse dans ces éléments de toute manoeuvre est la première condition pour éviter la lenteur et la confusion dans l'ensemble.

De même que la précédente, elle admet les formations sur trois et six rangs, mais celle-ci d'une manière exceptionnelle. Les grenadiers doivent toujours rester sur trois. La distance entre les rangs serrés est de 1 pied ; elle est de 2 pas quand les rangs sont demi-ouverts, et de 4 pas quand ils sont ouverts.

" Hors le cas de parade, toutes les fois, qu'un bataillon rompu à trois de hauteur sera en colonne par quelque division que ce soit, les rangs n'observeront entre eux que 2 pas de distance...

" Si, le bataillon étant rompu à six de hauteur, on veut lui faire ouvrir les rangs, on fera garder la même distance du dernier rang de leur division à celui qui sera à la tête de la division suivante, lequel marchera éloigné aussi de 2 pas de son premier rang... "

En apparence, la colonne d'attaque de 1764 diffère peu de celle qui avait été adoptée en 1755 ; elle se compose aussi de pelotons successifs, se ployant les uns derrière les autres, de manière que les deux sections du centre forment l'élément de tête, et les deux sections extrêmes l'élément de queue. Ces pelotons sont encore sur six rangs, mais, cette fois, il y a 2 pas de distance entre le dernier rang d'un peloton et le premier rang du suivant ; ces 2 pas suffisent à marquer l'abandon des idées de Folard, qui voulait une colonne " serrée et surpressée ". Au lieu d'une masse compacte, condamnée à la confusion, l'on aura désormais une formation relativement souple.

L'ordonnance de 1764 admet une colonne de deux bataillons ayant même profondeur que celle d'un bataillon et, par suite, un front double : elle se forme sur les deux pelotons par lesquels ces deux bataillons sont en contact.

La colonne de retraite est la même que dans le règlement de 1755.

Le chapitre des feux est particulièrement étudié. Les feux de section, de peloton, quart de rang, demi-rang et bataillon sont définis avec plus de soin ; on y a joint le feu de parapet. Ce dernier est un retour à d'anciennes pratiques : deux files de 3 hommes se portent en avant, se forment sur deux, tirent et rentrent à leur poste, tandis que les deux suivantes exécutent le même mouvement.

Ce chapitre se termine par un passage qui fait la plus grande originalité de ce règlement, car c'est le seul, dans toutes les ordonnances sur l'exercice de l'infanterie, qui fasse mention de tirailleurs. I1 réglemente les dispositions prises pendant la guerre de Sept ans pour l'emploi des tirailleurs :

" Il serait inutile d'apprendre à tirer en marchant ; car il faut bien imprimer dans l'esprit de l'officier et du soldat qu'on ne doit jamais s'amuser à faire feu que lorsqu'il est absolument impossible, par rapport à des obstacles insurmontables du terrain, de charger les ennemis à l'arme blanche ; que la vraie force de l'infanterie consiste dans son impulsion, et à joindre promptement les ennemis sans tirer, et qu'il n'y en a point dont la nation française ne vienne aisément à bout en suivant cette méthode ; rien n'empêchera cependant, toutes les fois qu'on marchera en avant ou en arrière, de détacher de la droite ou de la gauche de chaque bataillon une demi-section, pour s'éparpiller sur tout le front et y faire à volonté un feu de billebaude et bien ajusté, et ensuite se retirer par les intervalles derrière le bataillon lorsqu'on sera très près des ennemis. "

En résumé, ce règlement de 1764 paraît avoir emprunté à toutes les théories émises dans le passé ce qu'elles ont de meilleur : l'infanterie reste formée sur trois rangs et combat le plus souvent par le feu ; la colonne d'attaque est non seulement adoptée, mais recommandée, et l'on peut dire que les prescriptions relatives au combat sont inspirées par l'esprit offensif le plus caractérisé. La forme nouvelle adoptée pour la colonne concilie les quelques idées justes de Folard et de Mesnil-Durand avec une souplesse qui manquait à la plésion de 1755. Enfin, l'emploi des tirailleurs, qui s'est imposé depuis longtemps dans la pratique, reçoit une consécration officielle.

 

Table des matières - Introduction - Chapitre I
Tactique française pendant la guerre - Instructions du maréchal de Broglie - Le règlement de 1764 - Critique du règlement de 1764 - Ordonnance de 1766 - Les colonnes de Guibert - L’instruction de 1769 pour les troupes légères - La tactique française de 1770 - L’" Essai général de tactique " de Guibert
Chapitre III - Chapitre IV - Chapitre V
Planche 1 - Planche 2 - Planche 3 - Planche 4 - Planche 5

IV - Critique du règlement de 1764

Chose singulière, et qui prouve à quel point le corps d'officiers était en progrès, ce qu'on reprochera surtout aux rédacteurs de cette ordonnance, c'est de n'avoir pas rompu assez complètement avec les complications inutiles et les manoeuvres surannées des derniers règlements ; et bon nombre de critiques réclament une plus grande proportion de tirailleurs.

Un officier général, qui paraît être le prince de Montbarey, écrit :

" Marcher, en conservant ses distances, tous les pas ordonnés ;

" Se rompre dans tous les sens possibles, par section, par demi-section, division, demi-bataillon, bataillon ;

" Faire les quarts de conversion ;

" Doubler et dédoubler les files par sections ;

" Voilà à quoi je voudrais borner toutes les manoeuvres ; voilà ce qu'il faudrait exiger du soldat et de l'officier, et être de la rigidité la plus sévère pour qu'ils parviennent au plus haut point de perfection sur tous les objets d'après lesquels toutes les manoeuvres et tous les mouvements sont aisés.

" J'ajoute que toutes les autres manoeuvres ne servent à rien, que jamais à la guerre on ne forme la colonne d'attaque, ni de retraite, que le passage du pont ne s'y fait jamais par le mouvement ordonné, que tout doublement ou dédoublement de files par hommes comptés ne peuvent être exécutés à la guerre et ne peuvent avoir été imaginés par un militaire pratique ; qu'il est bien plus simple d'y substituer un doublement qui ne soit pas sujet aux dérangements occasionnés par les coups de fusil, et qui puisse s'exécuter en tout temps ; enfin que toutes ces manoeuvres sont des récréations d'aides-majors et des connaissances inutiles qui surchargent l'intelligence du soldat. "

D'autres critiques s'en prennent à la colonne, encore un peu compliquée, et à l'essaim de tirailleurs qui doit la précéder :

" La colonne d'attaque, écrit le comte de Puységur, ne sera jamais d'usage à la guerre ; il faut trop de temps pour ses préparatifs et pour sa formation. Il n'y a pas d'officier qui, sous le feu de l'ennemi, s'arrêtât pour faire compter les files, calculer la force de son régiment, en faire une division exacte, etc. La colonne de retraite a de plus que l'autre l'inconvénient de n'être pas susceptible de marcher légèrement, de se diviser et d'agir. La première méthode de passer le défilé ne peut guère être pratiquée à la guerre .....

" Il me paraîtrait à propos de substituer à ces manoeuvres des colonnes formées simplement par des divisions les unes derrière les autres, dont on déterminerait le front suivant les circonstances ; on conserverait une petite distance entre ces divisions pour rendre la colonne plus susceptible de marcher légèrement, et dans le cas de charger l'ennemi, on ferait se presser les divisions pour ne former qu'une masse..... "

- " au contraire, répond le maréchal de Broglie, ces colonnes seraient beaucoup plus longues à former, puisqu'il y aurait des divisions qui auraient près de deux fois autant de chemin à faire..... "

Il semble que cette réponse soit peu fondée. La colonne de l'ordonnance est à coup plus sûr plus compliquée que celle dont parle Puységur, et d'autre part le parcours imposé aux divers pelotons est peu de chose dans les deux cas.

- " Les instructions de toutes les troupes de l'Europe, dit un officier de mousquetaires, l'habitude qu'elles ont contractée de tirer en marchant et de charger fort vite, nous donneraient un furieux désavantage, si en allant pour les charger à l'arme blanche, nous négligions de faire usage d'un feu qui réponde à la vivacité du leur. La ressource que propose l'ordonnance, de détacher quelque infanterie tirée des pelotons, pour les éparpiller devant le front des bataillons qui marchent à l'ennemi, et pour leur faire faire un feu de billebaude, me paraît être bien faible. "

- " Il ne faut pas croire, répond le maréchal de Broglie, que les. troupes de nos voisins marchent fort vite lorsqu'elles marchent en tirant ; chaque partie de leurs bataillons ralentit la marche pour charger, et le gros du bataillon s'y conforme. Elles ne marchent pas en avant pour joindre l'ennemi à l'arme blanche, mais pour mieux tirer en étant plus près de lui. Ce qui convient à ces nations flegmatiques ne convient nullement à la nôtre, et c'est ce dont nous avons fait une si cruelle expérience toutes les fois que nos troupes se sont amusées à tirer, au lieu de marcher droit à l'ennemi à l'arme blanche.

" Au reste, si le feu de billebaude d'une section, que propose l'ordonnance, ne suffit pas, il n'y a qu'à détacher un peloton de chaque aile. II est démontré que ce feu de billebaude à volonté de deux pelotons fait beaucoup plus d'exécution que la totalité du feu d'un bataillon qui tire par peloton ou autre division.

" II est d'expérience que le soldat français cesse de marcher dès qu'il commence à tirer. Ce qui peut convenir à cet égard aux autres nations n'est nullement propre à la nôtre. Je dis plus : c'est que constamment nos troupes seront battues, toutes les fois qu'on voudra les faire tirer en marchant à l'ennemi ; mais comme je l'ai dit ailleurs, il n'est pas nécessaire de faire tirer en marchant le gros d'un bataillon, pour empêcher les ennemis d'ajuster et pour leur faire du mal chemin faisant ; il n'y a qu'à détacher une ou deux sections de droite et de gauche et les éparpiller sur tout le front pour y faire un feu de billebaude et à volonté, et s'écouler ensuite par les intervalles lorsque le bataillon approche de l'ennemi, auquel on fera beaucoup plus de mal par ce feu de billebaude, bien ajusté et à volonté, que par le feu du bataillon entier ; des compagnies de chasseurs telles que je les ai proposées anciennement seraient admirables pour cet effet ; au reste, après les nouvelles expériences qu'on vient de faire dans l'artillerie (13), il faut que la tactique et la manière actuelle de faire la guerre changent en entier, car il est certain que deux pièces de 4 ou de 8 détruiront un bataillon avant qu'il soit parvenu à la portée de se servir utilement de la mousqueterie. "

" Il est certain, dit-il ailleurs, que le feu de l'ennemi n'est jamais si peu dangereux que lorsque l'on tire en même temps sur lui ; peut-être la méthode que propose l'auteur, de tirer en marchant, peut-elle convenir aux Allemands, qui ont l'esprit flegmatique ; je dis peut-être, car le roi de Prusse n'a pas toujours paru en faire grand cas pendant le cours de la dernière guerre, et l'on sait que feu M. le maréchal de Saxe le désapprouvait ; mais quand bien même cette méthode serait excellente pour les Allemands, j'ose assurer qu'elle ne convient point du tout aux Français, car il est démontré par l'expérience qu'il n'est pas possible de faire marcher nos troupes en avant, dès qu'elles ont commencé à tirailler.

" Pour réunir l'avantage de marcher en avant pour charger brusquement l'ennemi à l'arme blanche, à l'avantage de rendre son feu moins meurtrier pendant la durée de cette marche, il faut des hommes éparpillés sur le front d'un bataillon, et qui, joints à l'artillerie de chaque bataillon, fassent un feu continuel sur les ennemis pendant la durée de la marche du bataillon. C'est à cet effet que j'avais proposé, au moment de la dernière réforme, d'établir par bataillon une compagnie de chasseurs, mais on ne l'a pas voulu. "

- Le marquis de Mesmes, maréchal de camp, demande que le bataillon soit encadré entre une compagnie de grenadiers et une de chasseurs. " Je voudrais, dit-il, que ces compagnies fussent bien armées, accoutumées à charger promptement et à tirer avec justesse. Nous voyons dans toutes les guerres qu'à l'entrée de chaque campagne, le général assemble toujours des compagnies de volontaires ou de chasseurs..... Elles couvriraient le flanc gauche de la colonne pendant que la compagnie de grenadiers en couvrirait le flanc droit..... Le jour d'une bataille, ces compagnies se porteraient à 150 pas en avant de leur régiment pour inquiéter l'ennemi sur son front et sur ses flancs. Au moyen de cet ordre, il paraît que si l'ennemi se déterminait à avancer sur vous, il ne pourrait y arriver qu'après avoir essuyé un feu très vif de la part des armés à la légère, qui pourraient même le continuer pour venir s'appuyer à la gauche de leur bataillon. "

Le maréchal de Broglie répond aux observations du marquis de Mesmes : " J'ai toujours pensé comme lui sur l'établissement d'une nouvelle compagnie de chasseurs. On peut même se souvenir que je la proposai au ministre au moment de la refonte générale ; mais je voudrais que cette compagnie fût au moins égale en nombre à celle des fusiliers, et qu'elle fût inséparable de son bataillon dans les jours d'action, afin de s'éparpiller sur son front lorsqu'il marchera à l'ennemi, de harceler l'ennemi jusqu'à ce qu'il ait pu le joindre, et l'empêcher de tirer juste. "

Après cet échange d'observations, l'ordonnance fut remaniée et, sur l'avis presque unanime des officiers généraux les plus expérimentés, il fut admis que l'ordre mince, sur trois rangs, serait l'ordre habituel, même dans la colonne d'attaque, et qu'il n'y avait pas lieu de mentionner les tirailleurs, dispersés en avant des colonnes. Ils ne furent pas supprimés pour cela, et nous les retrouverons dans divers textes, officiels ou non, pendant les années suivantes.

 

Table des matières - Introduction - Chapitre I
Tactique française pendant la guerre - Instructions du maréchal de Broglie - Le règlement de 1764 - Critique du règlement de 1764 - Ordonnance de 1766 - Les colonnes de Guibert - L’instruction de 1769 pour les troupes légères - La tactique française de 1770 - L’" Essai général de tactique " de Guibert
Chapitre III - Chapitre IV - Chapitre V
Planche 1 - Planche 2 - Planche 3 - Planche 4 - Planche 5

V - Ordonnance de 1766

L'ordonnance de 1766 est le résultat de ces corrections. Pour la première fois, la colonne d'attaque est formée de pelotons sur trois rangs, et les pelotons ne sont égalisés qu' " autant qu'il est possible ". Comme dans les ordonnances précédentes, la colonne est formée d'un ou deux bataillons, mais la préférence est donnée au bataillon isolé. Pour former la colonne, le bataillon étant déployé, les deux sections du centre se portent en avant. Les autres entrent successivement dans la colonne, en faisant deux quarts de conversion en sens opposé. Les sections de droite conversent à gauche, avancent jusqu'à hauteur de la droite de la colonne, puis conversent à droite, pendant que les sections de gauche exécutent les mouvements inverses. Les grenadiers prennent la tête de la colonne.

L'ordonnance autorise à laisser, entre les pelotons, soit une distance de 2 pas, soit la distance nécessaire pour se mettre en bataille.

On simplifiera par la suite le procédé de rupture et de déploiement de la colonne d'attaque, mais elle a désormais sa forme définitive. De la colonne " surpressée " de Folard, on en est arrivé, selon le voeu des officiers de troupe, que nous avons entendu exprimer depuis trente ans, à une colonne par peloton avec distances.

Cette colonne est exercée à faire face des quatre côtés, c'est-à-dire à former le carré contre la cavalerie, par une simple conversion des sections de droite à droite et des sections de gauche à gauche, sauf les dernières, qui serrent sur les précédentes et font face en arrière. Si les distances sont serrées, on se borne à faire faire face vers l'extérieur par un à-droite individuel dans les sections de droite, etc.

La colonne de retraite se forme de la manière suivante : les sections des ailes, longeant le front par derrière, viennent se joindre en arrière de celles du centre, puis marchent vers l'arrière. De proche en proche, les autres sections suivent le mouvement ; celles du centre reste face en avant jusqu'au dernier moment.

Sur ce point, les observations adressées à l'ordonnance de 1764 ont produit un résultat marqué : c'est la première fois que la colonne de retraite se forme suivant les mêmes principes que la colonne d'attaque, par pelotons, au lieu d'être un long rectangle dont les faces, parallèles à la direction de la marche, étaient presque incapables de se déplacer dans cette direction.

Nous n'entrerons dans aucun détail sur le passage du défilé en présence de l'ennemi, qui s'exécute, désormais, soit en colonne d'attaque, soit en colonne de retraite, suivant que l'on marche en avant ou en arrière.

On voit apparaître dans ce règlement le passage des lignes par sections et par files. Dans le premier cas, les deux lignes font doubler les sections dans chaque peloton ; la première traverse la deuxième ou inversement, puis elles se déploient. Pour exécuter le passage par files, chaque peloton de la première ligne fait par le flanc droit et par file à droite, et va traverser la deuxième ligne, qui s'ouvre de l'espace nécessaire.

Le règlement de 1766 ajoute aux différents feux admis par le précédent le feu de chaussée et le feu de rang.

Le feu de chaussée est exécuté par un bataillon en colonne, chaque peloton tirant à son tour et se retirant ensuite vivement par les flancs pour se placer à la queue.

Le feu de rang sera exécuté par les deux premiers rangs. " Le deuxième rang commencera à tirer par les ailes de chaque peloton; aussitôt qu'il aura tiré, chaque homme de ce deuxième rang passera avec la main droite son fusil à l'homme qui sera derrière lui, qui le prendra de la main gauche, et celui-ci donnera en même temps le sien de la main droite au soldat du deuxième rang qui le recevra de même de la main gauche ; le deuxième rang tirera avec de fusil de l’homme du troisième rang, le chargera après et tirera un second coup avec le même fusil, qu'il repassera tout de suite au troisième rang pour reprendre le sien qui aura été chargé par l'homme du troisième rang, et continuera ainsi à tirer toujours deux coups avec le même fusil..... Le premier rang ne commencera à tirer qu'après que le deuxième rang aura tiré son dernier coup ; ce feu du premier rang commencera par les ailes droite et gauche de chaque peloton, et chaque soldat comptera depuis un jusqu'à six après que l'homme qui est à côté de lui aura tiré, avant que de le faire lui-même; le premier rang chargera toujours lui-même son fusil et retirera aussitôt. "

En résumé, les modifications faites au règlement ont porté sur les colonnes d'attaque et de retraite, rendues enfin simples et maniables, et sur les feux, qui demeurent encore bien compliqués, d'une exécution difficile devant l'ennemi.

Une autre question, importante à cette époque et très étudiée, n'est pas résolue par l'ordonnance de 1766 : c'est celle de la marche en bataille et des déploiements corrects. Plusieurs mémoires relatifs à ce sujet sont remis au ministre entre 1764 et 1770. L'un d'eux, rédigé par le capitaine de Laroque, aide-major au régiment de Hainaut, aboutit à des conclusions que l'on retrouvera dans l'instruction de 1769. Il présente, en outre, cette particularité intéressante de mentionner plusieurs des manoeuvres exécutées dans les camps ou les garnisons, de 1766 à 1769.

En 1768, Laroque prend part aux manoeuvres de douze bataillons réunis à Metz. Il y voit des marches, exécutées tantôt avec le guide à droite ou à gauche, tantôt avec le guide au centre. Les bataillons prennent chacun leur point de direction avant de s'ébranler et se règlent sur le bataillon voisin du côté du guide. " II ne faut pas compter, dit-il, sur le point de direction que chaque bataillon peut prendre, par la difficulté qu'il y a pour avoir le véritable sur un grand éloignement, et au premier coup d'oeil ; plusieurs parallèles ne se tirent point au hasard " ; pour peu qu'un des bataillons prenne un faux point de direction, il dérangera la ligne entière et forcera tous les autres à changer le leur ; dès lors, nul ne se trouvera plus dans la direction primitive, et ce ne seront que des flottements incessants.

On peut diminuer les causes d'erreur de moitié, en prenant le guide au centre. La distance du guide aux bataillons les plus éloignés est ainsi réduite de moitié. - Le gradé chargé de la direction doit prendre des points intermédiaires et les tenir constamment en ligne avec le point de direction. - Chaque bataillon s'efforcera de garder son intervalle avec le voisin, sans trop se soucier s'il est à sa hauteur et, surtout, sans faire varier sensiblement son allure ; il ne s'attachera pas au point de direction qu'il aura choisi (Laroque a montré que le maintien des intervalles assure sinon la parfaite exactitude du mouvement, du moins sa continuation sans graves désagréments, tandis que la persistance d'un bataillon dans une direction très légèrement erronée peut jeter la confusion dans toute la ligne).

" En conséquence de ce qu'on a dit ci-dessus, tout se réduit, pour marcher en ligne, à ce que le bataillon d'alignement, marche directement sur le point donné, et que les autres gardent l'intervalle de droite ou de gauche, selon leur position par rapport, au bataillon d'alignement. "

Laroque examine ensuite les divers procédés en usage pour les changements de front :

1° Tous les pelotons font un demi-quart de conversion et se portent ensemble sur la nouvelle position. Cette méthode suppose que tout le terrain est uni et sans obstacle ;

2° Tous les pelotons font par le flanc, et se portent ensemble, suivant une direction diagonale, sur la nouvelle ligne. Cette méthode, meilleure que la précédente, permet d'éviter les menus obstacles, mais présente des difficultés s'il existe un obstacle de quelque étendue ;

3° Chaque bataillon, formé en colonne par peloton, se porte à la droite (ou gauche) de sa nouvelle position, sur laquelle il se déploie. Cette méthode est celle qui assure le plus d'ordre et s'applique le mieux dans tous les terrains (14).

" Je vais citer, dit Laroque, les lieux où ces épreuves se sont faites, pour faire voir qu'on a été à même de joindre la théorie à la pratique.

" Les premières, en 1765 et 1766, à Metz, où seize bataillons manoeuvraient souvent ensemble, une colonne, qu'on y faisait sur les deux demi-bataillons du centre de la ligne, se formait et se développait un tiers de temps de moins quand les pelotons marchaient de front que lorsqu'ils faisaient le même mouvement par demi-bataillons marchant par le flanc. Cette même colonne a été formée et développée plusieurs fois aux camps de Soissons et de Compiègne.

" Les troisièmes se sont faites en 1768 à Strasbourg, où ,j'avais été appelé : les régiments de Poitou et de Dauphin y exécutèrent plusieurs changements de front par colonnes, avec des changements de position de colonnes, et tous les mouvements qu'ils firent étaient de beaucoup moins longs, les pelotons marchant de front, que par le flanc.

" Je fus de Strasbourg à Metz, toujours pour le même objet, où de vingt-quatre bataillons on en avait complété douze ; mêmes épreuves et mêmes résultats. "

La question des alignements va bientôt prendre une très grande place dans les règlements.

 

Table des matières - Introduction - Chapitre I
Tactique française pendant la guerre - Instructions du maréchal de Broglie - Le règlement de 1764 - Critique du règlement de 1764 - Ordonnance de 1766 - Les colonnes de Guibert - L’instruction de 1769 pour les troupes légères - La tactique française de 1770 - L’" Essai général de tactique " de Guibert
Chapitre III - Chapitre IV - Chapitre V
Planche 1 - Planche 2 - Planche 3 - Planche 4 - Planche 5

VI - Les colonnes de Guibert

Un progrès considérable est accompli vers l'année 1766 ; on apprend à ployer le bataillon en colonne serrée de la manière la plus simple et la plus rapide, celle que nous avons conservée pour la colonne de compagnie. Pas de conversions, pas même de mouvements carrés : chacun des pelotons qui ont à se déplacer fait par le flanc, déboîte et se porte par le chemin le plus court à la place qu'il doit occuper dans la colonne. Cette méthode est introduite dans notre armée par le comte de Guibert, le futur auteur de l'Essai général de tactique. Nous savons par d'autres documents que ce procédé de ploiement en colonne a été mis en expérience dans la plupart des régiments, et que, vers 1769, les troupes connaissaient et pratiquaient ce qu'elles appelaient les " colonnes de Guibert " ou " colonnes à la Guibert ". Ces colonnes seront adoptées officiellement dans l'ordonnance de 1769 pour les troupes légères, mais on n'en fera pas dès lors tout, l'usage que leur auteur avait indiqué.

Le chevalier de Saint-Pern, maréchal de camp, dans un Mémoire sur la manière de simplifier quelques manoeuvres, antérieur à 1771, cite à deux reprises les colonnes de Guibert : il estime que la dernière ordonnance (1766) ne s'est pas assez limitée aux évolutions utiles à la guerre, qu'elle a trop multiplié les commandements et les détails d'exécution, etc. Il propose un certain mode de déboîtement par le flanc, au sujet duquel il écrit : " Ces principes sont connus de toutes les troupes, qui les suivent dans la formation des colonnes de Guibert par les à-droite et les à-gauche " ; et il ajoute plus loin : " La difficulté du terrain, un trop grand nombre de troupes peuvent fort bien embarrasser ;..... on remédiera facilement à cet inconvénient en formant une ou plusieurs colonnes de Guibert. "

C'était un avantage considérable que de posséder enfin un moyen simple et rapide de former et de déployer la colonne serré. On pouvait abandonner, dès lors, les marches processionnelles en colonne à distance entière ; tenir les troupes rassemblées en un petit espace, les faire évoluer sur le champ de bataille, les déployer promptement en ligne ou les faire charger en ordre profond.

C'était la solution vers laquelle tendaient les efforts de ces militaires qui, écartant à la fois les excès de Folard et ceux de l'ordre mince, cherchaient depuis 1715 un moyen vraiment pratique de former et de mouvoir les colonnes.

Il semble que les " colonnes à la Guibert " ont été proposées pour la première fois au ministre dans un Projet d'instruction sur les déploiements de l'infanterie, conservé aux archives de la guerre parmi les pièces sans date et sans nom d'auteur (15). Quelques allusions à l'ordonnance en vigueur prouvent que ce volumineux manuscrit est postérieur à 1764, et probablement à 1766. Ce projet est sans aucun doute de Guibert, qui en reproduira textuellement une grande partie dans son Essai général de tactique et ne fera guère que développer le reste dans les chapitres qu'il consacrera à l'infanterie. On y retrouve partout son style, avec moins d'emphase. Cette première ébauche d'un ouvrage célèbre a dû être composée sous la direction du comte de Guibert, père de l'auteur et précédemment major général du maréchal de Broglie. Elle commentait par un préambule, qui ne nous est pas parvenu, et comprend trois parties : la première traite des procédés de ploiement et déploiement des " colonnes à la Guibert " ; la seconde traite des camps d'instruction nécessaires pour former les généraux à la pratique des grandes manoeuvres ; la troisième est consacrée aux mouvements d'armée, et c'est elle que Guibert reproduira presque sans y rien changer dans son Essai général de tactique. Il y montre les avantages considérables que doit procurer l'application des nouveaux procédés aux déploiements des grandes colonnes et des armées.

Il ne considère pas la question des compagnies de chasseurs comme réglée, ou du moins il espère encore qu'elle le sera suivant les idées du maréchal de Broglie. II suppose qu'il sera créé une compagnie de chasseurs par bataillon et, pour plus de simplicité, pose en principe que les grenadiers et chasseurs se régleront sur les compagnies extrêmes du bataillon, prenant la droite et la gauche dans la formation en ligne, la tête et la queue dans la formation en colonne. Cette règle générale posée, aucune autre prescription ne sera formulée dans le détail de chaque évolution.

Pour plus de simplicité encore, il est prescrit que, pour marcher en colonne face en avant ou en arrière, on ne rompra que par pelotons, et que, dans les marches, on restera toujours aussi en colonne par pelotons, " cet ordre étant plus propre à une marche de longue haleine, plus convenable aux différents pays que l'on peut traverser, et moins fatigant pour les troupes. Il peut néanmoins y avoir des circonstances où, par la nature du pays, on serait obligé de marcher sur un plus petit front ; mais, quelque ouverte que soit la marche, il ne faut jamais le faire plus grand. "

Dans les ruptures vers l'avant ou vers l'arrière, " les pelotons marcheront à distances serrées, c'est-à-dire avec 3 pas entre chaque peloton et 2 pas entre chaque rang, pour la liberté de la marche. Par-là on diminue la profondeur de la colonne, et on augmente la célérité des déploiements.

" Tout bataillon qui devra marcher par son flanc sur le prolongement de la ligne qu'il occupe se mettra aussi en colonne par pelotons, mais par des quarts de conversion, et les pelotons observeront entre eux, pendant la marche, des distances égales à leur front, de manière que le bataillon n'occupe précisément dans la profondeur de sa marche que le terrain qui lui est nécessaire pour se remettre en bataille.

" Un bataillon devant se ployer en colonne sur le peloton de droite, celui-ci ne bouge pas ; tous les autres font par le flanc droit, se mettent en marche au pas redoublé, et se portent derrière lui, l'un derrière l'autre et dans l'ordre où ils étaient en bataille.

" Comme tous les pelotons se mettent en mouvement à la fois, leur déboîtement est facile à imaginer : il s'exécute, chaque soldat, après son à-droite, se jetant brusquement en dehors du côté où le peloton doit marcher, de manière à dégager chaque rang d'environ un pas pour suivre facilement la direction diagonale. Il va sans dire qu'après cela, les pelotons marchent de biais et suivent des lignes plus ou moins diagonales selon la hauteur où ils vont prendre rang dans la colonne. C'est à chaque commandant de peloton à régler son point de vue et à diriger sa marche en conséquence. "

Il peut arriver que, pour attaquer en colonne, on ploie le bataillon pendant qu'il est en marche. " Le premier peloton marchera au petit pas redoublé, pendant que les autres se formeront au grand pas redoublé derrière lui. "

Pour former le bataillon sur sa gauche, les pelotons font par le flanc gauche et se portent en avant du dernier peloton. On ploie également le bataillon sur le centre, les pelotons de droite faisant par le flanc gauche et se portant en avant, ceux de gauche faisant par le flanc droit et se portant en arrière.

On peut former, pour la manoeuvre, des colonnes par division suivant les mêmes règles.

" Ce n'est point pour les marches seulement qu'on doit former les colonnes par le pas de flanc. Cette méthode est applicable à toutes les différentes sortes de colonnes, soit d'évolutions, de marches, d'attaque ou de retraite, car partout le principe ne doit être qu'un.

" Toutes les différentes formations de colonnes qui, détaillées ci-dessus, paraissent peut-être bien multipliées, n'offriront au reste dans la pratique à tout génie militaire qu'un mécanisme simple et facile, applicable à tous les terrains et à toutes les circonstances, car tel est l'effet des manoeuvres simples et utiles qu’elles ne chargent jamais l'entendement des troupes. "

Les procédés indiqués pour les déploiements sont inverses des précédents ; mais avant de déployer en ligne, on commence par former les divisions. Cette mesure ne paraît adoptée que pour imiter les Prussiens : " Le roi de Prusse a préféré les colonnes formées par divisions comme les plus convenables à tous les terrains, et comme les plus susceptibles d'ordre et de rapidité dans leur déploiement, parce qu'elles n'ont ni trop ni trop peu de front. "

La colonne par division se déploiera sur l'une quelconque des divisions, suivant la partie du front sur laquelle elle débouche.

Pour déployer de pied ferme, chaque division fait par le flanc et se porte en avant, obliquant vers la place qu'elle doit occuper.

Quoi qu'en dise l'auteur du mémoire, ce n'est pas là exactement le mouvement " de tiroir " expérimenté dans l'armée prussienne, lequel s'exécute par mouvements carrés.

On peut aussi déployer en avant des colonnes à distance entière. Les divisions ne marchent pas alors par le flanc, mais font un demi-quart de conversion, marchent directement vers la place qu'elles doivent occuper et s'y redressent pour s'y aligner.

Ce procédé est exceptionnel ; il ne doit être employé que pour les corps destinés à rester sur la défensive, ou dans les parties de l'ordre de bataille qui sont éloignées de l'ennemi. On peut s'en servir avantageusement pour faire illusion à l'ennemi sur la force de ses colonnes et sur la disposition qu'on va prendre.

" C'est dans le mélange bien combiné des colonnes formées à distances serrées et à distances ouvertes que consiste toute la ruse des déploiements, puisque au moyen de ce mélange on peut, par des colonnes ouvertes et allongées, présenter avec peu de monde l'apparence de beaucoup de troupes aux points où l'on veut rester en défensive, tandis que, par des colonnes serrées et peu profondes, on porte en effet ses plus grandes forces, qu'on déploie avec rapidité, aux points où l'on veut agir. "

Tout ce passage présente la plus grande analogie avec le chapitre que Guibert consacrera dans l'Essai général de tactique à la même question.

La ressemblance n'est pas moins frappante dans la conclusion de la première partie, où sont affirmés les avantages des nouveaux procédés.

" Qu'on réfléchisse maintenant sur la lenteur inséparable des quarts de conversions, sur la difficulté de trouver des terrains qui y soient propres, et enfin sur le peu de ressources de cette ancienne méthode, qui n'était qu'une, quels que fussent les terrains et les circonstances ; qu'on y compare ensuite la célérité et la simplicité des nouveaux déploiements, l'application qu'on peut en faire aux terrains et aux circonstances, les ressources et les combinaisons sans nombre qu'ils offrent à l'homme de génie, et l'on sentira aisément combien cette partie de la tactique est perfectionnée, et combien il est important que les troupes, et surtout les officiers généraux, en acquièrent parfaitement la théorie et l'usage.

" On conçoit au surplus que ce projet d'instruction, s'il devait être envoyé aux troupes, pourrait être rédigé d'une manière plus concise. Mais autre chose est de dresser une instruction pour les troupes, ou de présenter au ministre le projet d'une instruction. "

Et la troisième partie se relie à la première par ces quelques lignes, que reproduira presque textuellement l'Essai général de tactique :

" Les principes établis dans la première partie vont conduire à tous les grands mouvements des armées et servir de base à ce qui sera traité ici ; car toutes les idées de la tactique se tiennent par une chaîne immédiate, et la seule différence qu'il y ait des mouvements d'une armée à ceux d'un régiment, c'est que ces premiers exigent des combinaisons plus compliquées et plus vastes. "

On retrouve encore dans le mémoire que nous étudions une attaque contre le préjugé de l'inversion, dont Guibert se déclarera toujours l'ennemi : " C'est le préjugé auquel nous sommes assujettis, et sur lequel il faut espérer qu'on se dessillera les yeux un jour. Car quel horrible inconvénient que celui de ne pouvoir déployer une colonne en avant par sa queue comme par sa tête et de craindre de placer à sa droite les troupes de sa gauche ! Il faudrait qu'une colonne, de quelque nombre de bataillons qu'elle fût composée, pût se déployer en avant, en arrière et sur le centre par sa droite comme par sa gauche. La tactique de toute l'Europe est à cet égard manchotte et défectueuse. Grand changement qui exigerait un plus grand détail, et sur lequel il est important de fixer l'attention de M. le duc de Choiseul. "

En ce qui concerne les colonnes de plusieurs bataillons et les déploiements d'armée, l'auteur du mémoire suit les principes qui ont servi de base aux instructions du duc de Broglie.

" Un corps composé de plusieurs bataillons, et à plus forte raison une armée, doit toujours marcher sur le plus de colonnes qu'il est possible, parce que, plus les colonnes sont multipliées, plus il y a de rapidité et de précision dans le déploiement général, puisque en outre que les colonnes profondes sont plus longues à déployer, il est plus difficile de mesurer et d'observer exactement les distances qu'elles doivent avoir entre elles.

" Toutes les colonnes doivent se déployer à la fois, et pour cet effet il faut qu'il y ait un signal convenu. " L'emploi des signaux doit d'ailleurs être généralisé, sans craindre que l'ennemi n'en pénètre le sens : " La théorie de vos signaux ne sera intelligible qu'à vous-mêmes. Rappelons-nous si nous avions la clef de ceux que les ennemis faisaient en 1762 sur les bords de la Fulde.

" Le partage de l'armée en divisions, ces divisions formant chacune leurs colonnes, cet ordre de marche toujours invariable autant qu'il sera possible ramènent à tous les ordres de bataille quelconques. C'est de cette unité et de cette simplicité que naissent les combinaisons les plus multipliées. "

Une armée forme ainsi, en principe, autant de divisions que de colonnes. Dans les exemples choisis, l'armée se compose de quatre divisions d'infanterie à huit bataillons et de deux divisions de cavalerie.

En approchant à une ou plusieurs lieues du champ de bataille, les colonnes règlent leurs intervalles, qui doivent convenir exactement au nombre de bataillons à déployer en première ligne.

A 500 ou 600 pas du terrain où elles doivent se déployer, les colonnes se forment par divisions à distance serrée, puis elles se porteront en avant pour se déployer.

" C'est ici le lieu de parler de cet abus pénible et chimérique de vouloir faire marcher en bataille dans un parfait alignement une armée entière, abus pratiqué cependant en Prusse, mais qui n'est que la preuve de troupes bien dressées, et un exercice purement de théorie et de paix. Car, premièrement, où trouver à la guerre des terrains pour mouvoir des lignes considérables d'une manière ensemble et uniforme ? Secondement, à quoi bon ce parfait alignement ? Il pouvait être utile dans l'ancienne tactique et quand on se heurtait de masse à masse, parce qu'alors il procurait unanimité de mouvement et d'effort, mais aujourd'hui, dans nos prétendues charges d'infanterie, le contact et le choc n'ont jamais lieu. Troisièmement, quel est l'objet de la marche soit en avant, soit en retraite ? c'est de gagner du terrain. Or, remplit-on cet objet avec ce pas d'un pied et cette marche lente qu'ont été obligés de prendre les Prussiens pour parvenir au parfait alignement ? Il est de fait que, quand une ligne marche, c'est pour charger l'ennemi, pour le suivre, ou pour l'éviter. Or, ni l’un ni l'autre de ces mouvements n'exige de la lenteur ni une symétrie minutieuse dans l'alignement.

" Toutes les fois donc qu'une ligne devra marcher en bataille dans nos manoeuvres, le général lui indiquera le point ou la hauteur où elle devra se porter, et alors toute la ligne s'ébranlera d'un pas bien déterminé (car si les troupes ont de bons principes, elles doivent marcher toutes de la même mesure et de la même vitesse), chaque bataillon, chaque régiment, chaque division s'alignant le plus parfaitement possible dans sa marche individuelle, chaque officier général commandant une brigade ou une division réglant sa marche de manière à donner le plus d'ensemble possible à la ligne, mais jamais dans aucun cas la ligne ne cherchant à s'aligner d'une aile à l'autre et ne ralentissant son pas pour cette chimère de perfection dans l'alignement. "

Dans la conclusion de son mémoire, Guibert montre les avantages qui doivent résulter de l'emploi des colonnes, telles qu'il apprend à les former : l'armée dans la main de son chef, toujours prête à se diriger et à se déployer dans une direction quelconque, pouvant prendre et changer promptement son ordre de bataille, pourvu qu'elle reste couverte par une avant-garde qui masque ses mouvements et lui donne le temps de manoeuvrer.

Il écarte ainsi les difficultés, les lenteurs et les complications des alignements et des marches en bataille, qui préoccupent tant ses contemporains.

 

Table des matières - Introduction - Chapitre I
Tactique française pendant la guerre - Instructions du maréchal de Broglie - Le règlement de 1764 - Critique du règlement de 1764 - Ordonnance de 1766 - Les colonnes de Guibert - L’instruction de 1769 pour les troupes légères - La tactique française de 1770 - L’" Essai général de tactique " de Guibert
Chapitre III - Chapitre IV - Chapitre V
Planche 1 - Planche 2 - Planche 3 - Planche 4 - Planche 5

VII - L'instruction de 1769 pour les troupes légères

Le 1er mai 1769, paraît une Instruction pour les troupes légères. Il semble bien que, dans l'esprit du ministre, c'était là un premier essai, qui devait être suivi prochainement d'une application des mêmes règles à toute l'infanterie. La manière d'exécuter les évolutions, ainsi que les commandements, différaient beaucoup de ce qui était prescrit par les ordonnances de 1764 et 1766, et ce qu'il y avait de nouveau dans celle-ci devait s'appliquer aussi bien à l'infanterie de ligne qu'aux troupes légères.

C'était surtout l'exécution correcte et facile des mouvements, celle des grandes manoeuvres par bataillons et régiments que l'on perfectionnait.

Il était prescrit que tous les officiers devaient être en état d'instruire et de commander leur troupe; que le major y veillerait. En particulier, il serait fait une école d'intonation. Enfin, pour assurer aux jeunes officiers une connaissance suffisante de leur métier, on leur imposait désormais un stage préliminaire de six mois comme soldat, caporal et sergent.

L'instruction de 1769 introduit le pas de course de 1 pied et demi, à la vitesse de 240 par minute.

Elle donne des principes pour l'alignement et la marche en bataille des bataillons. Si plusieurs bataillons marchent en ligne, il sera placé au centre de la ligne un groupe de quatre sous-officiers, " à la tête desquels marchera un officier supérieur qui servira de base à l'alignement général, et qui prendra son point de direction pour marcher bien carrément et d'un pas égal " (16).

Pour les mouvements des colonnes et les déploiements, l'Instruction de 1769 donne une foule d'indications et de prescriptions nouvelles.

A côté du déploiement en colonne serrée suivant la méthode de 1766, elle donne le ploiement par mouvements carrés des pelotons et, enfin, elle introduit les colonnes de Guibert. Ce seul détail lui donne une importance considérable.

Les colonnes se déplacent obliquement, chaque peloton ayant fait un demi-quart de conversion à droite (ou à gauche) et marchant droit devant lui.

La colonne serrée change de direction par le flanc des pelotons.

Il existe plusieurs manières de déployer la colonne en bataille, correspondant aux divers procédés de ploiement énumérés ci-dessus.

Le déploiement face en tête peut se faire sur le peloton (ou la division) du centre. Le peloton du centre (par exemple, premier du deuxième bataillon si la colonne est de deux bataillons) marche lentement droit devant lui. Tous ceux qui le précèdent font par le flanc droit et se remettent successivement en bataille quand ils arrivent à la hauteur de la place qu'ils doivent occuper en ligne. Les pelotons de la seconde moitié font par le flanc gauche, puis se remettent en bataille et marchent rapidement vers la place qu'ils doivent occuper.

Le déploiement peut se faire aussi par la méthode de Guibert sur un peloton quelconque, celui-ci ne bougeant pas.

La colonne peut se déployer en demi-à-gauche, chaque peloton faisant un quart de conversion à gauche, et se portant obliquement à sa place sur la ligne.

Le mouvement sur la droite en bataille s'exécute comme de nos jours, chaque peloton conversant après avoir dépassé le précédent.

Enfin, la réforme la plus importante peut-être, c'est l'adoption du changement de direction à pivot mouvant dans les marches en colonne, à la place des conversions à pivot fixe. Cette importante innovation fait disparaître les lenteurs et les augmentations de distances qui influaient d'une manière si funeste sur les déploiements. Dans la marche à distance entière, " il faut que le pivot de chaque rang, à mesure qu'il commencera son quart de conversion, parcoure un quart de cercle de 3 pieds environ, formé sur une augmentation de rayon ou prolongement du front de la troupe, de 2 pieds environ ".

Si la colonne est à demi-distance, le quart de cercle décrit par le pivot a un rayon de 6 pieds. Il en est de même si, à distance entière, on ne veut pas accélérer l'allure de l'aile marchante.

" On pourrait de même changer la direction d'une colonne marchant en ordre serré, sans rien déranger à son ordre de marche, en suivant le même principe et en faisant parcourir aux pivots des divisions ou pelotons un quart de cercle assez grand pour qu'il se trouve sur le même quart de cercle la quantité de divisions nécessaires relativement au front de la colonne. "

Le passage de défilé s'exécute simplement en reployant derrière l'aile gauche de chaque peloton le nombre de files nécessaire.

Les changements de front se font par le même principe que les déploiements en demi-à-gauche (ou à droite), chaque peloton faisant un quart de conversion à gauche et se portant en ligne par une marche directe en bataille.

On forme les bataillons en ordre oblique par pelotons, avec distance égale au tiers du front.

Deux bataillons accolés forment l'ordre angulaire par échelons, en portant en avant les divisions ou pelotons par lesquels ils se touchent. Les divisions ou pelotons adjacents se portent en avant à leur tour quand les précédents ont gagné leur distance égale au tiers de leur front, et ainsi de suite.

La colonne centrale, ou colonne d'attaque de deux bataillons, se forme en mettant d'abord les deux bataillons en ordre angulaire par échelons, puis ramenant les échelons derrière la tête de colonne par un mouvement, de flanc. Cette colonne se forme ainsi par un mouvement carré de chaque division ou peloton.

Cette colonne peut servir de colonne de retraite. On peut aussi, pour former la colonne de retraite, ramener le premier et le dernier peloton derrière ceux du centre, puis les faire marcher en arrière; le deuxième et l'avant-dernier suivent le mouvement et viennent se placer devant les précédents, etc.

L'instruction conserve les feux de peloton, de division, de demi-rang et de bataillon ainsi que le feu de chaussée. Elle y joint des feux en avançant et en reculant, par peloton, chaque peloton avançant de 6 pas sur le reste du bataillon, pour faire feu, et reprenant ensuite sa place.

Elle donne au feu de rang de l'ordonnance de 1766 le nom de feu de billebaude, ce qui ne paraît pas répondre au sens habituel de ce mot.

En résumé, l'instruction de 1769 ne prend parti ni pour l'ordre mince ni pour l'ordre profond ; mais la formation de la colonne d'attaque y devient plus simple encore que dans les précédentes. Elle s'attache à rendre les mouvements plus souples, à mettre de la précision dans ceux des lignes. Elle accomplit, d'une manière générale, un progrès considérable.

On remarquera que cette ordonnance, faite pour les troupes légères, qui ne combattent guère qu'en tirailleurs, ne parle que des formations en ordre serré. C'est là un point essentiel pour juger les autres règlements du dix-huitième siècle.

Tout nous porte à croire que ce règlement de 1769 pour les troupes légères est en majeure partie l'oeuvre du comte de Guibert, père du célèbre écrivain, et c'est peut-être le cas d'attirer l'attention sur cet officier général, auquel la postérité n'a pas encore fait la part qui lui revient.

Né le 23 mars 1715, entré au service comme cadet en 1729, le comte de Guibert se distingue dans la guerre de la succession d'Autriche. Nommé major en 1744, avec rang de lieutenant-colonel en 1747, il se retire en 1753, mais rentre au service en 1757 comme aide-major général surnuméraire à l'armée de Soubise. Il manifeste dans ces nouvelles fonctions de si brillantes qualités qu'il passe successivement aide-major général, brigadier (1761), major général de l'armée du Bas-Rhin (1761). Remplissant ces fonctions auprès du maréchal de Broglie, on peut lui attribuer une part importante dans la rédaction des célèbres instructions édictées par ce général, ainsi que des ordonnances de 1764 et 1766 ; il. faut en tout cas que ses services aient été exceptionnels, car il est nommé en 1766 commandeur de Saint-Louis, distinction infiniment rare, surtout pour un lieutenant-colonel.

En 1765, il a reçu une pension de 2 000 livres ; en 1766, 9 000 livres de gratification.

Nommé maréchal de camp (1767) et lieutenant de roi à Perpignan (1766), il est bientôt rappelé à Paris par une lettre flatteuse du ministre Choiseul :

" Mon intention, Monsieur, étant de vous tenir à portée de moy, pour faire usage des connaissances que vous avez de toutes les parties du service militaire, j'ai proposé au roy de disposer de la lieutenance de roy de Perpignan à laquelle vous aviés été nommé, et de vous en dédomager par un traitement qui vous fournit les moyens de vivre comme il convient à un officier de votre grade qui mérite de la confiance ; et Sa Majesté a bien voulu vous accorder douze mille livres d'appointemens par an, pour en jouir votre vie durant, indépendament de trois mille livres que vous avez dans l'ordre de Saint-Louis, des deux mille livres de pension sur l'extraordinaire des guerres et de douze cens livres sur le Trésor roial dont vous continuerés de jouir, vous ne devés point douter du plaisir que j'ai eu de pouvoir contribuer à cette disposition qui est pour vous un témoignage satisfaisant des bontés de Sa Majesté et du cas qu'Elle fait de vos talens. "

Ses états de services nous apprennent, à la date du 21 mai 1767, que " M. de Guibert est employé depuis le mois de mars de l'année dernière au travail relatif à l'ordonnance du service en campagne pour l'infanterie ". N'a-t-il pas collaboré à cette Instruction de 1769 pour les troupes légères, où figurent les colonnes serrées inventées par son fils, et qui portent son nom ?

Un ancien officier prussien, nommé Pirch, admis avec le grade de capitaine dans la légion corse, et protégé par Melford, adresse au ministre des observations importantes sur l'ordonnance de 1769. Il y met à la fois du bon sens et un formalisme excessif. Il réclame des simplifications qui sembleraient s'imposer : n'avoir qu'un maniement d'armes pour les gradés et la troupe ; n'avoir qu'une seule espèce de pas, tout au plus deux.

" Il n'y a qu'une seule façon de marcher, et un seul pas. On ne peut au juste déterminer sa durée et sa longueur : j'évalue cette dernière à peu près à 2 pieds et demi, et la durée à 75 pas par minute. C'est le seul pas que je connaisse, et qu'on peut et doit pratiquer dans tous les cas et mouvements, soit en marchant en bataille, en colonne, par le flanc, etc.

" Si on veut l'avoir plus vite, on pourra commander une seconde fois Marche ! et en faire alors à peu près 100 dans une minute, mais jamais plus, parce qu'il en résulterait du désordre et du flottement.

" Si on veut en faire de plus petits ou plus grands, il n'y a qu'à en avertir ; les soldats l'exécuteront sans l'avoir appris. Au reste, il est très important de rendre le pas le plus naturel possible, de le rendre ferme et grave, d'éviter tout ce qui est moelleux, ni de tendre le jarret ni plier la pointe des pieds, parce que cela fatigue le soldat mal à propos, l'empêche de marcher longtemps et dans un terrain par exemple raboteux et labouré ; c'est à quoi il faut cependant l'exercer, même dans toutes sortes de terrains, en choisissant de préférence les plus difficiles.

" Tout le monde convient et la jalousie même accorde aux Prussiens une supériorité décidée pour la marche. Je les ai vus, et j'en suis convaincu plus que personne. La raison en est fort simple, parce qu'ils n'ont qu'un seul pas très simple, aisé, naturel, et à portée de tout le monde, ne connaissant aucune division, subdivision, décomposition ni anatomie de pas. Je me fais fort d'apprendre à marcher comme les Prussiens au paysan le plus maladroit dans un mois de temps, et à tout un régiment dans le même espace de temps au moins aussi bien que le meilleur régiment prussien. "

Mais la grosse affaire, selon Pirch, est de prendre des points de vue pour la marche en bataille ou en colonne et pour les alignements.

" Il faut absolument, pour tous les mouvements quelconques, établir et apprendre aux officiers le principe du pivot, des points de vue et d'alignement ci-après observés. Sans lui, on ne peut jamais être sûr d'aucune manoeuvre, et le pur hasard sera toujours notre guide. "

On a vu que les points de direction étaient parfaitement indiqués dans l'instruction de 1769, dans les observations de Laroque et dans les notes du comte d'Adhémar. Pirch affirme cependant que tout cela n'est rien ; il grandit l'importance des points de vue jusqu'à leur faire dominer toute la tactique ; il s'en fait une spécialité, ce qui est tout au moins fort habile pour se mettre à la mode.

" Les officiers qui marchent en avant du centre et des ailes de chaque bataillon doivent tous s'aligner, non sur celui qui marche au centre de toute la ligne, mais sur celui de la droite ou de la gauche de la ligne, suivant que le point de vue est donné à l'une (ou l'autre) des ailes, lequel ne se donne jamais au centre mais à l'une des ailes. "

Quand une colonne converse pour longer la ligne où elle doit se déployer, il faut de toute nécessité que les chefs de peloton se portent au pivot pour de là marcher sur le point de vue et la direction reconnue. " Sans ce principe incontestable, on ne peut jamais mettre une troupe comme il faut et comme on la veut en bataille. Cet article des points de vue, jusqu'à présent inconnu en France, assure Pirch, est un principe sûr et infaillible, surtout pour tous les mouvements en grand. "

Pirch n'admet pas que les pelotons marchent par files quand le bataillon se rompt en colonne : il veut que l'on rompe toujours en colonne à distance entière, vers la droite ou la gauche, par un quart de conversion des pelotons, et que la colonne prenne ensuite, par des changements de direction, la direction que l'on voudra. " Je ne voudrais jamais faire marcher les pelotons diagonalement, excepté lorsqu'on marche par files pour se déployer ; alors on peut marcher diagonalement, pour se porter sur la direction du premier ou dernier peloton ; parce qu'une troupe quelconque doit toujours être en colonne ou en bataille, et marcher de façon qu'on puisse les mettre en bataille ou laisser en colonne avant même d'avoir achevé les mouvements ordonnés, ce qui ne peut se faire si on marche diagonalement. "

Il rejette de même les déploiements par bataillons en colonne.

" J'observerai encore, ajoute-t-il, que pour le déploiement des masses, il faut absolument établir le principe des points de vue ci-dessus observé, c'est-à-dire que la division sur laquelle les autres doivent s'aligner doit se porter dans l'alignement donné et, lorsqu'elle y sera arrivée, faire halte, toutes les autres divisions s'alignant sur elle à mesure qu'elles arrivent. "

Les autres observations sont toutes de détail, portant les unes sur une complication inutile du règlement, les autres sur des mouvements contraires aux principes très arrêtés et très formalistes de Pirch.

Ces observations eurent un plein succès, et bientôt on verra leur auteur chargé de la rédaction des ordonnances d'infanterie. On croyait recevoir de lui tout le secret des manoeuvres prussiennes.

 

Table des matières - Introduction - Chapitre I
Tactique française pendant la guerre - Instructions du maréchal de Broglie - Le règlement de 1764 - Critique du règlement de 1764 - Ordonnance de 1766 - Les colonnes de Guibert - L’instruction de 1769 pour les troupes légères - La tactique française de 1770 - L’" Essai général de tactique " de Guibert
Chapitre III - Chapitre IV - Chapitre V
Planche 1 - Planche 2 - Planche 3 - Planche 4 - Planche 5

VIII - La tactique française en 1770

Les formations de combat en ordre profond, essayées au début de la guerre de Sept ans, semblent abandonnées dès 1758 ; c'est le combat par le feu, en ligne ou en tirailleurs, qui devient le cas général de 1759 à 1762, même dans l'armée commandée par le duc de Broglie, partisan de l'ordre profond. Les attaques en colonne sont strictement réservées au combat de localités. Ce qui nous paraît le plus remarquable, c'est le grand développement donné au combat en tirailleurs, qu'il s'agisse des volontaires (infanterie légère) répandus dans des bois ou des villages par bataillons entiers, ou des chasseurs et des piquets éparpillés en avant des régiments de ligne. La mention de ces tirailleurs dans le règlement de 1764 et la création de l'infanterie légère sont caractéristiques à cet égard.

Les réformes accomplies de 1762 à 1770, au point de vue des feux et des manoeuvres, sont le résultat de l'expérience acquise pendant la guerre et accusent de notables progrès. Dans l'infanterie de ligne, les tirs s'exécutent plus simplement que par le passé ; les feux à commandement sont moins variés, les règles d'exécution plus simples ; le feu de billebaude tend à se généraliser. Bon nombre d'officiers se préoccupent de l'instruction individuelle du tireur et cherchent à le faire viser plus exactement.

Des progrès sérieux se sont accomplis en matière d'évolutions on a étudié des mouvements plus simples et plus rapides, conversion à pivot mouvant, ploiement en colonne serrée " à la Guibert " par mouvement de flanc des pelotons (ou divisions) ; la colonne d'attaque de l'ordonnance, s'écartant résolument des principes de Folard, se compose de divisions sur trois rangs, placées les unes derrière les autres avec distances. Elle est désormais souple et maniable. Aussi (et c'est là un fait capital) commence-t-on à envisager les colonnes serrées comme des formations de manoeuvre très pratiques. C'est le germe des plus grands progrès qui s'accompliront dans l'avenir.

On a vu, dès 1759, le duc de Broglie employer les brigades en masse, de préférence aux lignes déployées, comme formations d'attente. Elles se sont engagées, en quelques instants, sans confusion et sans difficulté. Les progrès accomplis suffisent donc pour assurer le déploiement rapide, dans une direction quelconque, d'une troupe composée de quelques bataillons.

On cherche à ramener à ce problème simple celui du déploiement d'une armée nombreuse et, dans ce but, on multiplie les colonnes à l'approche du champ de bataille ; mais la conservation des intervalles et l'alignement des bataillons présentent encore de grosses difficultés, faute de principes fondamentaux pour régler les mouvements des colonnes et des lignes. La question est bien définie, étudiée avec persévérance, mais on est loin d'atteindre la perfection obtenue par les Prussiens dans leurs batailles de la dernière guerre, et c'est à eux que l'on va demander des exemples et des règles pour cette partie essentielle des grandes évolutions.

L'instruction de 1769 pour les troupes légères, peu connue, semble être la plus parfaite, au point de vue pratique, des ordonnances édictées avant 1788. Tant pour les feux que pour les évolutions et les formations de combat, elle donnait des règles simples, se prêtait à l'application de toutes les doctrines tactiques. Peut-être suffisait-il de la compléter par des instructions de détail sur les marches et les alignements ; on exagéra l'importance de ces questions secondaires, et on en fit l'objet principal des ordonnances de 1774 et 1775, rédigées dans l'intention d'imiter les manoeuvres prussiennes.

 

Table des matières - Introduction - Chapitre I
Tactique française pendant la guerre - Instructions du maréchal de Broglie - Le règlement de 1764 - Critique du règlement de 1764 - Ordonnance de 1766 - Les colonnes de Guibert - L’instruction de 1769 pour les troupes légères - La tactique française de 1770 - L’" Essai général de tactique " de Guibert
Chapitre III - Chapitre IV - Chapitre V
Planche 1 - Planche 2 - Planche 3 - Planche 4 - Planche 5

IX - L' " Essai général de tactique " de Guibert

 

Partie élémentaire - Les feux - Evolutions élémentaires - Formations de combat - Formations d’attente et de manoeuvre

A) PARTIE ÉLÉMENTAIRE

L'année 1772 est une date mémorable dans l'histoire de notre tactique. Elle est marquée par l'entrée en scène de Guibert, qui, à vingt-neuf ans (17), publie son Essai général de tactique. Lorsqu'on vient de parcourir toute la série des ouvrages et des mémoires manuscrits produits depuis le temps de Folard, Guibert impressionne fortement. Et nous ne parlons pas ici de ces idées générales, de ces considérations d'ordre très élevé, exprimées dans un style éloquent, bien qu'un peu emphatique : nous nous bornons à la partie la plus modeste de l'oeuvre, à l'exposé des mouvements élémentaires du bataillon, à l'instruction individuelle du soldat. Après tant de pauvretés, de systèmes étranges et compliqués, d'allégations sans preuves, médiocrement présentés, nous nous trouvons en présence d'un homme de sens simple et droit, qui n'a souci que des réalités, qui a profondément réfléchi, analysé les moindres objets, et qui s'exprime clairement, dans une langue limpide et élégante. Certes, bien des milliaires, lisant l'Essai général de tactique, concevront quelque estime pour son auteur ; mais combien il gagne encore, quand on le met en présence de ses contemporains !

L'école dont il va se montrer l'adversaire acharné s'est parée depuis un demi-siècle du nom de " française " et affecte de lutter contre l'exercice .à la prussienne et la tactique prussienne. Mais quoi de plus indépendant que les principes dont Guibert va partir et qui, plus que lui, aura protesté contre le formalisme dans la position du soldat et les manoeuvres élémentaires ?

" C'est une chose bizarre que l'espèce d'instruction que l'on donne aujourd'hui aux troupes. Elle ne roule que sur un maniement d'armes et sur quelques manoeuvres, la plupart compliquées et inutiles à la guerre. Qu'il y a loin de cette misérable routine à un système d'éducation militaire qui commencerait par fortifier et assouplir le corps du soldat, qui lui apprendrait ensuite à connaître ses armes, à les manier, à exécuter toutes les évolutions qu'il doit savoir; à se livrer dans l'intervalle de ces exercices, et comme par délassement, à des jeux propres à entretenir sa force et sa gaieté (18) ! "

" Si l'on me dit que nos exercices actuels les occupent déjà assez, je répondrai que c'est parce que nos manoeuvres sont trop compliquées, nos méthodes d'instruction mal entendues, notre prétention de précision et de perfection sur beaucoup de points minutieuse et ridicule. Je répondrai que la preuve que nos soldats ne sont pas assez occupés, c'est que pour remplir, dit-on, leur temps, on les surcharge de règles de discipline inquiétantes et odieuses (19). "

Partant de là, Guibert détermine ce que doit être la position du soldat. Elle sera bonne s'il a été préparé par des exercices physiques :

" Il la prendra facilement si elle n'est point gênante ni forcée, c'est-à-dire si elle n'est point contraire à la mécanique du corps. La nôtre ne lui est certainement pas conforme... Qu'on entre dans la plupart de nos écoles d'exercices : on y verra tous ces malheureux soldats dans des attitudes contraintes et forcées, on verra leurs muscles en contraction, la circulation de leur sang interrompue. Ajoutez à cela la bizarrerie de notre habillement qui les oppresse, qui serre toutes les articulations (20)... "

Nous nous arrêterons là dans ces considérations sur la position et la tenue, qui ne sont pas, à proprement parler, de notre sujet et dont nous n'avons fait mention que pour bien montrer l'esprit qui anime Guibert. " Quant au maniement d'armes, dit-il, c'est un exercice si puéril, si indifférent en lui-même, que j'abrégerai ce qui le concerne (21). " II veut le réduire à quatre mouvements et développer au contraire les exercices de tir et l'escrime à la baïonnette, inconnue de son temps. " Il y aurait une sorte d'escrime à apprendre pour se servir de cette arme, pour la croiser, pour empêcher d'en gagner le fort (22)... "

Est-il possible d'être plus " Français ", au sens qu'y attachaient les partisans de Folard, c'est-à-dire plus ennemi du formalisme prussien de cette époque ? Et Guibert ne l'est pas moins en ce qui concerne les feux.

 

Partie élémentaire - Les feux - Evolutions élémentaires - Formations de combat - Formations d’attente et de manoeuvre

B) LES FEUX

Sur la question des feux, il y a au dix-huitième siècle deux écoles bien distinctes : les uns veulent, comme les Prussiens, des salves aussi pressées que possible ; c'est la vitesse du feu qui les intéresse, soit qu'ils veuillent, comme le dit Guibert, étourdir et occuper le soldat, soit qu'ils comptent peu sur l'exactitude du tir et beaucoup sur l'effet matériel et moral des nappes de plomb répandues un peu au hasard, mais sans interruption, sur le champ de bataille. Les autres, comme Maurice de Saxe, jugent inutile de brûler de la poudre aux oiseaux et voudraient que le tireur s'efforçât toujours d'atteindre le but. La vitesse du tir en souffrirait, mais les résultats matériels seraient sans doute décuplés, et il est probable que l'effet moral n'en serait pas amoindri, bien au contraire.

Guibert appartient franchement à cette seconde école et, en cela encore, il est tout opposé aux doctrines prussiennes.

" De toutes les parties de la tactique, c'est sur celle-ci peut-être que nous avons les exercices les plus compliqués, les moins réfléchis, et les moins relatifs à ce qui se passe à la guerre. Quand je dis nous, je parle de toutes les troupes de l'Europe ; je parle des troupes allemandes, qui ont tant accrédité le système du feu, et qui regardent la supériorité de mousqueterie comme si décisive dans les combats.

" On s'est attaché à l'envi à perfectionner le chargement du fusil, à tirer une plus grande quantité de coups par minute, c'est-à-dire à augmenter le bruit et la fumée ; mais on n'a travaillé, ni à simplifier l'ordre dans lequel ces feux devaient être faits, ni à déterminer la meilleure posture du soldat pour bien ajuster, ni à augmenter son adresse sur ce point, ni à faire connaître à nos troupes la différence des portées et des tirs, ni enfin à leur enseigner jusqu'à quel point il fallait compter ou ne pas compter sur le feu ; comment il fallait l'employer et le ménager relativement au terrain, aux circonstances, à l'espèce d'arme qu'on a vis-à-vis de soi ; quand, en un mot, il fallait cesser d'en faire usage pour charger l'ennemi à la bayonnette (23). "

Et l'ignorance de ses contemporains est telle, sur tous ces points, que Guibert se croit obligé d'intercaler ici un traité sommaire de balistique : " C'est qu'il n'y a peut-être pas dix officiers d'infanterie qui connaissent la construction du fusil, et qui aient réfléchi sur le jet des mobiles qu'il peut lancer. Aussi ne donne-t-on au soldat aucun principe sur la manière d'ajuster ; il tire comme il veut, quelles que soient la distance et la situation des objets (24).

" Ces bataillons prussiens, dont on a cru, et dont quelques gens croient encore le feu si redoutable, sont ceux dont le feu est le moins meurtrier. Leur première décharge a de la portée et de l'effet, parce que ce premier coup, chargé hors du combat, l'est avec exactitude ; mais ensuite, et dans le tumulte de l'action, ils chargent à la hâte et sans bourrer. On leur a dit que la plus grande perfection de l'exercice à feu était de tirer le plus grand nombre possible de coups par minute ; en conséquence ils n'ajustent point..... Ils trouvent plus commode de ne pas se fatiguer, et laissent tomber le fusil extrêmement bas ; ainsi le coup part sans que l'oeil l'ait dirigé, et la balle va mourir dans la poussière au quart de sa portée. Toutes les troupes de l'Europe, cependant, séduites par la beauté des exercices à feu prussiens, par la célérité de leur chargement, par l'ensemble et la correspondance de leurs décharges, ont cherché à les imiter. Nos régiments allemands, dont la politique est d'introduire chez nous les pratiques étrangères et de les abandonner aussitôt que nous les avons adoptées, pour se donner le mérite de quelque autre invention nouvelle, y ont introduit la manie de ces exercices à feu, et bientôt il n'a été question dans nos écoles que de la vitesse du chargement (25). "

Les idées de Guibert sont assez clairement exposées dans ces quelques lignes pour que nous n'entrions pas ici dans le détail des exercices et des règles qu'il propose pour le tir. Mais la conclusion est capitale :

" Le feu de billebaude est enfin le seul qui doive avoir lieu dans un combat de mousqueterie ; par delà deux décharges essuyées et rendues, il n'y a pas d'effort de discipline qui puisse empêcher un feu compliqué et régulier de dégénérer en feu de volonté. Ce feu est le plus vif et le plus meurtrier de tous ; il échauffe la tête du soldat ; il l'étourdit sur le danger (26). "

Que nous sommes loin des calculs et des règles compliquées de tous ces inventeurs qui nous ont entretenus de feux obliques, ont fait valoir des arguments pour ou contre les feux par pelotons, par demi-rangs, les feux de parapet, les armes passées du troisième et du quatrième rang au deuxième, etc. ! Avec Guibert, nous voici en pleine réalité ; nous sortons des systèmes et des rêves et nous entrons dans un ordre d'idées absolument nouveau.

 

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C) ÉVOLUTIONS ÉLÉMENTAIRES

Il en est de même lorsqu'on passe à l'étude des évolutions. Guibert élimine toutes celles qui n'ont pas une utilité certaine à la guerre ; il ne garde, comme mouvements élémentaires, que les à-droite et à-gauche individuels, le demi-tour, des mouvements de conversions, et il adopte partout, sans souci de la régularité et des préjugés, la solution la plus simple.

" Toutes les évolutions nécessaires à l'infanterie se réduisent, selon moi, à savoir doubler ses rangs, faire les mouvements de conversion, se former en colonne et se mettre en bataille (27). "

En réalité, Guibert n'admet pas le doublement des rangs proprement dit, opération compliquée et qui ne peut s'exécuter sans confusion ; il veut seulement que, pour recevoir une charge de cavalerie, les compagnies d'infanterie fassent filer leur gauche derrière leur droite, ou réciproquement, afin d'avoir une profondeur de six rangs nécessaire pour résister au choc des cavaliers.

En ce qui concerne les conversions, Guibert rappelle les inconvénients des conversions à pivot fixe, qui obligent une colonne par peloton ou par division à perdre ses distances et ralentissent infiniment la marche. Il ne veut que les conversions à pivot mouvant, que nous avons rencontrées pour la première fois dans l'instruction de 1769.

La colonne doit se former de la même façon, selon Guibert, quel que soit le but pour lequel on la forme. Il ne s'attarde pas sur ce qu'il appelle " rompre un bataillon en colonne " à droite ou à gauche, par pelotons ou par divisions. Depuis que l'on se forme sur trois rangs serrés, cette colonne à distance entière ne comporte aucune difficulté.

Il n'en est pas de même du mouvement " ployer le bataillon en colonne " sur une de ses divisions demeurées immobiles. Guibert adopte ici, comme unique solution, celle qu'il a introduite depuis quelques années, qui est de beaucoup la plus simple. Il donne une définition générale, s'appliquant à tous les cas, et une méthode non moins générale, la plus simple qu'on ait imaginée, sans aucun souci du formalisme, sans mouvements carrés ni conversions régulières : il fait faire un à-gauche ou à-droite individuel dans toutes les divisions, sauf celle qui sert de base, puis chacun déboîte et se porte à sa place par le chemin le plus court. L'instruction de 1769 avait, assez timidement, proposé cette méthode après d'autres, pour un cas unique.

Nous, qui pratiquons journellement ce procédé, nous ne pouvons que le trouver très naturel et nous étonner qu'il n'ait pas été adopté plus tôt ; mais il faut se reporter au temps, pour concevoir l'indépendance d'esprit et la haute intelligence de l'homme qui fait succéder tout d'un coup cette manoeuvre si simple aux conversions successives et aux mouvements compliqués par lesquels on ployait le bataillon en colonne.

Enfin, un autre progrès non moins important serait réalisé, si l'on en croyait Guibert, en abandonnant le préjugé contraire à l'inversion : " Veux-je mettre mon bataillon en colonne ? J'en donne la tête à sa droite ou à sa gauche indifféremment et suivant que les circonstances l'exigent..... S'agit-il de me reformer en bataille ? Je me reforme sans m'embarrasser que ma droite primitive soit devenue ma gauche..... Quelle raison m'assujettit, parce que j'ai formé dans un ordre primitif mon bataillon par la droite, à manoeuvrer toujours dans cet ordre, à ne remuer que de ma droite ? cela dût-il rendre mes mouvements plus longs, plus fatigants, et me porter sur un terrain où je ne veux pas être (28). "

Si l'on embrasse l'ensemble de toutes ces propositions sur la manoeuvre élémentaire de l'infanterie, on constate qu'il y a là une véritable révolution : depuis la position du soldat jusqu'aux mouvements du bataillon, rien n'est réglé d'après d'anciens préjugés ou des formules géométriques ; tout est personnel, dicté par l'esprit le plus pratique, le plus simple, ne s'attachant qu'aux réalités et à celles-là seules qui ont une réelle importance : pour la position du soldat et le maniement d'armes, la structure de l'homme ; pour les feux, l'organisation et les effets de l'arme ; pour les manoeuvres, la simplicité et la rapidité des mouvements.

 

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D) FORMATIONS DE COMBAT

Si nous abordons la question tactique proprement dite, les idées sur le combat, elles ont pour fondement l'observation directe et personnelle des faits de guerre, la nature de l'homme telle qu'elle s'est révélée à l'observateur ; car, si Guibert n'a que vingt-neuf ans, il a déjà quinze ans de service et plusieurs campagnes faites dans des conditions exceptionnellement favorables à son instruction. Il a assisté aux dernières opérations de la guerre de Sept ans à l'armée de Broglie, où son père était major général ; il a vu des combats, notamment celui de Villingshausen, dont il cite volontiers les incidents, et son père a développé, par des entretiens incessants, les connaissances pratiques qu'il pouvait en tirer. Peu d'années plus tard, il est à l'armée de Corse, sous la direction personnelle et immédiate du comte de Vault, homme d'une haute valeur, qui joint à ses talents l’expérience de la guerre et la science historique la plus solide.

Il est un point qu'on peut regretter dans l'exposé que Guibert donne de ses idées tactiques : c'est la distinction qu'il fait entre l'ordonnance " habituelle et primitive ", et l'ordonnance " accidentelle et momentanée ". Cette distinction, que nous avons déjà signalée dans La Noue, va perpétuer le désaccord, au fond assez minime, qui existe entre la doctrine de Guibert et celle de ses adversaires.

" L'infanterie étant propre à l'action de feu et à l'action de choc, il lui faut une ordonnance qui lui permette l'usage de ces deux propriétés, et, au cas que la même ordonnance ne puisse servir pour les deux objets, il faut que, de celle qui sera déterminée devoir être l'ordonnance habituelle et primitive, elle puisse facilement et promptement passer à l'ordonnance accidentelle et momentanée, qui remplira le second objet. Mais laquelle sera l'ordonnance primitive et habituelle ? L'ordonnance de feu, ou celle de choc (29) ? "

Guibert ne se paye pas de mots et, des combats auxquels il a assisté, il a conservé ce souvenir bien net qu'il est absolument inutile de se porter au devant de l'ennemi en essuyant son feu sans y répondre ; nulle troupe n'ira jusqu'au bout en pareil cas. Aussi est-ce l'ordonnance du feu qui sera déclarée par lui " primitive et habituelle ".

" Avant que d'être en mesure d'aborder l'ennemi, il faut se mettre en bataille, il faut arriver à lui, il ne faut pas être détruit, ou mis en désordre par l'effet de son feu ; il faut lui faire craindre du feu à son tour ; donc il est nécessaire que l'ordonnance primitive et habituelle soit l'ordonnance propre au feu, c'est-à-dire l'ordre mince ; je déterminerai ci-après quelle proportion cet ordre devra avoir.

" La multiplicité de l'artillerie, la science du choix des postes, celle des retranchements, ont rendu aujourd'hui les actions de choc infiniment rares ; donc celles du feu étant plus communes, c'est une raison de plus pour que l'ordonnance propre au feu soit l'ordonnance primitive et habituelle. "

" Trois hommes l'un derrière l'autre et bien exercés peuvent tirer avec facilité ; les baïonnettes du second et troisième rang peuvent, quand les rangs se serreront, former fraise et appui pour le premier. Donc je veux qu'on se forme sur trois (30). "

Il faut avouer qu'ici le raisonnement de Guibert n'est pas inattaquable ; on peut contester que le troisième rang tire avec facilité, que ses baïonnettes dépassent le premier rang, de sorte que l'ordre sur deux serait peut-être préférable à l'ordre sur trois.

L'essentiel, c'est que Guibert conteste l'utilité d'une formation plus profonde pour le choc :

" Les circonstances, dira-t-on, la nature du terrain, la situation de l'ennemi peuvent exiger qu'on aille à lui sans tirer et qu'on engage une action de choc. D'accord ; je suis plus partisan que personne de cette manière d'attaquer : c'est celle du courage, c'est celle de la nation, c'est presque toujours celle de la victoire. Je vais prouver cependant que l'ordre mince, à quelques occasions près, est encore le plus avantageux et le plus favorable pour engager une action de choc.

" Commençons pour cet effet par détruire l'ancien préjugé d'après lequel on croyait augmenter la force d'une troupe en augmentant sa profondeur. Toutes les lois physiques sur le mouvement et le choc des corps deviennent des chimères, quand on veut les adapter à la tactique ; car, premièrement, une troupe ne peut se comparer à une masse, puisqu'elle n'est pas un corps compacté et sans interstices. Secondement, dans une troupe qui aborde l'ennemi, il n'y a que les hommes du rang qui le joint qui aient force de choc ; tous ceux qui sont derrière eux ne pouvant se serrer et s'unir avec l'adhérence et la pression qui existerait entre des corps physiques, ils sont inutiles et ne font qu'occasionner du désordre et du tumulte. Troisièmement, ce prétendu choc pût-il avoir lieu de manière que tous les rangs y contribuassent, il existe dans une troupe composée d'individus qui, machinalement du moins, calculent et sentent le danger, une sorte de mollesse et de désunion de volontés qui ralentit nécessairement la détermination de la marche et la mesure du pas ; donc plus de quantité entière de mouvement, plus de produit de masse et de vitesse, plus de choc ; car le choc suppose que la vitesse, une fois imprimée au corps mû par la cause motrice, continue jusqu'à la rencontre du corps choqué (31). "

II y a cependant des cas où Guibert admet l'emploi des colonnes d'attaque ; certaines circonstances et, notamment, la nature du terrain peuvent rendre " la diminution du front nécessaire pour se renforcer sur un point, y attaquer et y percer " (32). I1 faut alors former l'infanterie en colonne.

" Dans quel cas peut-il être nécessaire et avantageux d'attaquer l'ennemi en colonne ? C'est quand l'ennemi est derrière un retranchement ou dans tel autre poste dont les flancs naturels ou artificiels réduisent nécessairement à attaquer les saillants et à ne pas se présenter sur les faces ; c'est quand, ne pouvant déboucher sur l'ennemi que par un chemin, on est forcé de rassembler ses troupes sur ce débouché et d'arriver par ce seul passage ; c'est enfin quand d'un retranchement ou d'un poste fermé, on veut faire une sortie sur l'ennemi attaquant, et déjà mis en désordre par le mauvais succès de son attaque (33). "

Ainsi l'ordre en colonne sera presque toujours avantageux pour les attaques de localités ou de retranchements. " Mais ce ne sera pas pour avoir la pression exacte et chimérique dont ont parlé quelques tacticiens, ni pour augmenter la prétendue force de choc ; ce sera pour se procurer cette succession continue de mouvement qui fera qu'une division, entraînée par la division suivante, soit comme forcée d'arriver sur le point où l'on veut faire effort ; ce sera surtout parce que cet ordre donne de la confiance au soldat et intimide l'ennemi ; car la plupart des hommes, n'ayant pas les idées justes et ne voyant que par les yeux du corps, attribuent gain de cause à la troupe qui leur paraît la plus épaisse et qui rassemble le plus d'hommes sur un même point (34). "

L'argumentation de Guibert prête ici le flanc à la critique ; car les raisons qu'il donne en faveur de la colonne sont valables non seulement dans quelques cas particuliers, mais en toute circonstance. Ce qui en résulte, en tout cas, c'est que les colonnes pleines et serrées sont à rejeter, et qu'il faut employer pour l'attaque des colonnes par division avec distances. Aussi Guibert dit-il plus loin :

" L'infanterie se forme en colonne pour attaquer l'ennemi dans cet ordre, ou pour parcourir plus promptement et plus commodément une longue étendue de terrain, soit au pas réglé, soit au pas de route. Dans l'un et l'autre objet, la formation de la colonne doit s'opérer par le même mécanisme (35). "

Loin d'assurer l'ordre et la discipline, comme le prétendent Folard et Mesnil-Durand, les colonnes serrées, profondes et denses ont le défaut, exactement opposé :

" Voici comment se forment toutes les attaques en colonne. On s'ébranle, on approche de l'ennemi ; on crie aux soldats : " Serrez, serrez ! " L'instinct machinal et moutonnier qui porte tout homme à se jeter sur son voisin, parce qu'il croit par là se mettre à l'abri du danger, ne porte déjà que trop à l'exécution de ce commandement ; les soldats se pressent donc, les rangs se confondent ; bientôt, au rang du front et aux files extérieures près, qui conservent quelque liberté de mouvement, la colonne ne forme plus qu'une masse tumultueuse et incapable de manoeuvre. Que la tête et les flancs de cette colonne soient battus d'un feu vif, que du premier effort elle ne surmonte pas les obstacles qu'elle rencontre, dès lors les officiers ne peuvent plus se faire entendre, il n'y a plus de distance entre les divisions, le soldat étourdi se met à tirer en l'air, la masse tourbillonne, se disperse et ne peut se rallier qu'à une distance très éloignée..... Je demande à tous les anciens officiers si ce n'est pas là le tableau de la plupart des attaques qu'ils ont vu faire en colonne. Qu'on lise les détails de la bataille de Neerwinden dans Feuquières : il raconte les effets de ce désordre, dont je démontre ici les causes ; mais ce désordre n'arrivera plus, si l'on veut réfléchir et fonder la conduite de ces sortes d'attaques sur des principes.

" Les avantages de l'ordre en colonne consistent, je le répète, non dans la pression exacte des rangs et des files, mais dans la succession continue d'efforts que font les divisions rangées les unes derrière les autres, et se succédant rapidement pour se porter à un point d'attaque dont, couvertes par les divisions qui les précèdent, elles n'ont ni vu les obstacles, ni presque essuyé les coups. Ils consistent en ce que la colonne ayant peu de front, on peut la porter sur les saillants sans qu'elle ait beaucoup à souffrir des faces, etc.

" Cela posé, la bonne proportion d'une colonne d'attaque doit être au plus d'une division de front et deux bataillons de profondeur.

" Un front plus grand serait inutile, puisqu'il n'ajouterait pas à l'effort, puisqu'on n'a pas besoin de feu dans une attaque de vive force, puisqu'il s'agit de cheminer le plus à couvert possible sur le prolongement de la capitale du saillant, et que s'étendre davantage, ce serait offrir mal à propos une plus grande prise au feu des flancs voisins. Une plus grande profondeur ne serait de même que préjudiciable, puisque ce serait accumuler inutilement des troupes les unes derrière les autres, et que, si les efforts successif de deux bataillons ne réussissent pas, dix bataillons de plus à leur appui ne seront pas plus heureux...

" Au lieu donc de former, ainsi que je l'ai vu faire, des colonnes d'attaque de plus de deux bataillons, je préférerais de les multiplier, d'en attacher une à chaque saillant, et de jeter dans l'intervalle de ces colonnes des compagnies de chasseurs éparpillées pour occuper les faces du retranchement, diminuer les feux qui pourraient protéger l'angle attaqué, et hasarder même de pénétrer par les courtines, si elles sont mollement défendues... Ces tirailleurs d'élite rempliront également l'objet d'attirer le feu de l'ennemi, de l'inquiéter, et de lier l'attaque des colonnes...

" Quand les colonnes auront battu l'ennemi et emporté le retranchement, elles se déploieront sur-le-champ pour être en état de pousser leur avantage, et de présenter un front aux attaques que l'ennemi pourrait tenter. Les compagnies de chasseurs se jetteront en avant d'elles pour couvrir ce déploiement, et s'emparer promptement de tous les points avantageux, comme fossés, ravins, haies, ou maisons, qui pourraient leur donner protection ; car je ne crois pouvoir assez le répéter, c'est de l'occupation des points qui peuvent donner des flancs ou des revers sur l'ennemi que dépend le succès de presque toutes les affaires de poste (36). "

En résumé, Guibert n'admet pas les colonnes pour le combat en plaine, où la ligne suffit au combat de mousqueterie et à l'assaut. Pour les combats de postes, il veut un grand nombre de petites colonnes couvertes et reliées par des tirailleurs. Il serait d'accord sur ce point avec les partisans de l'ordre profond, si la forme même de la colonne n'était en jeu. Au fond, ce sera là tout le débat : Guibert veut une colonne par divisions avec distances ; Mesnil-Durand a proposé une colonne par divisions doublées (sur six rangs), où toute distance serait supprimée au moment de la charge ; enfin, nous avons vu que d'autres partisans de l'ordre profond voulaient encore, en 1768, des colonnes à la Folard, avec des divisions en largeur et d'autres en longueur.

Ce que nous trouverons de plus caractéristique chez Guibert, en ce qui concerne les formations de combat, c'est qu'il nie les inconvénients que l'on reconnaissait aux lignes minces d'une manière presque unanime : il est difficile, dit-on, de les faire marcher alignées ? Eh bien ! elles seront mal alignées ; elles flotteront ; c'est un objet sans aucune importance :

" Dans le temps que tous les combats d'infanterie se terminaient à l'arme blanche, et par le choc, il était important qu'une troupe allant à la charge abordât à la fois l'ennemi de toutes les parties de son front, c'est-à-dire qu'il y eût de tout ce front un contact général ; donc, l'alignement était alors essentiel... Aujourd'hui que, soit coutume, soit décadence des courages, les corps d'infanterie en viennent peu à l'arme blanche, ou que, s'ils marchent pour se charger, il est rare, disons mieux, il n'arrive jamais qu'ils s'attendent au point de se heurter et de croiser la baïonnette, le trop symétrique et trop minutieux alignement de l'infanterie marchant en bataille devient un point de perfection inutile à atteindre. Il devient même impossible si la ligne d'infanterie est considérable (37)...

" Je ne regarderai l'alignement que comme un accord de mouvement de la perfection duquel j'approcherai plus ou moins, suivant que l'étendue de mon front et la difficulté du terrain me la rendront possible, mais qui ne m'engagera jamais à faire ralentir ou raccourcir le pas, parce que le premier objet de la marche est d'avancer, et que toute marche qui ne remplit pas cet objet est puérile et ridicule.

" Indifférent sur la prétendue perfection de l'alignement, je m'attacherai en revanche à ce que l'infanterie sache marcher devant elle bien droit et bien perpendiculairement à l'extrémité de ses ailes, de manière à arriver avec exactitude à une donnée parallèle à son front. II s'ensuivra de là qu'un bataillon ne flottera pas, ne s'ouvrira pas, ne se jettera pas sur son intervalle (38)... "

Guibert a cependant connaissance des principes énoncés par Pirch, car il fait allusion aux points de vue et aux exercices par lesquels on peut dresser les officiers à conserver la direction et l'alignement : " Ils apprendront à élever de l'oeil une perpendiculaire, à choisir une direction parallèle à telle autre,... à observer imperturbablement les distances d'une division... Mais combien d'autres démonstrations locales et sensibles peuvent, dans ce genre, former l'intelligence et le coup d'oeil des officiers ! Je me suppose exerçant trois bataillons à la marche. Je ne dirigerai jamais la marche de ces bataillons qu'en prenant des points de vue dans la campagne. Je me dirai, par exemple : les arbres B, C sont les sommets des deux perpendiculaires à l'extrémité de mes ailes. Je donnerai en conséquence ces points de vue aux officiers qui conduisent mes bataillons, etc. (39) "

Toutes ces précautions, Guibert les prend parce qu'il sait combien elles sont indispensables pour ne pas tomber dans la confusion et le désordre ; mais il n'espère pas, il ne veut pas obtenir cette précision géométrique à laquelle Pirch semble prétendre :

" Quand j'en serai à la grande tactique, dit-il, je traiterai des mouvements des armées en ligne ; je dirai quel est leur objet, comment ils doivent se faire, et combien peu il faut s'occuper de l'alignement (40). "

Pour la manière de faire combattre des lignes minces, Guibert n'hésite pas : si l'on peut joindre l'ennemi, on marchera sur lui sans tirer. " Marcher en tirant, ou s'arrêter pour tirer, c'est ralentir son mouvement, c'est essuyer plus de feu qu'on n'en fait essuyer, et un feu bien plus meurtrier, puisque celui de l'ennemi, que je suppose ou posté ou arrêté, est bien plus vif et bien mieux ajusté ; c'est enfin perdre l'avantage décisif de l'assurance qu'un mouvement prompt et audacieux imprime à la troupe qui le fait, tandis que l'ennemi, voyant qu'on arrive malgré son feu, s'étonne et chancelle. Qui connaît la nation, qui l'a vue à la guerre, trouvera cette dernière raison sans réplique (41). "

Si l'ennemi se retire en désordre, c'est moins que jamais le cas de tirer en marchant. " Il faudra détacher sur lui des troupes éparpillées pour le harceler par un feu continuel, le séparer, lui faire des prisonniers, tandis qu'avec les bataillons on marche derrière ces tirailleurs en bon ordre, au bon pas, et disposé à le charger s'il s'arrête et s'il tente de se rallier... En un mot, et j'en fais une maxime générale, il ne faut tirer que quand on ne peut pas marcher (42). "

On tirera quand il sera impossible de se porter sur l'ennemi sans l'avoir ébranlé par un feu prolongé ; dans ce cas, on tirera de pied ferme et, comme nous l'avons vu, on fera surtout un feu de billebaude.

Il faut dire un mot des formations indiquées pour le combat contre la cavalerie. Quand l'infanterie en bataille dans une plaine craint d'être chargée par la cavalerie, Guibert veut qu'elle se forme sur six rangs et il ne fait pas doubler les rangs, mais il fait ployer, dans chaque compagnie, la moitié de gauche derrière celle de droite. Cette ordonnance peut faire front des deux côtés et présente une résistance suffisante à une arme qui n'agit pas par le feu.

Si une colonne est obligée de se retirer devant un corps de cavalerie, " elle se met en marche au pas doublé, laissant 3 pas d'intervalle entre chacune de ses divisions, ayant des tirailleurs derrière elle et sur ses flancs, pour écarter les harceleurs et protéger sa marche. Si la cavalerie ennemie s'approche pour charger la colonne, celle-ci s'arrête, serre ses divisions, fait front sur les quatre faces, rappelle ses tirailleurs (43). "

Telle est, en substance, la doctrine de Guibert pour tout ce qui concerne le combat. Elle s'éloigne peu des résultats auxquels a conduit la pratique pendant la guerre de Sept ans : prépondérance de la mousqueterie, ordre mince pour la bataille en plaine, petites colonnes pour les combats de localités, tirailleurs couvrant les attaques. L'analogie est non moins frappante pour le passage de la formation de route à l'ordre de bataille : on a vu le soin qu'apportaient nos généraux à multiplier les colonnes pour en hâter le déploiement ; Guibert, en appliquant les procédés plus simples et plus rapides qu'il a donnés, propose un système général de marches-manoeuvres, où il détermine les dispositions les plus convenables pour chaque cas particulier. C'est la partie de son sujet sur laquelle il s'étend le plus longuement.

 

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E) FORMATIONS D'ATTENTE ET DE MANOEUVRE

" Dans la tactique qu'avaient, il y a trente ans, toutes les troupes de l'Europe, et qu'une partie de ces troupes a encore aujourd'hui, écrit Guibert, les mouvements qui mettaient une armée en colonne ou en bataille étaient si lents et si compliqués qu'il fallait des heures entières pour faire une disposition générale. Il fallait prendre son ordre de bataille très loin de l'ennemi ; une fois cet ordre formé, on n'osait, crainte de le bouleverser, y hasarder des changements. A présent, ou, pour mieux dire, dorénavant, si la tactique que j'expose est adoptée, les mouvements qui mettront les troupes en colonne ou en bataille étant simples, rapides, applicables à tous les terrains, on prendra cet ordre de bataille le plus tard et le plus près de l'ennemi qu'il sera possible, parce que des colonnes sont bien plus faciles à remuer que des lignes, et parce qu'en ne démasquant sa disposition qu'au moment de l'attaque, l'ennemi n'aura pas le temps de la parer ; enfin, l'ordre de bataille étant formé, on saura y exécuter des manoeuvres intérieures, y apporter des changements, et faire succéder à la disposition primitive des dispositions imprévues et, si j'ose m'exprimer ainsi, des contre-manoeuvres...

" Mes colonnes seront formées par division, et de tel nombre de bataillons qu'on jugera à propos ; j'observerai cependant, à l'égard de ce nombre, qu'il y a une proportion qu'il faut suivre, car les colonnes, trop multipliées et trop faibles, pourraient mettre dans l'embarras pour les débouchés, et jeter trop de complication dans les mouvements : trop fortes, elles deviendraient moins maniables, et plus lentes à se mettre en bataille...

" Il faudra que les colonnes de manoeuvre sachent parfaitement marcher à même hauteur, observer entre elles des distances déterminées, diriger leurs têtes sur des points indiqués et prendre en totalité la direction de leurs têtes (44)... "

" Il faut donner à la colonne le front d'une division, parce que par là l'on rassemble le bataillon sur une très petite profondeur, et qu'en même temps les divisions n'ont pas des fronts assez étendus pour être susceptibles de désordre et de lenteur dans leur déploiement (45). "

La manière dont les bataillons auront formé la colonne pour se mettre en marche importe peu, puisque ce sera toujours une colonne par division ; mais Guibert est d'avis de laisser des distances différentes entre les divisions, suivant la situation des colonnes par rapport à la ligne de bataille projetée. Si elles doivent se déployer face en tête, il est avantageux qu'elles soient serrées le plus possible, c'est-à-dire avec un pas entre les divisions. Si elles marchent par le flanc, et dans le projet de se mettre en bataille à droite ou à gauche, elles seront formées à distance entière, avec un front de division entre deux divisions successives. Ce dernier procédé est. le plus simple, le plus connu, le moins rapide aussi et le moins souple ; Guibert n'y insiste pas et s'attache surtout au déploiement face en tête.

Les règles indiquées pour les distances entre les divisions ne sont pas absolues. On peut profiter de la formation en colonnes pour faire illusion à l'ennemi sur ses forces, soit en augmentant, soit en diminuant la longueur de la colonne.

Quelles que soient les distances entre les divisions, Guibert estime qu'il n'y a pas de différence essentielle entre les divers genres de colonnes qu'on peut employer. Il se flatte d'avoir considérablement simplifié la question des déploiements en élaguant toute formalité ou distinction superflue :

" J'ai réduit toutes les colonnes, soit de marche, d'attaque ou de manoeuvre, à une seule, qui est applicable à tous ces objets. J'ai simplifié la formation de cette colonne à un point si grand, qu'il n'y a pas de militaire pour lequel les avantages de ce changement ne deviennent d'une évidence incontestable. Aujourd'hui, nos troupes ont cinq ou six manières de se mettre en ordre de marche, toutes lentes et processionnelles. Elles ont une formation particulière de colonne [pour l'attaque et une autre] pour la retraite. Ces deux dernières sont si étrangement compliquées, qu'on convient qu'elles sont impraticables à la guerre. "

La moitié de l'Essai général de tactique est consacrée aux exemples de déploiements et de marches-manoeuvres. Guibert montre en détail comment ses colonnes, de force et de densité variables au gré du général, peuvent se plier au terrain, s'avancer plus ou moins, suivant la direction qu'on veut donner au front, modifier leur direction et leur groupement si les manoeuvres de l'ennemi font changer le projet d'attaque. Il prouve qu'une armée ainsi formée est capable de prendre et d'abandonner en quelques instants toutes les dispositions. Il estime d'ailleurs qu'il ne faut pas craindre de manoeuvrer devant l'ennemi, si l'on s'en juge capable.

" II y a des militaires qui disent qu'il ne faut point d'évolutions, et que toutes les évolutions sont impraticables devant l'ennemi. Il y a des tacticiens que la pratique n'a point éclairés, qui veulent multiplier les évolutions à l'infini, qui en fatiguent continuellement les troupes, soutenant que toutes les évolutions sont bonnes, qu'elles remplissent du moins l'objet utile d'assouplir et d'exercer le soldat. Cherchons un juste milieu...

" Il faut des évolutions, car sans évolutions, une troupe ne serait qu'une masse sans mouvement... Elles doivent être simples, faciles, en petit nombre, et relatives à la guerre ; elles doivent surtout être promptes, parce que le mouvement qu'une troupe fait pour passer d'un ordre à un autre la jette nécessairement dans un état de désunion et de faiblesse, d'où il est important qu'elle sorte le plus tôt possible.

" ... Un vieux axiome répandu dans les troupes est qu'il ne faut pas manoeuvrer devant l'ennemi. Je vais l'analyser et chercher ce qu'il renferme d'erreur et de vérité.

" Toute évolution sous le feu, et sous un feu vif de l'ennemi, est impossible à tenter avec des troupes qui ne sont point aguerries, et délicate avec des troupes qui le sont, surtout si l'ennemi est assez à portée pour arriver sur elles avant la fin de leur mouvement.

" Aucune évolution, quelle qu'elle soit, n'est impossible ni imprudente en présence de l'ennemi, si on peut l'exécuter avant qu'il puisse la traverser ; si, ayant de bonnes troupes, on en a un assez grand nombre de formées pour résister à ses premiers efforts et couvrir la fin du mouvement.

" C'est de l'espèce des troupes que dépend presque toujours la possibilité ou l'impossibilité d'un mouvement... Il n'y a donc pas d'évolution proprement dangereuse en elle-même. Tout dépend de la circonstance dans laquelle on l'applique... Il ne s'ensuit pas qu'il soit indifférent d'employer une évolution combinée de telle ou telle manière. On doit se rappeler que, j'ai posé pour principe que la simplicité et la célérité étaient les caractères distinctifs de la bonté d'une évolution. "

Cette partie de l'oeuvre est la plus importante : étant donné le mode de combat imposé par les armes du dix-huitième siècle, les évolutions générales proposées par Guibert sont assurément les plus simples, ses formations sont les plus souples et les plus propres à manoeuvrer jusqu'au dernier moment. Les Prussiens en riront, mais pas plus tard qu'en 1806.

Guibert a passé, d'après les dires de Mesnil-Durand et de ses adeptes, pour l'apôtre des doctrines prussiennes. On a pu s'assurer, par ce qui précède, que rien n'était plus faux : dans la partie élémentaire de la tactique, tout ce qu'il soutient est de lui (ou de son père) et n'est nullement formaliste, nullement conforme aux méthodes prussiennes. En ce qui concerne les évolutions, il a reconnu et signalé les avantages énormes que présentent les colonnes serrées, ployées par mouvements de flanc des pelotons, et déployées de même ; il en a fait, et avec raison, la base de sa tactique. Sur ce point, il est d'accord avec Mesnil-Durand ; ailleurs, il adopte les procédés de Pirch, mais il a soin de prévenir que l'alignement lui est indifférent, au combat, que la direction seule lui importe, et en cela il se sépare profondément de l'officier allemand, pour qui alignement et direction contribuent à la régularité totale du mouvement et présentent une égale importance. Guibert est donc, si l'on veut, un éclectique, mais dans son oeuvre toutes les parties essentielles n'appartiennent qu'à lui. Elle a, en tout cas, malgré l'origine diverse de quelques détails, une homogénéité, un ensemble parfaits.

Ce qu'elle présente de plus frappant, et ce qui fait sou principal mérite, c'est qu'on ne trouve pas à la base une ou plusieurs idées abstraites, mais une connaissance exacte des faits de guerre : soit par son père, soit par lui-même, Guibert sait comment se passent un combat, une attaque en ligne ou en colonne, et il s'attache à bien comprendre, à bien analyser les faits. C'est de là qu'il tire ses principes pour les formations de combat. Quant aux formations d'attente ou de manoeuvre, aux évolutions, il a su faire un choix parmi toutes celles que ses contemporains lui présentaient, et il a donné un véritable code de manoeuvres, procurant la plus grande souplesse et la plus grande variété de formes par les moyens les plus simples et les moins nombreux. Il transformera les matériaux apportés de Prusse par Pirch ou gâtés par Mesnil-Durand, et il en tirera notre tactique de 1791.

Table des matières - Introduction - Chapitre I
Tactique française pendant la guerre - Instructions du maréchal de Broglie - Le règlement de 1764 - Critique du règlement de 1764 - Ordonnance de 1766 - Les colonnes de Guibert - L’instruction de 1769 pour les troupes légères - La tactique française de 1770 - L’" Essai général de tactique " de Guibert
Chapitre III - Chapitre IV - Chapitre V
Planche 1 - Planche 2 - Planche 3 - Planche 4 - Planche 5

 

 

Note 01 : Archives de la guerre, registre 3520.

Note 02 : Archives de la guerre, 3435, 3440, 3441.

Note 03 : Archives de la guerre, n° 3563, et archives des cartes.

Note 04 : Archives de la guerre, registre 3587-3479.

Note 05 : Archives de la guerre, registre 3484.

Note 06 : Archives de la guerre, registre 3480.

Note 07 : Archives de la guerre, registre 3518.

Note 08 : Voir la relation imprimée en 1759.

Note 09 : Ou ses conseillers.

Note 10 : Archives de la guerre, registre 3550. Cette Instruction a d'ailleurs été publiée.

Note 11 : Archives de la guerre (Infanterie, carton n° 6). Nota : La référence actuelle du carton est 1M 1710. Le titre exact est : " Observations sur le service de l’armée française en Allemagne ". Un exemplaire manuscrit de l’Instruction du maréchal de Broglie se trouve également dans ce carton.

Note 12 : Il faut probablement lire deux au lieu de trois.

Note 13 : Matériel Gribeauval.

Note 14 : Il ne faut pas oublier qu'on ne marchait alors par le flanc que sans doubler; que les rangs, d'abord très serrés, se relâchaient forcément au bout de quelques pas et qu'on ne pouvait faire fil marcher ainsi que es pelotons e vingt es tout au plus.

Note 15 : Carton n°9.

Note 16 : Des instructions manuscrites, rédigées en 1771 pour le régiment de Chartres, contiennent des règles détaillées concernant la marche en bataille et les alignements, qui sont empruntées en partie à l'ordonnance des troupes légères.

Note 17 : Guibert, né en 1743 n'avait pas quatorze ans lorsqu'il accompagna son père à la guerre. Celui-ci devint bientôt major-général du duc de Broglie, et le jeune Guibert obtint une compagnie avec laquelle il assista aux combats des dernières campagnes de la guerre de Sept ans. II prit part ensuite à la guerre de Corse, sous les ordres de M. de Vault, avec une telle distinction qu'il redut la croix de Saint-Louis à l'âge de vingt-quatre ans. Il fut chargé de lever et dresser la légion corse, où il dut avoir Pirch sous ses ordres et dont il devint colonel en 1772.

Note 18 : Essai général de tactique, première partie, chapitre préliminaire.

Note 19 : Essai général de tactique, première partie, chapitre préliminaire.

Note 20 : Essai général de tactique, chapitre II.

Note 21 : Essai général de tactique, chapitre II.

Note 22 : Essai général de tactique, première partie, chapitre I.

Note 23 : Essai général de tactique, première partie, chapitre IV.

Note 24 : Essai général de tactique, première partie, chapitre IV.

Note 25 : Essai général de tactique, première partie, chapitre IV.

Note 26 : Essai général de tactique, première partie, chapitre IV.

Note 27 : Essai général de tactique, première partie, chapitre V.

Note 28 : Essai général de tactique, première partie, chapitre IX, § 2.

Note 29 : Essai général de tactique, première partie, chapitre I.

Note 30 : Essai général de tactique, première partie, chapitre I.

Note 31 : Essai général de tactique, première partie, chapitre I.

Note 32 : Essai général de tactique, première partie, chapitre I.

Note 33 : Essai général de tactique, première partie, chapitre VIII, § 2.

Note 34 : Essai général de tactique, première partie, chapitre I.

Note 35 : Essai général de tactique, première partie, chapitre VIII, § 1.

Note 36 : Essai général de tactique, première partie, chapitre VIII, § 2.

Note 37 : Essai général de tactique, première partie, chapitre III.

Note 38 : Essai général de tactique, première partie, chapitre IV.

Note 39 : Essai général de tactique, première partie, chapitre III.

Note 40 : Essai général de tactique, première partie, chapitre III.

Note 41 : Essai général de tactique, première partie, chapitre IV.

Note 42 : Essai général de tactique, première partie, chapitre IV.

Note 43 : Essai général de tactique, première partie, chapitre VIII, § 3.

Note 44 : Essai général de tactique, première partie, chapitre VIII, § 3.

Note 45 : Essai général de tactique, première partie, chapitre IX, § 2.