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Source :
SHAT - Archives du génie, Article 15, Section 1, Carton 2, pièce 5.

 

Au camp de Tongres, ce 14 octobre 1746

Relation de la bataille de Raucoux près de Liège, gagnée complètement par le maréchal de Saxe le 11 sur l'armée du prince Charles.

Par Lamy de Chatel

 

L’armée de M. le comte de Clermont Prince ayant joint celle du maréchal le 8, la gauche appuyant à la droite de la grande armée et la droite s'étendant vers Warem, le maréchal ordonna le 9 une distribution de 300 livres de poudre et de 600 livres de balles par bataillon, même quantité à chaque régiment de dragons et hussards et 25 livres de poudre et 50 livres de balles à chaque régiment de cavalerie ; (il) envoya ordre en même temps à MM. de Malezieux et de la Roche-Aymond de former douze brigades de 10 pièces chacune en laissant le gros canon en réserve ; il divisa en même temps son armée en plusieurs corps. Il donna celui de l'aile droite à M. d'Estrées, composé de 25 escadrons de hussards, de Grassins et de La Morlière faisant deux bataillons et 8 escadrons, 2 brigades d’infanterie, à savoir Bourbon et Ségur et 16 escadrons de cavalerie faisant en tout 10 bataillons et 49 escadrons avec 10 pièces de canon ; celui qui devait soutenir l'aile droite à M. le comte de Clermont Prince, ayant à sa droite M. de Lowendal, composé des brigades de Picardie, Champagne, Monaco, 12 bataillons, de 32 escadrons et de deux brigades d’artillerie ; celui de la gauche fut donné à M. de Mortaigne, composé de 1000 hommes d’infanterie des Volontaires Royaux, de la compagnie franche de Fischer et de celle des Croates ; le second de l'aile gauche à M. de Clermont-Gallerande, formé par deux brigades d’infanterie, à savoir Mailly et Bretagne, de 32 escadrons, et de deux brigades d’artillerie. La Maison du Roi, la Gendarmerie, les Carabiniers, Saxe Volontaire, les Gardes Françaises et Alsace avec les Cantabres faisant 32 escadrons et 11 bataillons, avec une brigade d'artillerie, aux ordres de M. du Chayla, un second corps de réserve de 32 bataillons et de 26 escadrons, aux ordres de M. de Contades, les corps d'armées au centre.

Ces dispositions faites, M. le Maréchal étant exactement informé que l'armée ennemie était toujours campée sur les hauteurs de Liège, la Meuse derrière elle, la droite appuyée au Jaar, un peu au-delà de Houtain et la gauche au village d'Ance, occupant les faubourgs de Ste Margueritte de la ville de Liège, fit marcher toute son armée le 10 au matin sur 8 colonnes passant le Jaar où il avait fait faire 18 ponts, chaque colonne à 500 pas de distance l’une de l’autre, avec 100 pas d'intervalle d’un bataillon à l'autre, à la tête de chacune une brigade d’artillerie, le reste marchant en réserve par les chaussées de Tongres à Liège, et de Bruxelles à Liège, avec 100 travailleurs qui les précédaient pour aplanir les ravins dont la plaine se trouve coupée en beaucoup d'endroits, pour aller prendre celui de Houthey où il coupa son armée sur 4 lignes, la gauche à Glaen, à la chaussée de Tongres à Liège, et la droite à Horiau, faisant le croissant en se rapprochant des faubourgs de Liège qu'elle enveloppait. La première et la seconde lignes étaient composées 32 bataillons chacune et de 64 escadrons à chaque flanc, la Maison du Roi en troisième et la réserve de M. de Contades en quatrième, toutes deux au centre de l'armée.

La disposition du maréchal était que sitôt que le corps d'armée serait arrivé à hauteur du village de Varoux, M. d'Estrées, qui aurait sous lui M. d'Armentières, commandant les troupes légères, attaquerait les faubourgs de Liège pour prendre la gauche des ennemis à dos, que M. le Comte de Clermont Prince seconderait l'attaque des villages d'Ance et de Ste Valburge, et se joignant à M. d'Estrées, avec permission de tirer de la réserve de M. de Contades toutes les troupes dont il pourrait avoir besoin pour se renforcer ; M. de Mortaigne avait ordre de passer le grand ravin de Sling pour donner de la jalousie à la droite des ennemis, et M. de Clermont-Gallerande, devait seconder sur le village de Liers laissant la chaussée à sa gauche en suivant le mouvement du corps d'armée. M. le maréchal ayant des nouveaux avis le 11 à la pointe du jour, que l'armée ennemie n'avait pas décampé et, qu'au contraire, les Bavarois qui étaient de l'autre coté de la Meuse avaient joint et qu'elle était en bataille, près à la recevoir, fit marcher son armée à l'ennemi, laissant son camp tendu, sur 10 colonnes dans le plus (grand) ordre du monde. Le corps d'armée étant arrivé sur les 11 heures et demi à la hauteur des villages de Varoux et de Raucoux et de Liers, les ennemis qui les avaient farcis d'infanterie commencèrent à canonner, sans effet, nos têtes de colonnes. M. d'Estrées étant arrivé en même temps sur les faubourgs de Liège, M. le Comte de Clermont Prince fit avancer 12 pièces de 16 et 14 de 12 pour canonner les villages d'Ance et de Ste Valburge dont les ennemis tiraient aussi quelques pièces et sur les deux heures et demi après avoir foudroyé les villages du feu le plus vif que l'on peut imaginer, M. d'Estrées fit attaquer par les Grassins et les La Morlière les haies des faubourgs de Liège, soutenus des brigades de Bourbon et de Ségur, qui en chassèrent les pandours et les Croates dont ils étaient farcis. Ces faubourgs enlevés, il marcha aux villages d'Ance et de Ste Valburge, dans lesquels il y avait huit bataillons dont plusieurs Bavarois. M. d'Estrées fit l'attaque de la droite tandis que le Comte de Clermont Prince les attaquait par la gauche avec les brigades de Picardie, Champagne et Monaco. Après un combat opiniâtre pendant quelques temps, les ennemis en ayant encore été chassés quoiqu'ils eussent beaucoup dégarnis leur centre pour y porter du secours de beaucoup d'infanterie et de cavalerie, M. le Comte de Clermont et M. d'Estrées firent prendre poste à son (leur) infanterie dans ces deux villages et y fi(ren)t avancer toute son (leur) artillerie de grosses et petites pièces qui, ayant commencé à tirer sur la gauche du corps de leur armée où la cavalerie appuyait et la prenant en flanc, secondée du feu de la mousqueterie, fit plier toute leur gauche qui prit la fuite en désordre. Les uns se sauvèrent près de Liège pour passer à des ponts, qui ayant été coupés par les Grassins et La Morlière, plus de 1300 s'y noyèrent, en grande partie les Bavarois. Les autres s'enfuirent par Viset et par le pont d'Herstal où il s'en noya encore beaucoup et le reste vers Maëstricht dans le camp St Pierre.

M. le Maréchal, qui en faisant attaquer la gauche des ennemis voulais faire diversion partout, envoya ordre à midi à M. de Clermont-Gallerande d'attaquer le village de Liers tandis qu'il ferait attaquer par les deux colonnes menées par M. d'Hérouville et de Maubourg les villages de Varoux et de Raucoux, et préliminairement il m'envoya chercher les 6 pièces de gros canons en réserve sur la chaussée de Tongres pour canonner les villages avec les 20 pièces de M. de Gallerande et les 10 de chacune des deux autres colonnes. Les gros canons ayant chassé au bout d'une demi-heure les ennemis du village de Liers, le Maréchal lui envoya un second ordre de ne pas perdre un moment pour attaquer. Enfin, il lui envoya aide de camp sur aide de camp, dont je fus du nombre, jusqu'à six, toujours avec réponse qu'il allait attaquer, sans qu'il en fit rien. Enfin, il vint lui-même pour faire des représentations au Maréchal sur ce que les villages étaient farcis, qui lui répondit durement que c'était pour cela qu'il voulait qu'on les attaqua et qu'il le fit sur-le-champ. Il s'en retourna et cependant n'y fit rien, ce qui rendit le maréchal furieux. Il fit attaquer la droite du village de Varoux par la colonne de M. d'Hérouville qui avait pour collègue M. de Fénelon, par les brigades de Navarre, celle de Montmorin, composé de Dauphiné, Laval, soutenues par celle d'Auvergne, formée par Boulonnais, et celle de Beauvoisis, formée par les régiments de Boufflers, Bigorre. Pour lors, M. de Clermont-Gallerande se détermina à attaquer le même village par la gauche avec la brigade de Mailly, formée par le régiment Royal La Marine, et de celle de Bretagne, formé par le régiment de Médoc, Talaru, soutenus par celle d'Artois, formée par les régiments de Penthièvre, et les Grenadiers Royaux par le régiment de Chabrillant, et en même temps celui de Raucoux par M. de Maubourg qui avais pour collègue M. de Boufflers, la droite par les brigades d'Orléans, formée par le régiment de Chartres, de Beauvoisis, formée par les régiments de Boufflers (et) Bigorre, soutenues de celle de Rouergue, (formée) par les régiments de Royal Barrois (et) La Marche, et de celle de Royal Vaisseaux, formée par le régiment de Traisnel, mais deux heures et demi étaient passées à ne rien faire, ce qui ayant fait rester toute la gauche en panne ainsi que le centre sans pouvoir s'avancer sur le front des ennemis, leur a sauvé au moins 20 à 30 mille hommes que lui auraient foudroyé 90 pièces de canons dans leur fuite à bout touchant, et que l'armée aurait jeté dans la Meuse, ne pouvant plus avoir pour lors aucune retraite sous Maëstricht. Revenons à l'attaque des deux villages de Varoux et de Raucoux, entourés de vergers les uns sur les autres, séparés de haies unies, sur le front desquels ils avaient élevé plusieurs retranchements de quatre pieds et dans lesquelles ils avaient cinq bataillons, un anglais, un hanovrien, un hessois et deux autrichiens avec six pièces de canons. Il n'est pas possible de rendre l'intrépidité, la valeur et l'audace de notre infanterie qui, s'ébranlant toute en même temps, marcha avec un ordre admirable aux deux villages sous un feu de canons à cartouches à bout touchant, essuyant trois décharges de mousqueterie auparavant d'arriver à la première haie sans tirer un seul coup, étant obligé de donner à chaque haie des nouveaux combats pour les emporter et percer de toute part. Les Autrichiens qui etaient dans le village de Raucoux lui ont abandonné les premiers. Ses trois bataillons qui étaient dans celui de Varoux, après une résistance fort opiniâtre, ayant été chassé, se sont trouvés investis de toute part, et obligés de mettre les armes bas. Ces villages forcés, M. le Maréchal fit avancer la gauche et le centre de son armée sur les hauteurs du champ de bataille des ennemis, mais il n'était plus temps. M. de Clermont et d'Estrées, ayant continué de charger avec toute (leur) artillerie et (leur) infanterie la gauche des ennemis, avai(en)t mis toutes les armées dans une déroute sans exemple. Pourtant il ne fut plus question que de canonner la queue de leurs fuyards d'une grande partie de notre canon jusqu'à la nuit qui survint. Aussitôt, nous vîmes dans un moment un corps de 3 à 4 mille hommes d'infanterie qui sortaient du village de Liers, que l'artillerie et l'infanterie en chassaient, que nous canonnâmes encore jusqu'à la nuit formée. Encore deux heures de jour, ils perdaient la moitié de deux armées, l'infanterie étant perdue seule avec la cavalerie sans terrain pour manoeuvrer. Pour lors, toute notre cavalerie, la Maison du Roi était à portée de charger. Sans M. de Clermont-Gallerande, il n'était plus question d'armée des alliés, il n'y a personne qui n'en convienne. Elle était cependant de 201 escadrons et de 94 bataillons rangés en bataille, et nous, nous avions au moins 130 mille hommes effectifs. M. le Maréchal, en se louant extrêmement de ses troupes, dit sur le champ de bataille et le soir à son souper : " c'est à la bravoure de l'infanterie et à la bonté de mon artillerie que je dois cette journée ". On la doit bien autant à ses sages dispositions et aux ordres continuels qu'il a donnés pendant toute l'affaire, se portant continuellement de la droite à la gauche à la tête de son armée, et à la justesse de son coup d'oeil pour profiter des moindres faux mouvements des ennemis.

La perte des ennemis est estimée à 5000 morts au moins et 3000 prisonniers, y compris les blessés dont un colonel anglais et un hessois. Nous leurs avons pris 34 pièces de canon dont 7 de gros calibre et 3 obus. On est à la recherche de plusieurs autres qu'ils ont abandonnés dans des chemins creux ou qu'ils ont jeté dans la Meuse, plus de 150 caissons de munition avec 10 drapeaux. Ils ont repassé dans la même nuit tous de l'autre coté de la Meuse, la plus grande partie dans le Limbourg. Notre perte va au plus haut a 1400 blessés dont près de 120 officiers et aux environs de 5 à 600 morts dont est M. de Fénelon, lieutenant général, à l'attaque du village de Varoux. C'est M. d'Armentières qui est allé porter la nouvelle du premier détail de la droite, M. d'Espagnac de la gauche. Il part dans ce moment M. le vicomte de Belzunce pour porter les détails exacts et M. de Valfons les drapeaux. Je puis assurer tous ces faits, les ayant vus par moi-même - j'ai eus assez de me porter de la droite à la gauche pour porter les ordres du maréchal. Ce détail est à peu près conforme avec celui qu'il a envoyé au Roi. C'est M. de Brézé qui est allé porter la nouvelle au Roi Stanislas.

Il commence à partir aujourd'hui 20 bataillons et 19 escadrons de cette armée pour aller en bataille commandée par M. de Coetlegon. Le maréchal reçoit dans le moment la nouvelle que les Anglais qui faisaient le siège de Port-Louis en ont été chassés et se sont rembarqués avec précipitation, ayant abandonné leurs bouches à feu et munitions. La Maison du Roi part après demain et le jour ensuite les gardes. Il paraît que l'armée et dans le moment d'aller prendre ses quartiers, aussi la saison commence-t-elle à devenir mauvaise.

 

Je suis avec le plus profond respect
Monseigneur
de votre Altesse Sérénissime

le très humble et très
obéissant serviteur
Lamÿ de Chatel

 

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