La Cavalerie de 1740 à 1789
Chapitre III

LA CAVALERIE
ENTRE LA GUERRE DE LA SUCCESSION D'AUTRICHE
ET LA GUERRE DE SEPT ANS

Table des matières - Chapitre II
Etat de la cavalerie en 1749 - Le mouvement des idées en matière de tactique de cavalerie

La période comprise entre 1747 et 1557 fut importante pour la cavalerie française, moins peut-être à cause des réformes insuffisantes qu'elle subit que par suite de l'apparition d'écrits de haute valeur dont l'influence ne se produisit que beaucoup plus tard.

État de la cavalerie en 1749. - Les précieux papiers du chevalier de Chabo donnent sur l'état réel des troupes à cheval les renseignements les plus complets et les plus précis. C'est à cette source que sont empruntés la plupart des détails qui vont suivre.

Maison du roi - Gendarmerie - Cavalerie légère française - Cavalerie étrangère - Dragons - Hussards - Troupes légères à cheval - Récapitulatif

La maison du roi comprend :

Les gardes du corps, 4 compagnies à 6 brigades, chacune forte de 50 maîtres (01). Le tout forme en guerre 8 escadrons de 150 sabres, soit pour l'ensemble 1 200.

Tous les gardes ont rang de lieutenant de cavalerie ; ils servent fort peu, et Chabo les définit : « Un corps de mauvais cavaliers, plein de courage, communément très bien monté. Leurs chevaux sont depuis 4 pieds 9 pouces jusqu'à 5 pieds, légers et très bons s'ils étaient en haleine, mais le repos des trois quarts de l'année, où, les gardes étant absents, il ne reste que des palefreniers qui ne les montent ni les promènent presque jamais, ruine leurs beaux chevaux plus que l'usage fréquent. »

Les gendarmes de la garde, 1 escadron de 150 sabres. En tout semblables aux gardes du corps.

Les chevau-légers de la garde, 1 escadron de 150 sabres. Était d'abord semblable aux gendarmes, mais s'est transformé en une sorte d'école pour la jeune noblesse. « Ce sera toujours, dit Chabo, un escadron d'élite, très courageux, très bien monté et très bien exercé. »

Les mousquetaires gris et noirs, 2 compagnies de 200 cavaliers chacune en 4 brigades. Étaient sous Louis XIV composés de jeunes gens, nobles en majorité, qui s'instruisaient avant de passer dans la cavalerie. Sous Louis XV, le corps devient en tout semblable aux gardes du corps et ne vaut pas davantage.

Les grenadiers à cheval, 1 compagnie formant un escadron de 130 hommes en paix (150 en guerre), recrutés sur toutes les compagnies de grenadiers. Ce sont donc des roturiers à qui il faut apprendre l'équitation. Ils n'ont pas de bidets pour porter leurs bagages et ne sont pas traités comme officiers.

Le total de la maison du roi est de 2 030 cavaliers, non compris 134 officiers supérieurs portant des titres divers suivant les corps. Elle forme 13 escadrons de guerre.

Ce sont en somme des corps d'élite, braves et bien montés, nais peu ou pas exercés, nullement entraînés, dispendieux et encombrants en campagne par suite des bagages qu'ils traînent à leur suite. Ils sont impropres à tout autre service qu'à fournir une charge brillante un jour d'affaire décisive. Leur réputation s'est consolidée à Fontenoy. Ils n'y ont perdu pourtant que 22 cavaliers, alors que les carabiniers ont eu 400 hommes hors de combat et que certains régiments ont laissé le tiers ou même la moitié de leur effectif sur le carreau.

Une remarque doit être faite au sujet de l'organisation intérieure de cette cavalerie. Le rapport entre la compagnie et l'escadron diffère absolument de ce qu'il est dans la cavalerie de ligne. Dans les gendarmes, les chevau-légers, les mousquetaires, les grenadiers à cheval, les deux unités se confondent en une seule. Dans les gardes du corps mêmes la compagnie forme deux escadrons. La raison de cette différence est purement économique. Le capitaine, dans la maison du roi, n'est propriétaire ni des chevaux ni des effets ; il n'y a donc pas d'inconvénient à lui confier 150 ou même 200 cavaliers, tandis qu'aucun capitaine de la ligne ne voudra ou ne pourra se charger d'entretenir une unité aussi forte, dans laquelle les pertes deviendraient désastreuses pour lui.

Maison du roi - Gendarmerie - Cavalerie légère française - Cavalerie étrangère - Dragons - Hussards - Troupes légères à cheval - Récapitulatif

Gendarmerie. - 16 compagnies de 50 cavaliers, dites de gendarmes ou de chevau-légers, divisées en brigades commandées par des sous-lieutenants et des enseignes. Ils se recrutent parmi les fils de gros fermiers, de bourgeois ou de marchands, ayant 200 à 300 livres de rente. Ils avancent à l'ancienneté et au choix pratiquement jusqu'au grade de capitaine, exceptionnellement jusqu'à celui de maréchal de camp.

Les gendarmes forment 8 escadrons à 2 compagnies, au total 800 cavaliers.

Maison du roi - Gendarmerie - Cavalerie légère française - Cavalerie étrangère - Dragons - Hussards - Troupes légères à cheval - Récapitulatif

La cavalerie, dite cavalerie légère française, forme 56 régiments à 2 escadrons et à 8 compagnies, sauf le premier, Colonel-Général, qui a 3 escadrons et 12 compagnies, et le corps des carabiniers, qui comprend 5 brigades formant 10 escadrons et 40 compagnies.

Chaque compagnie est de 30 (02) maîtres (03).

Les régiments sont rangés par ancienneté de formation et répartis aux armées par brigades (04).

Le régiment royal des carabiniers, 40 compagnies de 30 hommes, comprend 10 escadrons en 5 brigades, en tout 1 200 chevaux.

Ce corps avait été formé par Louis XIV, par analogie avec les grenadiers, en réunissant les hommes d'élite de chaque régiment en compagnies. Celles-ci constituèrent, en 1693, un corps spécial qui se recruta sur les divers régiments de cavalerie rnoyennant 90 livres par homme fourni (avec son habit et son chapeau) ayant de vingt-cinq à quarante ans, 5 pieds 4 à 5 pouces de taille, deux ans de service et devant encore trois ans, ou au moins consentant à servir encore trois ans. On se plaignait que les corps de cavalerie cherchassent à se débarrasser de leurs mauvais sujets. «  La nature du carabinier, dit Chabo, est d'être courageux et libertin ; ce qui, à la guerre, rend le corps un peu rnaraudeur. »

Les carabiniers forment 5 brigades de 2 escadrons de 4 compagnies chacune. La brigade est commandée par un mestre de camp chef de brigade, avec un lieutenant-colonel et un major. Le corps entier est sous les ordres du plus ancien chef de brigade, qui est toujours un officier général.

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La cavalerie étrangère comprend

Le Royal-Allemand
Le régiment de Wurtemberg (05)
          -         de Nassau
          -         irlandais de Fitz-James.

2 escadrons
-
-
-

240 hommes
-
-
-

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Dragons. - Se recrutent dans les villes, sont mauvais cavaliers, ont des chevaux communs, un sabre de 33 pouces, un seul pistolet (l'autre remplacé par une hache ou un outil), un fusil à baïonnette, une demi‑giberne à 30 coups, une courroie à la bride pour attacher les chevaux ensemble. Les officiers ont des épées de 31 pouces de long. Ils sont armés d'un fusil avec sa baïonnette et portent une gibecière garnie de six cartouches.

On compte 16 régiments commandés par des mestres de camp et formant chacun 2 escadrons en 8 compagnies de 30 hommes, plus 4 compagnies à pied de 60 hommes, appelées à se dédoubler à la guerre. Les dragons ont encore, en France, bien plus que dans les autres cavaleries européennes, le caractère d'infanterie montée et ont souvent servi à pied dans la guerre de la Succession d'Autriche. A cheval, ils ne se distinguent par aucune qualité particulière, sinon qu'ils montent plus mal que les cavaliers et que, sous prétexte qu'ils ont la botte molle ou la bottine, au lieu de la botte forte, ils ne se croient pas tenus à garder la même cohésion dans les rangs.

Maison du roi - Gendarmerie - Cavalerie légère française - Cavalerie étrangère - Dragons - Hussards - Troupes légères à cheval - Récapitulatif

Hussards. - Chabo se plaint que la qualité en ait baissé. «  Il y a parmi eux, dit-il, peu de Hongrois, mais des Allemands, Liégeois, Français qui ne savent rien, et ont été très faibles dans la dernière guerre. »

Les Hongrois forment 3 régiments : Berchény à 2 escadrons, Turpin, Pollereczki à un seul ; 4 compagnies de 25 hussards constituent un escadron. Les chevaux sont de toutes provenances : beaucoup de navarrins, qui résistent mal à l'humidité de la Flandre. Outre ces régiments, les Allemands, mêlés à des Liégeois, forment 4 régiments : Lynden, Beausobre, Raugrave et Ferrary, tous à un seul escadron.

Les hussards ont. dégénéré. Pour empêcher leurs maraudes, on les a astreints au bivouac comme les autres troupes. Ils portent donc un matériel de campement et de cuisine qu'ils n'avaient pas d'abord. Ils ont des états-majors, des étendards, des timbales, des manteaux. Ils sont donc aussi chargés que les autres, et la faiblesse de leurs chevaux les rend encore moins mobiles. Ils ne se distinguent de la cavalerie que parce qu'ils manoeuvrent plus mal. Ils ont un mousqueton, deux pistolets, un sabre courbé de 35 pouces de long et une cartouchière à vingt coups. Les officiers portent le même sabre que les hussards.

Maison du roi - Gendarmerie - Cavalerie légère française - Cavalerie étrangère - Dragons - Hussards - Troupes légères à cheval - Récapitulatif

Troupes légères à cheval. - Les troupes légères dans lesquelles il entre des cavaliers ou dragons sont, en 1749, après les réformes de 1748 et du début de 1749 :

Volontaires de Saxe, 6 brigades de 16o hommes
Volontaires royaux, 8 compagnies de dragons de 30 hommes
Volontaires de Flandre, 2 compagnies de 20 maîtres
Volontaires du Dauphiné, I compagnie. de dragons de 20 hommes
Chasseurs de Fischer, I compagnie à cheval de 20 hommes
Régiment étranger de Geschray, 2 compagnies de dragons de 20 hommes

TOTAL

960
240
40
20
20
      40

1 320

Maison du roi - Gendarmerie - Cavalerie légère française - Cavalerie étrangère - Dragons - Hussards - Troupes légères à cheval - Récapitulatif

L'effectif total des troupes à cheval : cavalerie, dragons, hussards et troupes légères, est le suivant :

 

ESCADRONS

CHEVAUX

 

Maison du roi ----------------------------------------------------------
Gendarmerie -----------------------------------------------------------
Carabiniers -------------------------------------------------------------
Cavalerie française -----------------------------------------------------
Cavalerie étrangère -----------------------------------------------------
Dragons ----------------------------------------------------------------
Hussards ---------------------------------------------------------------
Troupes légères à cheval (volontaires de Saxe, volontaires royaux, volontaires de Flandre., volontaires du Dauphiné, chasseurs de Fischer, régiment étranger de Geschray) -----------------------------------------

13
8
10
111
8
64
8


       »

2030
800
1 200
13 320
960
7 680
800


  1 320

TOTAUX

222

28 110

(06)

 

Table des matières - Chapitre II
Etat de la cavalerie en 1749 - Le mouvement des idées en matière de tactique de cavalerie

Le mouvement des idées en matière de tactique de cavalerie. Le rôle de la cavalerie pendant la campagne avait été fort peu brillant. Lourds et peu manoeuvriers, cherchant le succès bien moins par l'impétuosité de leurs attaques que par l'ordre et la cohésion poussés à l'extrême, les escadrons s'étaient montrés très braves, très résistants sous le feu, mais peu utiles. L'incertitude et l'incohérence, qui tenaient à l'absence d'une régle­mentation générale, s'étaient affirmées d'une façon si évidente que le premier objet des travaux devait être d'obtenir l'uniformité de manoeuvre dans les divers corps. C'est à cette tâche que se bornèrent tout d'abord les écrivains militaires, en première ligne desquels il faut citer le chevalier de Chabo, dans son Plan d'évolutions uniformes pour la cavalerie, écrit, à la fin de 1748 ou au commencement de 1749 (07).

Pour lui, la cavalerie doit se porter au combat sur plusieurs lignes, mais toutes avec des intervalles, au pas, s'arrêter pour s'aligner, sonner la charge à soixante pas, mais pour marcher au trot. De petites fractions disposées en arrière des ailes doivent alors les dépasser et se rabattre sur l'ennemi. On marché en colonne par deux, quatre, par compagnie, deux compagnies ou par escadron. Les ruptures et les formations se fort de pied ferme et par des mouvements carrés.

En somme, Chabo ne fait que consacrer ce qui existe, et ce n'est pas dans son oeuvre qu'on peut trouver l'indice d'un progrès ultérieur. Dans les oeuvres de La Porterie, de de Belle-Isle, de de Vault on ne trouve pas beaucoup plus.

Mais, à la même époque, un remarquable précurseur, Drummond  de Melfort, préconisait et faisait même appliquer à son régiment Orléans-Cavalerie des principes de manoeuvre entièrement nouveaux et d'une rare clairvoyance. On doit, considérer son oeuvre comme inspirée en grande  partie par le maréchal de Saxe, dont il avait été l'aide de camp à Fontenoy (08).

Melfort commence par faire le procès de l'équitation dite « d'écuyer » qu'on s'efforce, à tort et inutilement d'ailleurs, d'ap­prendre aux cavaliers militaires. Au grand scandale de l'Acadé­mie, il prône l'étrier court, la course, le saut d'obstacle, l'emploi des armes au galop, les exercices de natation.

Quant à la manoeuvre, il découvre et fait appliquer dans sors régiment le guide au centre de l'escadron, le chef étant à six pas devant le rang et quatre officiers à un pas devant le centre de leurs unités. Au lieu du gros et lourd escadron de 160 chevaux recommandé par le maréchal de Belle-Isle, Melfort est partisan de l'escadron carré de 98 chevaux et de cinq escadrons par régiment ; mais il veut qu'il y ait un excédent d'effectif pour boucher les vides, constituer les détachements et former un troisième rang, bien qu'en principe il n'admette que la formation sur deux rangs.

Dans la pratique des conversions par compagnie ou peloton de manoeuvre à pivot fixe, Melfort parait avoir été le premier à signaler pour le deuxième rang l'obligation de déboîter du coté de l'aile marchante par le mouvement « de tête à botte », qui n'est autre que l'oblique individuelle, mais dont il ne tire pas tout le parti qu'on devait en obtenir plus tard. Le principe des ruptures et des formations reste en effet pour lui le mouvement carré, mais avec une variante remarquable : le mouvement de « par files à droite (gauche) », c'est-à-dire exactement la marche de flanc sans doubler de l'infanterie, en faisant front successivement à l'arrivée de chaque file sur la nouvelle formation. Cette intéressante innovation, combinée avec l'emploi du galop pour tous les mouvements de rupture et de formation, ne trouvera son application que beaucoup plus tard. Son plus grand défaut est de causer des « à-coups » certains, mais elle donne une rapidité de manoeuvre dont les contemporains ne pouvaient avoir idée.

Ajoutons aussi que le galop entre, avec Melfort, dans les procédés usuels de manoeuvre. C'est, d'après lui, à cette allure que doivent se faire les ralliements, la marche d'approche, la charge. Enfin, le formalisme reçoit sa plus grave atteinte par l'institution de la manoeuvre en terrain varié, même à travers bois.

Tout cela, il faut le répéter, non seulement Melfort le conseille, mais il le pratique et le fait pratiquer à son régiment.

Les esprits n'étaient pas, malheureusement, préparés à profiter des beaux travaux de ce grand cavalier. Consultés par le comte d'Argenson, les inspecteurs n'aboutissent qu'au mémoire du 16 mai 1750, lequel n'entre que bien timidement dans la voie du progrès.

L'escadron sera fort de 140 hommes, de façon à avoir un maximum de 50 chevaux de front en marchant sur trois rangs. « Au delà de ce nombre, est-il dit naïvement, il a peine à marcher ensemble sans frottement et à former un corps solide et impénétrable. » Mais, comme les effectifs se perdent en campagne, on fixera une fois pour toutes le front à 48 files, et l'on ne formera un troisième rang que de ce qui surpassera le nombre de 96. C'est là l'origine de ce groupe indépendant, qu'on retrouvera longtemps dans la suite et qui, originairement, doit surtout servir à dépasser les ailes au moment du choc et à se rabattre sur les derrières de l'ennemi, enfin à le poursuivre en cas de succès.

L'étude entreprise par les inspecteurs de cavalerie aboutit à un projet de règlement qui fut mis en essai au début de 1752, puis à l'ordonnance du 29 juin 1753 dont le but, défini dans le préambule, fut surtout d'obtenir « l'uniformité » entre les différents corps.

Après de longues et minutieuses prescriptions sur le maniement des armes à pied et à cheval, et sans pour cela que l'emploi du sabre soit le moins du monde envisagé, les manoeuvres sont traitées en détail. L'ordre habituel est sur deux rangs, mais on se forme sur trois par un mouvement compliqué. Les rangs sont serrés « autant que possible », ce qui causera longtemps encore le maintien de la botte forte ; les chevaux du deuxième rang ont la tête sur la croupe de ceux du premier « sans cependant donner d'atteintes » ; le guide est à l'aile, marqué par un officier dans le rang. Seul, le commandant de l'escadron est devant le centre. Les ruptures par quatre files ou par compagnie se font toujours par des mouvements carrés : il en est de même des formations, dont, la base reste de pied ferme après avoir marché l'étendue voulue pour permettre la conversion de l'unité qui la suit.

Quant à la charge, elle se fait au trot et on s'y exerce en plaçant deux escadrons en face l'un de l'autre. Celui qui doit être battu fait, demi-tour à droite par homme et se retire au galop. A la vérité, on prescrit que la troupe qui doit être repoussée aura le mousqueton haut, tandis que l'autre l'attaquera le sabre à la main, de façon à montrer la supériorité de l’arme blanche. Mais on ne peut imaginer d'exercice plus faux et plus dangereux que cet apprentissage de la défaite. Si beaucoup d'écrivains du dix-huitième siècle ont pu dire qu'en guerre le choc de deux lignes de cavalerie était rare, la cause doit en être cherchée à la fois dans la lenteur de l'attaque et dans l'habitude d'une prompte retraite qu'hommes et chevaux prenaient dans les manoeuvres du temps de paix.

Enfin et par application de l'usage courant qui a été signalé plus haut, la « manoeuvre pour une troupe de 50 maîtres » fait l'objet d'une réglementation spéciale, d'ailleurs courte.

Dans les camps réunis en 1753, ces diverses évolutions furent essayées et firent l'objet d'applications pratiques. Par une remarquable initiative de Chevert au camp de Sarrelouis, on vit le régiment de dragons Mestre-de-Camp-Général exécuter des marches en bataille au galop, des mêlées et des poursuites à cette allure, des attaques contre l'infanterie avec arrêt sous le feu et coutre les baïonnettes. Ce fut, là une très rare exception (09). « Si toute la cavalerie, dit Maillebois, est dans le même état que celle qui a campé cette année en Alsace, il n'est pas possible de s'en servir utilement à la guerre... (elle) n'est pas exercée et ceux des régiments qui le sont le mieux le sont sur des principes différents de l’Instruction... tous les mouvements sont trop pesants. »

Une nouvelle réunion des inspecteurs pendant l'hiver 1753-1754 n'ayant pas abouti, le ministre signa seul une nouvelle instruction, datée du 14 mai 1754, simple reproduction de la précédente sauf d'insignifiants détails. Cependant, il faut noter la suppression de l'exercice du demi-tour individuel dans la charge sur le terrain de manoeuvre. A l'avenir, les deux partis auront le sabre à la main et ne s'arrêteront que lorsque « les têtes se touchent et les sabres se croisent ».

Les manoeuvres exécutées dans les camps pendant l'été de 1754 ne différèrent donc pas notablement des précédentes. D'après le programme de l'une d'elles (10), on fera quarante fois des à-droite ou des à-gauche par compagnie, deux compagnies, ou un escadron, deux charges avec demi-tour au galop par compagnie dans l'un des partis, et au trot ou au « grand pas (sic) » dans l'autre, puis l'on rentrera au bivouac.

Les observations faites furent du plus médiocre intérêt ; les inspecteurs ne paraissent pas avoir été réunis ni s'être mis d'accord, et ce fut encore le ministre seul qui signa l'ordonnance, définitive cette fois, du 22 juin 1755.

La place des officiers est changée : le capitaine et le lieutenant sont à un pas devant le premier rang, l'un devant le tiers de droite, l'autre devant le tiers de gauche. Ils ne sont pas guides pour cela, puisque la direction reste confiée au gradé de l'aile droite. Le commandant de l'escadron est devant le centre, à une demi-longueur de cheval en avant des autres officiers.

Le régiment de manoeuvre est à 2 escadrons formés de 8 compagnies. La compagnie, commandée par 1 capitaine et, 1 lieutenant, de 24 cavaliers dans le rang.

L'école de compagnie ne comprend que la marche par un, deux ou quatre et la formation en bataille sur un ou deux rangs, exceptionnellement sur trois.

Dans l'école de régiment, le passage de la formation en colonne de compagnies à la formation en bataille en avant se fait par mouvements carrés successifs et deux conversions à angle droit, chaque compagnie venant converser au même point que la deuxième.

Le déploiement en bataille sur la droite se fait, par le mouvement processionnel et sans inversion.

On traite spécialement la manoeuvre pour une troupe de 50 maîtres (1 capitaine, 2 lieutenants), détachement ordinaire et force habituelle des gardes. Cette troupe forme 2 divisions.

Ce règlement est extrêmement court - quatre-vingt-dix pages seulement pour la manoeuvre, en y comprenant quelques mots sur les gardes. Il ne vise directement ni le combat, ni les allures, ni la charge. On s'en tient. sur ces points essentiels aux errements en usage.

Au moment donc où allait s'engager la guerre de Sept ans, on peut dire que la cavalerie française n'avait fait depuis le début du dix-huitième siècle qu'un seul progrès réel : l'uniformité de la manoeuvre pour tous les corps. Peut-être pourrait-on ajouter une tendance plus générale à la formation sur deux rangs, le troisième avant un rôle spécial. Mais, ni comme organisation ni comme tactique, on n'avait gagné, alors que, pendant la même période, la Prusse passait du règlement de 1727, aussi mauvais que le nôtre, à celui de 1743 qui peut être regardé comme le premier mis en pratique dans une cavalerie vraiment moderne. Cet exemple avait été perdu, mais plus grave et plus inexcusable était le peu de. cas qu'on avait fait des doctrines cavalières de Drummond de Melfort, que la routine et l'inertie des plus hantes personnalités militaires avaient arrêté dans ses remarquables tentatives, l'obligeant à ramener son célèbre régiment, si allant et si manoeuvrier quand il était à sa tête, à la lenteur et au formalisme de l'ordonnance de 1755.

Table des matières - Chapitre II
Etat de la cavalerie en 1749 - Le mouvement des idées en matière de tactique de cavalerie

Note 01 : Par une ordonnance du 8 janvier 1749, les brigades des gardes du corps ont été réduites de 55 à 50 maîtres par la suppression des 5 surnuméraires entretenus dans ces brigades depuis 1744.

Note 02 : 30 maîtres. Ce chiffre est important. Il a été conservé jusqu'en 1756, C'est l'ordonnance du 15 mars 1749 qui a mis toutes les compagnies à 30 maîtres au lieu de 40.

Note 03 : Le cavalier a pour armes offensives et défensives :
                    1 mousqueton et 2 pistolets,
                    1 sabre de 33 pouces,
                    1 cartouche à 12 coups,
                    1 plastron,
                    1 calotte de fer dans l'intérieur du chapeau.
Les officiers ont une épée de 31 pouces de long et portent la cuirasse complète.

Note 04 : Le grade de brigadier est indépendant de l'ancienneté des régiments. Il est donné soit à des mestres de camp, soit à des lieutenants-colonels, de sorte que, par une anomalie étrange, un lieutenant-colonel peut, en campagne, avoir à commander la brigade où se trouvent son régiment et son colonel. Il peut même arriver que le brigadier n'appartienne pas aux régiments placés sous ses ordres. Ainsi à l'armée de Bohème, en 1741, le maréchal de Belle-Isle, voyant le nombre des brigadiers trop élevé pour les six brigades qu'il veut former, ne fait délivrer par la cour que six lettres de service aux six brigadiers les plus anciens.

Note 05 : Le régiment de Wurtemberg est l'ancien Rosen, encore désigné sous ce nom dans les ordonnances du début de 1749, mais donné le 1er février 1749 à Louis-Eugène, prince de Wurtemberg. On peut donc lui laisser, dans l'état de la cavalerie en 1749, le nom de Wurtemberg. Le régiment étranger de Schomberg cité par Chabo sera rangé avec les troupes légères. Ce régiment qui, en 1749, porte encore le nom de Volontaires de Saxe, deviendra Volontaires de Frieze, le 8 janvier 1751, et enfin Volontaires de Schomberg, le 22 juin 1755. Pour l'effectif des Volontaires de Saxe, il est encore, en 1749, de 960 hommes en 6 brigades de 160 hommes chacune. Il sera réduit, en devenant Volontaires de Frieze, en 1751, à 6 brigades de 60 hommes chacune.

Note 06 : Non compris les officiers et maréchaux des logis.

Note 07 : Archives de la guerre, Cavalerie, tactique, carton V.

Note 08 : Le manuscrit, daté de 1749 (carton Cavalerie, tactique, II), est intitulé Essai sur les évolutions de la cavalerie.

Note 09 : Ce régiment, commandé par le duc de Chevreuse, officier très distingué, avait pour major M. de la Porterie, un des meilleurs cavaliers de son époque.

Note 10 : 12 septembre 1754 (Revue d'histoire, année 1903, p. 27).