La Cavalerie de 1740 à 1789
Chapitre II

APERÇU SUR L'ORGANISATION AU DÉBUT
DE LA GUERRE DE LA SUCCESSION D'AUTRICHE

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Effectifs - Instruction et tactique
Chapitre III

Au début de cette guerre, en laissant de côté la maison du roi, dont il sera question plus loin, les troupes à cheval comprenaient :

   

HOMMES

57 régiments de cavalerie formant 159 escadrons ;

Parmi ces régiments, un seul, Royal-Carabiniers, est composé de 5 brigades, de 2 escadrons chacune. L'escadron de carabiniers est constitué par 4 compagnies de 25 hommes, soit :

 

1 000


37 régiments de cavalerie sont à 3 escadrons, chaque escadron de 4 compagnies de 25 hommes ; 19 régiments sont à 2 escadrons. L'ensemble de ces régiments donne :

 

14 900


Les dragons forment 15 régiments. Chaque régiment comprend 4 es cadrons. L'escadron est divisé en 4 compagnies de 25 dragons. Les 60 escadrons de dragons s'élèvent à :

 

6 000


Les hussards forment 3 régiments, Ratsky, Berchény et Esterhazy, les deux premiers de 2 escadrons, le troisième d'un seul. Chaque escadron comprend 100 hommes en 4 compagnies de 25 maîtres : au total :

 

500


TOTAL général (cavalerie, dragons et hussards) :

22 400

En dehors des, hussards, comme troupes légères à cheval, on compte encore 8 compagnies franches de dragons, dont 2 de 40 hommes et 6 de 30 hommes.

Ainsi, au début des hostilités, un régiment de cavalerie à trois escadrons ne comptera en tout, officiers compris, que 344 cavaliers ; un régiment de dragons à quatre escadrons ne s'élèvera qu'à 458 hommes (officiers et dragons).

C'est avec ces faibles effectifs que les régiments entrèrent en campagne. Leur insuffisance obligea bientôt à augmenter les compagnies et à accroître le nombre des escadrons. Sans entrer dans le détail des augmentations successives, nous signalerons seulement les plus importantes.

Pour la cavalerie, dès 1742, les compagnies furent, portées de 25 à 35 maîtres, ce qui donna 140 hommes par escadron.

Au mois de janvier de la même année, les compagnies de dragons furent augmentées de 25 à 35 hommes ; quelques mois plus tard, on les porta à 41 hommes, et enfin, au mois de juin 1743, elles atteignirent le chiffre de 50 hommes. Les 15 régiments furent mis à 5 escadrons de 3 compagnies chacun, et de la 16e compagnie de chaque régiment on créa le régiment du Roi-Dragons qui, par ce moyen, reçut la même composition que les autres.

En 1745, la création du régiment de Septimanie porta à 17 le nombre des régiments de dragons.

Les hussards, augmentés de plusieurs régiments, passaient. en 1748, du chiffre de 500 à celui de 4550.

Les troupes légères s'accroissaient. aussi considérablement. Peu à peu, les compagnies franches se fondaient dans des corps mixtes, infanterie et cavalerie, tels que les chasseurs de Fischer, les arquebusiers de Grassin, le régiment de La Morlière, le corps des Volontaires royaux, le régiment des Bretons volontaires, etc. donnant au total, à la fin de la guerre, 13 249 hommes, dont 9 742 à pied et 3 507 à cheval (01).

 

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Effectifs - Instruction et tactique
Chapitre III

Instruction et tactique. - Il n'existait pas, à proprement parler, de règlement de manoeuvre dans les armées françaises au début du règne de Louis XV. La cavalerie savait marcher en colonne par compagnie, en bataille par escadron, pourvu que ce fût, au pas ou au petit trot et toujours sur trois rangs. Cependant, les carabiniers et la maison du roi avaient pris l'habitude de combattre sur deux. Tous les officiers étaient devant le rang, généralement gardés par des cavaliers de choix, ce qui formait en réalité un rang de plus. On savait passer de la colonne à la ligne de bataille et inversement, mais uniquement par le mouvement carré, dit « caracol » ou quart de conversion. Un « Projet d'instruction pour la cavalerie », rédigé en 1732 par M. de Mortaigne, major de Royal-Allemand (02), indique ces divers mouvements, auxquels s'ajoutent ceux de marcher par 2, 4 ou 8, mais sans aucune explication. On sait seulement qu'ils se faisaient toujours de pied ferme. La distance entre les rangs étant de six pas, la colonne de compagnies se trouvait par suite plus longue que le front de l'escadron en bataille : il en résultait une grosse difficulté pour les déploiements sur le flanc, mouvements qui deviendront plus tard usuels et les seuls rapides que la cavalerie française ait longtemps connus. Mais aucune uniformité n'existe dans les mouvements ou les commandements. Tantôt, les dix officiers sont dans le premier rang, tantôt en dehors. « Chacun ignore le vrai poste qu'il doit occuper. L'ancien capitaine, dont la compagnie est à gauche, prend la droite. Celui d'ensuite prend la gauche… Tout cela produit une grande irrégularité dont naît souvent la confusion (03). »

Quant. aux grandes unités, elles comprennent, après le régiment d'un nombre variable d'escadrons, les brigades formées de cinq à six escadrons, et réparties en deux lignes. En général, la première est pleine ou à faibles intervalles, la seconde, « tant pleins que vides ». La constitution de lignes entièrement pleines est déjà reconnue comme présentant de graves inconvénients. Le chevalier de Chabo fait remarquer que cette disposition vicieuse causa un grave échec à Dettingen, où la déroute de la première ligne entraîna celle des suivantes.

Les défauts de ces procédés tactiques si rudimentaires s'aggravent encore d'une absolue insuffisance dans l'instruction individuelle, le dressage et l'équitation.

Le capitaine propriétaire administre sa compagnie comme une ferme et ne cherche qu'à en tirer bénéfice. Il verrait d'un mauvais oeil ses chevaux soumis à un travail intensif. Les régiments où l'on monte à cheval deux fois par semaine, en été, sont rares. Ceux dont les chevaux sortent une fois par semaine en hiver sont l'exception. On passe un an en garnison et deux en quartiers, répandus par compagnies dans des villages.

« Les capitaines de cavalerie ne songent plus qu'à pousser les chevaux de nourriture en arrivant dans les quartiers, pour les engraisser ; après quoi, ils diminuent la ration insensiblement pour mettre de l'argent dans leur poche et ne conservent leurs chevaux gras que parce qu'ils les laissent six mois dans une écurie sans aucun mouvement. Ils ont peur aussi d'user les équipages, selles, brides et autres, qui coûtent, de l'argent à raccommoder. De là il s'ensuit que les chevaux sont pesants et que les cavaliers ne sont plus que des valets d'écurie qui sont embarrassés lorsqu'ils sont montés sur un cochon aussi maladroit qu'eux (04). »

Par une anomalie étrange, les officiers de cavalerie n'ont pas droit à une monture et au fourrage en temps de paix. Ceux d'entre eux, assez riches pour entretenir un cheval à leurs dépens, sont l'exception. Aussi, comme l'écrivait M. de Mortaigne en 1733, « les trois quarts des officiers de cavalerie ne sont point montés ou le sont si mal et ont des chevaux si peu convenables à la tête d'une troupe que ce défaut n'est pas tolérable » (05).

Ajoutons enfin qu'on ne prend jamais le galop en troupe, la charge se faisant au pas ou au trot, l'épée à la main. L'emploi du feu à cheval, sans être absolument proscrit, est tout à fait tombé en défaveur (06). Si à Fontenoy les carabiniers et la maison du roi ont attaqué au galop, ce fut « en fourrageurs » et avec un désordre qui rendit leurs efforts infructueux jusqu'au moment où un simple officier, M. de Montesquiou, eut l'idée de rallier sa troupe et d'attaquer avec elle à rangs serrés.

En ce qui concerne le service en campagne, on connaît et on emploie souvent la patrouille de découverte (sic), forte de 4 à 6 cavaliers sous les ordres d'un bas-officier. On utilise parfois la troupe de 20 à 30 maîtres, sous les ordres d'un lieutenant ou d'un cornette, aux gardes et rarement à la découverte. Mais le détachement le plus ordinaire est la troupe de 50 maîtres prélevés à raison de 6 par compagnie sur le régiment, anciennement sur la brigade. Encore se plaint-on que le chiffre de 6 cavaliers pris à chaque compagnie soit trop fort, car il fait courir trop de risques pécuniaires au capitaine, lorsque le détachement « va à la guerre »(sic), c'est-à-dire « à la découverte, à 4 ou 5 lieues », et risque de tomber dans une embuscade (07). Mais la découverte est rare et plutôt confiée aux hussards. La troupe de 50 maîtres sert surtout aux gardes d'honneur, de police ou ordinaires, dites communément grandes gardes, et dont le rôle est au moins autant d'arrêter les déserteurs que de surveiller l'ennemi.

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Effectifs - Instruction et tactique
Chapitre III

 

Note 01 : Archives historiques, vol. 3075.

Note 02 : Imprimé à Metz, en 1733, par les soins du comte de Belle-Isle.

Note 03 : CHABO, Plan d'évolutions uniformes pour la cavalerie. (Archives de la guerre, Cavalerie, tactique, carton V.)

Note 04 : Mémoire sur les abus introduits dans le militaire, 31 juillet 1736, vol. 1305, France, mémoires et documents. (Archives du ministère des affaires étrangères.)

Note 05 : Observations jointes à la minute du Projet d’instruction pour les évolutions et exercices de la cavalerie. Cavalerie, tactique, carton V.

Note 06 : On croit pouvoir affirmer que le principe est déjà universellement admis dans notre cavalerie que toute troupe qui fait usage de sou feu en chargeant se condamne à être battue et que l'arme blanche seule doit servir dans le combat de cavalerie contre cavalerie. Une lettre de Villars (le futur maréchal), du début de la guerre de la Succession d'Espagne (carton Cavalerie, organisation, I), dit que notre cavalerie s'accorde à reconnaître la supériorité du sabre sur le mousqueton au moment de la charge. En 1732, au camp de Richemont, le comte de Belle-Isle, exerçant les escadrons à charger les uns contre les autres, prescrit qu'une ligne fera usage du mousqueton, l'autre du sabre, et que la première, après avoir fait sa décharge, sera par le fait même censée battue et forcée à faire demi-tour. Le gain de la bataille de Guastalla, en 1734, fut du à ce que notre cavalerie, quoique inférieure en nombre, chargea, le sabre à la main, les cuirassiers autrichiens, sans répondre à la décharge que ces cuirassiers avaient faite sur elle avec leur mousquetons.

Note 07 : CHABO ; voir ci-dessous.