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LES REGIMENTS SOUS LOUISXV

LIVRE 1er

ORGANISATION DES REGIMENTS, DES OFFICIERS, DES SOLDATS, DES LEVEES D’HOMMES

 

CHAPITRE PREMIER

DEFINITION

 

Un militaire est un homme légalement armé pour combattre à la guerre.

Il y a deux sortes de militaires : ceux qui reçoivent une solde  ceux qui n’en reçoivent pas.

Les militaires non soldés sont de deux sortes : 1° le vassal, homme qui doit un service militaire pendant un temps déterminé, tant qu’il est usufruitier d’un fief ; 2° le volontaire proprement dit, qui, n’étant astreint à aucun service militaire, sert sans solde (Encyclopédie).

Les militaires soldés se divisent en trois catégorie :

1° Les soldats miliciens, astreints au service par la législation ;

2° Les soldats mercenaires, qui, n’étant pas astreints au service, s’engagent pour un temps déterminé, moyennant une prime d’argent.

3° Les soldats volontaires, appelés aussi soldats gentilshommes, gendarmes, sont ceux qui, sans y être obligés par la loi, s’engagent volontairement sans recevoir de prime d’engagement (Encyclopédie).

Ces cinq classes de militaires existaient légalement au XVIIIe siècle,  quoique les militaires non soldés ne fussent plus employés comme dans les siècles précédents.

Militaires non soldés.

Pour la dernière fois, les vassaux furent réunis en 1675. Le désordre qu’ils causèrent, l’indiscipline dont ils donnèrent l’exemple, empêchèrent le roi d’exiger dorénavant le service militaire dû par cette classe de la nation ; il préféra confier aux sujets qui la composaient les charges de chefs dans les troupes mercenaires. De cette double dualité, d'officier et de vassal, résulta une confusion de droits et de devoirs fatale à la France, lorsque quelques membres de la noblesse, adoptant les théories prétendues historiques de M. de Boulainvillers, se crurent en droit de réclamer et d'obtenir pour eux seuls, en 1781, les grades d'officier dans les troupes qui jusqu'alors étaient légalement accessibles à tous les sujets français sans condition de naissance.

Les volontaires étaient encore admis dans les armées du XVIIIe siècle. Mais les frais considérables, nécessités par une campagne, restreignaient fortement leur nombre. Les généraux, embarrassés par ces personnages souvent influents à la cour ou bien apparentés, qui se pliaient difficilement aux exigences d'une discipline de plus en plus stricte, finissaient, au bout de quelques mois, par procurer à ces jeunes gens une commission quelconque, qui les faisait rentrer dans la catégorie des officiers soldés. En sorte qu'au XVIIIe  siècle , une armée n'était composée que de soldats.

Militaires soldés.

Les trois sortes de soldats ci-dessus désignés servaient dans des corps de troupe distincts, savoir :

Dans la gendarmerie de France et les compagnies à cheval de la maison du roi, les soldats volontaires (gens d'armes) ;

Dans les compagnies d'infanterie, de cavalerie et d'artillerie, les soldats mercenaires ;

Dans les bataillons de milice, les sujets tombés au sort.

Selon la catégorie où ils servaient, les chefs de troupes avaient envers leurs subordonnés des obligations différentes. Ainsi, dans la gendarmerie, le subordonné qui est de la même classe sociale que son chef, le simple gendarme se présente habillé, armé, équipé, monté à ses frais; le capitaine ne lui donne que ce que l'usage du corps autorise, et lui transmet intégralement et sans retenue la solde du roi. Par conséquent une discipline spéciale pour ces hommes.

Dans la deuxième catégorie, le capitaine est un véritable entrepreneur qui amène au roi une compagnie recrutée, à prix d'argent, d'hommes qu'il a habillés, équipés, armés (sauf d'armes à feu), qu'il a montés, si la troupe est à cheval. Le capitaine possède un outillage de transport, de campement, d'écurie, etc., pour conserver sa troupe en bon état. Seul, le capitaine est moralement et pécuniairement responsable envers le ministre qui le paie ; une telle compagnie coûte cher à lever, à entretenir, à compléter ; aussi est-il logique, équitable, de vendre sa compagnie à quelqu'un que le roi a reconnu capable de bons services et pourvu de la commission de capitaine.

Dans la troisième catégorie sont les soldats miliciens ; ils sont désignés par le tirage au sort dans leur paroisse. Celle-ci les habille, les équipe, leur donne l'argent de première mise, mais les armes et l'habit d'uniforme sont fournis par le roi au milicien. Le capitaine n'a, en ce cas, d'autre devoir que de donner l'instruction militaire à ses soldats et de leur transmettre la solde réglée par les ordonnances ; jamais ces compagnies ne furent vendues. Si cette distinction capitale eût été immuable, comme les ordonnances paraissaient l'établir, l'administration de l'armée eût été possible. Mais, en fait, depuis 1743, les régiments de troupes réglées furent complétés, après deux campagnes désastreuses, par des miliciens, et les com­pagnies de la gendarmerie furent remplies de cavaliers incapables de subvenir à leurs dépenses ; le comte d'Argenson est l'auteur de cette confusion qui força ses successeurs à remanier de fond en comble toute l'organisation de l'armée.

Louvois passe pour le créateur de l'armée moderne ; cependant il trouva une organisation rudi­mentaire qu'il ne fit qu'étendre et améliorer sans la détruire, car il craignait avec raison les innovations radicales. Il se borna à réprimer les abus, à exercer un contrôle sévère, unifiant autant que possible et fixant la législation militaire établie par trois siècles de pratique.

Du commandement.

Un principe qui nous parait étrange, conférait alors le commandement : c'était l'antiquité du corps. Un officier qui avait reçu l'autorisation d'acheter le plus ancien régiment de l'armée, se trouvait en droit de commander tous les régiments créés postérieurement au sien, toutefois en l'absence des officiers généraux.

Afin de supprimer les inconvénients de ce système sans toucher à la règle générale, Louvois use d'un habile détour.

Brigadier.

Il créa, en 1667, un grade non vénal, qui pouvait être conféré indistinctement à un colonel, à un lieutenant-colonel, même à un major, et qui rendait l'officier, qui l'obtenait seulement après un long service, le supérieur de tout colonel qui n'en était pas pourvu. C'était le grade de brigadier des années du roi par brevet particulier de grade dans les troupes, non pas officier général.

Cette création avait encore une autre utilité. Les régiments étaient de force inégale ; les uns avaient un seul, d'autres deux, trois, quatre et même cinq bataillons.

En réunissant toujours quatre bataillons sous le commandement d'un brigadier, on obtenait une parité dans les subdivisions du corps de bataille, qu'il était impossible d'obtenir autrement.

Enfin, cette création permettait de récompenser des lieutenants-colonels bons militaires, mais trop pauvres pour acheter et entretenir un régiment, ce qui était toujours une lourde charge et permettait ainsi l'accès des grades supérieurs de maréchal de camp ou lieutenant général aux citoyens dépourvus de fortune. Les avantages militaires de cette ingénieuse création furent annulés par le maréchal de Belle-Isle qui eut la faiblesse de déclarer l'équivalence des grades de brigadier, mestre de camp ou colonel (6 oct. 1759).

Chaque brigade prenait le nom du plus ancien régiment qui la composait ; par exemple : Normandie à 3 bataillons et Angoumois à 1 bataillon, réunis, s'appelaient la brigade de Normandie.

Colonel.

Le colonel était le propriétaire du régiment parce que lui ou ses prédécesseurs l'avaient levé, formé, instruit. Il possédait en propre une compagnie, la première créée, qui s'appelait compagnie colonelle. Dans les temps anciens, lui seul avait accepté les services des autres capitaines, et depuis Charles IX seulement, il ne nommait plus à tous les grades dans le corps ; son pouvoir avait été bien amoindri par les lois et règlements des ministres ; la création du brigadier lui avait enlevé presque toute autorité militaire sur le champ de bataille. Mais il gardait comme un privilège l'obligation morale de subvenir aux besoins de ses capitaines trop peu fortunés pour maintenir leur compagnie en bon état. La haute noblesse de France n'hésitait pas à s'imposer cette lourde dépense, et transformait ses obligations féodales en une charge volontaire. Exercer la bienfaisance, c'est-à-dire recueillir dans son château quelques vieux officiers, ou de braves soldats qui trouvaient là leurs invalides, était encore une obligation pour elle. Leur fortune et leur sang étaient vraiment au service du roi et de la patrie. Il est vrai de dire aussi que cette noblesse était en compensation exemptée de l'impôt foncier, bien onéreux au reste de la nation.

Major.

Si l'autorité militaire du colonel était annulée par la présence du brigadier, sa fonction administrative était nulle par les attributions du major. Celui-ci n'avait plus de compagnie à commander. Il était nommé au choix parmi les capitaines ayant quinze ans de grade. Il devait surveiller la répartition des sommes allouées aux autres capitaines, était dépositaire des masses communes destinées à l'habillement, l'armement, l'équipement ; s'agissait-il de la vente d'une compagnie, il établissait la situation, fixait les rabais à faire pour le matériel. Tous les mois il devait envoyer aux capitaines le relevé de leur compte ; il était l'arbitre reconnu entre les officiers dans toutes les contestations. Il n'était pourtant que l'égal des autres capitaines ; ce n'est qu'en 1749 qu'il fut déclaré officier supérieur. Il était en outre chargé de l'instruction des officiers souvent fort jeunes il tenait le contrôle des présents, des charges vacantes. Si un officier venait à mourir, il remplissait les fonctions d'officier ministériel, réglait la succession, vendait lui-même aux enchères les objets mobiliers du défunt, sauf l'épée, qui lui revenait de droit, et percevait même pour cela 5 % d'honoraires sur le prix de la vente.

Il avait en outre à contrôler l'éducation militaire des soldats ; il commandait l'exercice et veillait à la discipline. Comme ces fonctions multiples auraient été accablantes pour un seul homme, on lui adjoignait un aide-major par bataillon. Celui-ci était presque toujours un officier sans fortune qui, avec ce grade, recevait la commission de capitaine. Telle est l'origine du capitaine adjudant-major moderne.

Officiers supérieurs.

Le lieutenant-colonel était le plus ancien capitaine du régiment. Ce grade n'était donc jamais donné au choix. Cet officier, à la guerre, commandait spécialement l'unique ou le 1er bataillon du régiment. Dans les régiments à 2 ou 3 bataillons, l'ancienneté de grade de capitaine conférait le commandement du 2e et du 3e bataillon ; et cependant ces officiers restaient capitaines. Par l'ordonnance du 12 décembre 1743, sans changer les conditions d'avancement par ancienneté, les capitaines commandants de bataillon furent déclarés officiers supérieurs en grade aux capitaines même des autres régiments, mais restant toutefois inférieurs aux lieutenants-colonels. A la réforme de 1749, ils durent même abandonner le commandement de leur compagnie qu'ils ne reprirent qu'en 1763.

Concordat.

L'ancienneté personnelle était donc devenue, au XVIIIe siècle, l'unique règle d'avancement, sauf pour les grades de major et de brigadier donnés au choix. En conséquence, des officiers ingénieux avaient imaginé de se cotiser par retenue sur les appointements pourtant bien modiques, afin d'offrir à celui de leurs collègues prêt d'atteindre le grade d'officier supérieur une certaine somme, pour le décider à céder sa compagnie. Le vendeur demandait sa mise à la réforme avec le traitement afférent et recevait de ses collègues une somme relativement importante. C'était ce qu'on appelait signer un concordat, opération proscrite par les ordonnances, mais assez fréquente.

Capitaines.

Seul dans toute la hiérarchie militaire, le capitaine de troupes réglées était pécuniairement responsable puisque seul il était chargé de fournir au roi recrues, vêtements, armes, chevaux et matériel. Du traitement que le roi lui accorde dépendront son sort et celui du soldat. Quelles sont donc ses obligations ?

1° Recruter sa troupe. A chaque congé qu'il obtient, il doit personnellement ramener deux soldats ; son lieutenant, ses sergents sont soumis à la même obligation. Le recrutement est le principal souci. Les ordonnances cependant interdisent de payer une recrue d'infanterie plus de 20 livres, et personne ne veut plus s’engager pour 6 ans pour une somme aussi faible, convenable peut-être en 1700, lorsque le salaire journalier d'un manœuvre était de 5 sols, insuffisante lorsque ce salaire, en 1750, est de 20 sols.

2° Le capitaine doit habiller les recrues, fournissant un trousseau, chemises, caleçons, bas, souliers, etc. ; le roi ne fournit que l'étoffe pour l'habit.

3° Le capitaine fournit l'équipement, le fourniment, l'épée ; le roi donne il est vrai le fusil et la baïonnette, mais la réparation et le remplacement en temps de paix sont à la charge du capitaine.

4° Dans la cavalerie, le capitaine doit fournir les chevaux tout harnachés ; pour chaque cheval ainsi équipé, le roi ne donne que 200 livres. En 1743, vu l'impossibilité absolue, le roi donna gratuitement les chevaux nus.

5° Le capitaine doit posséder un matériel de campement, un manteau d'armes, une tente pour 8 hommes, des marmites, etc. , 10 outils propres à remuer la terre, il doit posséder deux chevaux pour lui-même et entretenir un valet qui ne peut compter comme soldat dans la compagnie. Que reçoit-il en échange de ces fournitures ?

1° Une solde personnelle de 3 livres par jour ;

2° 150 livres d'indemnité annuelle pour frais de recrues.

3° 65 livres par tête de soldat admis lors de la revue du commissaire des guerres, l'engagement dure 6 ans. La compagnie ayant 40 hommes, c'est donc 6 recrues par an qu'il faut faire.

4° L’ustensile, somme de 750 livres en temps de paix, qui double en temps de guerre, lui est accordée pour entretenir les habits les armes, le matériel de 40 hommes pendant 1 an ; à laquelle somme il faut ajouter 2 sols par jour retenus sur la solde du soldat pour le trousseau de linge et chaussure, soit un total de 2100 livres annuelles pour entretenir 40 hommes, 2 chevaux et 1 domestique, somme dérisoire, même pour l’époque. Qui donc subvenait à la détresse des capitaines ? Leur fortune personnelle ou la bourse du colonel, quand celui-ci veillait à son régiment.

Sinon le capitaine s’endettait. Aussi n’y a-t-il aucune  exagération dans les plaintes de beaucoup de braves officiers qui se déclaraient ruinés au service du roi. Une compagnie, quelque bien tenue qu’elle fût, ne pouvait être vendue plus cher que le taux fixé par les ordonnances, soit 5,000 livres dans l’infanterie, 7,000 livres dans les dragons, 8,000 et 10,000 dans la cavalerie.

Commissaire des guerres.

Une compagnie administrée avec la plus sage économie pouvait ^à peine permettre au capitaine une vie décente. Mal gérée, elle menait infailliblement à la ruine. Ainsi pressé par la nécessité, on aurait pu être tenté de faire des retenues illégales sur la solde pourtant bien modeste du soldat, faire des fournitures de qualité inférieure, faire payer pour présents des soldats fictifs appelés passe-volants. C’est ce qui avait lieu quelquefois. Mais pour réprimer ces abus, il existait un personnage qui n’a point d’analogue dans les armées modernes : c’est le commissaire des guerres.

Indépendant des militaires, armé d’un pouvoir royal, ce fonctionnaire pouvait exercer un contrôle sérieux sur tous les capitaines de sa juridiction, à condition d'être énergiquement et résolument soutenu toujours et quand même par le ministre.

Créés par François 1er, ces magistrats avaient vu leurs pouvoirs étendus par Richelieu en 1635 et complétés par Louvois en 1668.

La charge de commissaire des guerres était héréditaire et vénale pour garantir une indépendance absolue Il fallait pour en être pourvu, avoir 25 ans au moins. L'inconvénient du système était que si  le titulaire était incapable, le ministre n'avait d'autre pouvoir que de ne pas l'employer. La noblesse personnelle avec ses privilèges et exemptions, etc., était attachée à la possession de cette charge qui conférait les titres d'écuyer et conseiller d'Etat. Tous les commissaires des guerres employés correspondaient directement sans intermédiaire avec le ministre et rendaient compte de toutes les choses ayant un rapport quelconque avec l'armée et les fournitures de la guerre. Ils avaient la police, conduite, discipline des officiers de tout grade dans les troupes soldées ou non, milices, bans, gardes de gouverneurs ou autres militaires sous les armes. Ils devaient faire la revue mensuelle de toutes les compagnies de troupes de leur résidence ou de passage. Ils prononçaient sans appel l'interdiction des officiers, arrêts d'appointements ou de personne. Ces arrêts ne pouvaient être levés que par un ordre spécial et formel du roi. Ils avaient l'obligation de faire réformer tout homme ou cheval trop jeune, trop vieux ou incapable de service. Ils devaient réformer aussi tout objet d'habillement, d'équipement, de harnachement, d'armement présenté en mauvais état. Les colonels étaient subordonnés aux commissaires des guerres comme chefs de compagnie, quelque grade qu'ils occupassent d'ailleurs.

Les commissaires ordinaires des guerres recevaient l'autorisation d'acheter la charge de commissaire provincial après avoir donné des preuves de zèle dans l'accomplissement de leurs fonctions. L’autorité conférée par le titre de provincial n'était pas supérieure, mais la confiance du ministre était plus grande. C'était aussi parmi les provinciaux que le ministre choisissait les ordonnateurs des dépenses pour les armées en campagnes, fonctions aujourd'hui dévolues à l'intendance militaire. Cette dernière position conférait la noblesse héréditaire avec tout son cortège d'exemptions et de privilèges. Cet office ne pouvait être vendu.

Les charges de commissaires des guerres se payaient en 1740, selon leur importance :

3e classe, comm. ordinaire, 33,000 livres avec 1,300 livres de gages annuels.

2e classe,            ---           40,000 livres avec 1,600 livres de gages annuels.

1re classe,            ---          55,000 livres avec 2,200 livres de gages annuels.

En outre de ces gages qui représentaient l'intérêt des sommes déboursées, le roi donnait 3;000 livres d'appointements à ceux qui étaient employés.

Une charge de commissaire provincial valait 80,000 livres avec 4,000 livres de gages annuels et 3,600 livres d'appointements. Employés, les commissaires recevaient journellement 6 rations de vivres et 4 de fourrage, plus 2 charges de sel par an.

Ces magistrats choisissaient, sous leur responsabilité personnelle, tous leurs employés. Ils touchaient, en outre, des honoraires pour frais de chancellerie lorsqu'ils délivraient un brevet ou certificat de serment à un officier pourvu d'une commission quelconque. En effet, à chaque grade conféré, l'officier, le colonel même, devait prêter serment la main nue fiant le commissaire. A la fin de la formule du serment, le commissaire ajoutait : Vous déclarez n'avoir donné ni promis aucune somme pour obtenir l'emploi dont vous êtes pourvu et promettez .de ne signer aucun concordat ni consentement, soit verbal, soit écrit, à aucune convention contraire aux défenses de Sa Majesté.

Le certificat de serment tenait lieu dans les armées de lettres de service ; les droits à payer étaient proportionnels au grade et, échelonnés depuis 15 livres pour le cornette ou le sous-lieutenant jusqu'à 50 livres, pour le colonel.

Dans toutes les cérémonies militaires, même au conseil de guerre, le commissaire des guerres assistait à la délibération, assis à gauche du plus haut chef militaire, de quelque grade qu'il fût.

Convaincu du crime de concussion, d'entente avec les officiers dans l'accomplissement des devoirs de sa charge, le commissaire, outre les peines corporelles, voyait confisquer au profit du roi la charge qu’il avait payée.

Ce personnage si puissant, avait pourtant un singulier rôle dans la pratique. Il ne pouvait rien signer seul. Il avait besoin constamment d'un assesseur qui, par sa signature, devait, confirmer les assertions de son rapport. C'était la fonction du contrôleur des guerres. Il y avait autant de contrôleurs que de commissaires, 140. Toutes les pièces, observations, bordereaux, etc., devaient recevoir la double visa du commissaire et du contrôleur. Si celui-ci n'était pas présent, le commissaire devait faire témoigner ses dires par le gouverneur de la place, un lieutenant du roi (sous-gouverneur), un major de place, ou même le syndic, maire, échevin, marguillier du lieu où avait lieu la revue ou la fourniture.

Outre le contrôle des troupes, les commissaires avaient encore à veiller au, bon entretien, des casernes, corps de gardes ou autres bâtiments affectés à un service militaire quelconque, sauf les fortifications proprement dites. Ils surveillaient aussi la stricte exécution des marchés qu'ils ne devaient jamais sous aucun prétexte, contracter eux-mêmes, laissant ce soin aux intendants de province en temps de paix, à l'ordonnateur, en temps de guerre. Ils veillaient, et c'était une de leurs pénibles occupations, à la distribution des étapes.

Étapes.

On appelait ainsi les vivres qu'un entrepreneur appelé étapier devait fournir en temps et lieu déterminé à tout soldat, troupe ou détachement qui traversait une ville ou lieu d'étape. La nécessité d'atteindre ce lieu, fit créer un réseau complet sur le sol du royaume, qu'on appelait routes d'étape. Les lieux d'étapes auraient tous dû posséder des bâtiments vacants pour loger les troupes de passage, selon une ordonnance du Régent, mais les frais d'une telle construction firent ajourner ce projet, et maintenir l'ancien usage de loger les soldats chez l'habitant.

La ration d'étape n'était fournie qu'aux présents sous les armes. Elle coûtait au roi 8 sols environ, en 1745. Elle était donc avantageuse à recevoir en nature. Les officiers recevaient depuis 3 jusqu'à 12 rations selon leur grade.

On conçoit combien la présence du commissaire des guerres était utile dans le déplacement d'un bataillon de 650 hommes et 40 officiers.

Le commissaire devait accueillir toutes les plaintes des soldats au sujet de leur solde, de leurs vivres, de leurs habits, etc., et devait être leur protecteur pour leur faire rendre justice contre des officiers dissipateurs ou cupides (sic). Ils devaient leur faire délivrer congé absolu à l'expiration du temps de leur engagement, et pouvaient de leur autorité faire réformer des soldats trop, vieux ou trop jeunes.

Pour terminer ces, généralités, disons, un mot de la trésorerie militaire.

Trois banquiers, appelés trésoriers généraux de l'extraordinaire des guerres, étaient à tour de rôle chargés de recevoir, même d'avancer les fonds de la solde, de les faire tenir aux troupes. Chacun, responsable devant le ministre, était de service pendant un an. Ils s'appelaient pair, impair et alternatif. Ils avaient auprès d'eux six contrôleurs généraux chargés de vérifier l'exactitude de leurs versements.

L'argent était porté de chez le banquier de service chez 94 correspondants choisis ou acceptés par lui et appelés trésoriers provinciaux, qui eux, remettaient aux intendants de province l'argent de la solde et des fournitures, que venaient chercher les majors. La caisse des trésoriers de l'extraordinaire devait dans le principe être alimentée par les contributions de guerre, les taxes spéciales et, en cas d'insuffisance, par l'argent du roi. Mais au XVIII° siècle, les contributions de guerre ne parvinrent que bien modiques jusqu'à ce réservoir.

La maison du roi et la gendarmerie de France, dont l'organisation était séculaire, avait son service de trésorerie distinct composé de deux trésoriers généraux de l'ordinaire des guerres, de quatre contrôleurs.

On voit par ce qui précède, que de l'exactitude des commissaires des guerres dépendait le bon ou le mauvais entretien des troupes. Si le ministre est énergique, s'il soutient et stimule ses agents, l'armée sera en bon état. Si le ministre est M. d’Argenson, grand seigneur, courtisan, ami des grands seigneurs et des philosophes, il ne donne pas suite aux plaintes des commissaires ; ceux-ci se relâchent, les abus renaissent, le gaspillage commence, le désordre et l'indiscipline en sont la conséquence directe. Dans ce gouvernement despotique, le directeur est forcé d'être farouche, cruel, impitoyable. Aussi, quand des courtisans sont au pouvoir, on peut être assuré que la porte est grande ouverte pour les abus.

Le commissaire des guerres, qu'on me passe cette comparaison, était l'écrou qui tenait assemblés tous les rouages de l'administration de l'armée. Nous avons vu à quelle pénurie étaient réduits les capitaines, par l'insuffisance du traitement. Alors le commissaire, par humanité, fermait les yeux sur les abus les plus révoltants, et le ministre laissait faire sans rien tenter pour améliorer la situation. Ajoutez à ces causes les entraînements de la jeunesse, une vie plus fastueuse qu'autrefois, l'insouciance du gentilhomme qui trouve indigne de lui de compter comme un marchand : on comprendra que multitude de braves officiers s'endettassent au service, et cependant la jeunesse affluait toujours dans les régiments. Le colonel proposait pour le grade de lieutenant que conférait le roi : 1° les lieutenants réformés ; 2° les cadets et volontaires dans le corps ; 3° ceux qui avaient servi un ou deux ans comme soldat gentilhomme dans la compagnie colonelle du régiment du Roi (infanterie, 12e) ; 4° les fils d'un officier, ou d'un gentilhomme protégé par le colonel ; 5° enfin, les sous-lieutenants du régiment, toujours anciens sergents du corps, et chargés plus spécialement de porter les drapeaux d'ordonnance.

Drapeaux.

Dans le régiment d'infanterie, un seul drapeau était tout blanc : c'était le drapeau colonel et non pas le drapeau royal. Ce qui indiquait la nationalité française, c'était l'écharpe ou cravate blanche qu'on attachait sous le fer de la lance. L'usage de cette cravate fut adopté après la bataille de Fleurus, en 1691. En effet, les drapeaux colonels des Impériaux, des Hollandais, des Anglais, des Espagnols mêmes étaient blancs ; leurs drapeaux d'ordonnance étaient assez semblables pour amener de regrettables erreurs dans le feu de l'action ; alors pour se distinguer, les troupes françaises attachèrent l'écharpe blanche sous la pique. Dans les régiments de cavalerie, il n'y avait que des étendards d’ordonnances, deux par escadrons, portés les jours d'action par le cornette ou un sous-lieutenant ; habituellement par un brigadier. Le seul étendard blanc dans la cavalerie était celui du colonel général ; on l'appelait la cornette blanche. On le confiait à un officier faisant partie du 1er régiment (Colonel général). Dans l'infanterie, le premier enseigne portait le drapeau blanc colonel ; le 2e enseigne, le 1er drapeau d'ordonnance à la compagnie lieutenant-colonelle.

Ces deux officiers étaient toujours de jeunes gentilhommes, et après 2 ou 3 ans, ils recevaient l'autorisation d'acheter une compagnie. Les 14 autres drapeaux (3 par bataillons) étaient portés par les sous-lieutenants, toujours anciens sergents. Un jeune gentilhomme entrait au régiment vers l'âge de 13 ou 14 ans, avec le grade de lieutenant réformé ou comme cadet ; vers 17 ans, il était nommé lieutenant titulaire. Vers l'âge de 20 ans, il recevait l'autorisation d'acheter une compagnie, et s'il était riche, bien apparenté et soutenu à la Cour, il obtenait la permission d'acheter et d'entretenir un régiment à 24 ou 25 ans.

Ecoles régimentaires.

Pour toute cette jeunesse tumultueuse, bien souvent ignorante, le colonel établissait quelquefois une école régimentaire dont il payait alors les professeurs de ses deniers. C'est à titre de colonel que le roi entretenait à son régiment d'infanterie un maître de mathématiques, un de dessin, un d'escrime, et au régiment Royal-artillerie, deux maîtres d'escrime, deux maîtres de mathématiques, deux de dessin, dont les cours étaient suivis indistinctement par les jeunes cadets; les soldats volontaires et les officiers pointeurs.

Écoles de cadets.

Louvois avait bien senti les inconvénients de l'éducation un peu trop libre que les jeunes gens recevaient au régiment, aux mousquetaires ou ailleurs ; on lira avec intérêt ce que M. Camille Rousset a écrit à ce sujet dans son beau livre sur Louvois, à propos des écoles de cadets. Mais cette création ne survécut guère au grand ministre de Louis XIV.

Toutefois en 1726, mais pour un autre but, cette institution était reprise par M. de Breteuil. Voici les considérants de l'ordonnance qui la rétablissait :

Sa Majesté, ayant considéré que ce qui a le plus contribué à bien discipliner les milices levées en exécution de l’ordonnance du 29 novembre 1688, a été le choix des officiers pris dans les mêmes provinces et généralités que leurs miliciens, etc., etc. Son intention est de mettre un sous-lieutenant par compagnie, destinant cet emploi à de jeunes gentilshommes de même province que la compagnie. Afin que ces gentilshommes se mettent en état de servir utilement et de mériter des emplois supérieurs dans l'avenir, Elle a résolu d'établir 6 compagnies de 100 gentilshommes commandées par des officiers expérimentés, aidés par des maîtres pour instruire la jeunesse.

En conséquence, on réunit pendant l'année 1727, à Strasbourg, Metz, Cambrai, Caen, Bayonne et Perpignan, six compagnies de jeunes gens de 16 à 20 ans qui devaient servir sans solde. Les frais de création furent jugés pourtant trop coûteux par M. d'Angervilliers qui préféra les grouper en deux écoles chacune de 3 compagnies pendant l'année 1729. Le 10 juin 1732, les 6 compagnies étaient réunies citadelle de Metz avec un état-major complet et un corps de 14 professeurs, savoir : 1 maître de mathématiques et 3 adjoints ; 2 maîtres d'allemand, 2 adjoints ; 2 maîtres de danse et de maintien; 2 maîtres d'armes, 2 prévôts.

Cette école forma, comme on peut croire, d'excellents officiers pour l'époque.

Aussi, lorsque, en 1734, la guerre de succession de Pologne fit entrer l'armée en campagne, ces jeunes gens furent trouvés tellement supérieurs aux autres jeunes officiers de l'armée, qu'on leur donna des commissions pour les troupes réglées au lieu de les envoyer dans les milices auxquelles ils étaient destinés.

Quand la. paix fut signée, faute d'argent, cette utile création ne fut pas reprise.

L'École spéciale militaire, créée par Pâris-Duverney en 1751, n'était point une école d'officiers ; c'était une fondation philanthropique, charitable, généreuse, surtout un établissement scolaire identique à celui de La Flèche à notre époque. Ce n'est que bien plus tard, sous Napoléon Ier, que l'École militaire fut transformée et devint une véritable école d'officiers.

Extrait de l'édit du 4 janvier 1761
portant création d'une école militaire pour 500 gentilshommes.

ARTICLE PREMIER. - Le roi, comme subvention, accorde à cette école l'impôt des cartes à jour sans établissement de ferme.

ART. 2. - Devaient être admis à l'école

1° Orphelins de pères tués au service ou morts de leurs blessures ;

2° Orphelins de père ayant 30 ans de service ;

3° Enfants à charge de leur mère dont le père a été tué au service ou est mort après 30 ans de service ;

5° Ceux dont le père est au service ;

6° Ceux dont le père fut obligé de quitter le service par suite d'infirmité ;

7° Ceux dont les grands-pères sont morts au service ;

8° Les enfants de la noblesse qui, par indigence, ont besoin de secours.

L'admission était prononcée de 8 ans à 12 ans. Seuls, les orphelins pouvaient être reçus jusqu'à 13 ans.

Il fallait être sain de corps et d'esprit, savoir lire, écrire et compter et prouver quatre générations de noblesse.

A 18 ans, les jeunes élèves devaient entrer dans les régiments, et, pendant les trois premières années, ils recevaient du roi une pension de 200 livres.

Leur éducation, dit le texte de l'édit, comprendra tout ce qui peut contribuer à former un bon chrétien, un militaire, un homme sociable. L'instruction portera sur la religion, l'histoire, la géographie, les langues latines et allemandes, les mathématiques, les exercices militaires, l'équitation, l'escrime, la danse et le dessin.

La garde de l'école était confiée à une compagnie de 50 invalides.

Condition sociale des officiers. '

On appelait gentilhomme, tout homme vivant de son revenu sans exercer un métier ou une profession. La majorité des officiers appartenait à la classe de la noblesse. Mais comme on peut le constater par tous les règlements en usage, il n'était pas nécessaire d'être de naissance noble pour obtenir le grade d'officier. Rien n'empêchait un militaire capable, d'acheter une compagnie, et naturellement à l'ancienneté on devenait lieutenant-colonel. Parmi ceux-là, les officiers d'élite étaient nommés brigadiers des armées du roi et puis maréchaux de camp et lieutenants généraux. Ce n'est qu'en 1781 que M. de Ségur, ministre de la guerre, rendit une ordonnance injuste, impolitique, impraticable même, par laquelle on déclarait que dorénavant nul ne serait admis au grade d'officier s'il ne prouvait quatre quartiers de noblesse. Cette mesure doit être mise parmi les causes principales de la défection de l'armée en 1789, de sa révolte en 1790.

Cette innovation était si peu dans les traditions de la monarchie française, que l'histoire a conservé les pamphlets dirigés contre Louis XIV et ses ministres qui préféraient les bons militaires non nobles aux officiers titrés ; c'était une guerre latente et sourde que se faisaient entre elles ces deux classes de la nation et que le roi aurait dû apaiser en récompensant surtout ses bons serviteurs.

Ainsi, dans la promotion du 20 février 1734, par exemple, sur 10 brigadiers d'infanterie nommés, 4 sont MM. Désarmand, Lebrun, Damoiseau et Lemaire ; 5 autres, M. Brunet de Rancy, M. de Thiers, M. de Blancheton, M. Quénaut de Clermont, M. Magon de la Giclais, appartenant à la petite noblesse de province ; les autres sont le duc d'Estissac, le marquis d'Haussy, le marquis de Mailly, seuls des grands seigneurs. Il n'y a donc de la part du gouvernement d'alors, d'autre règle que celle de récompenser le mérite et le talent où ils se trouvent. Le nombre des officiers non nobles (4,000) était assez considérable encore, après la guerre de succession d'Autriche (4,000 environ selon l'estimation de Andrew de Bilinstein), pour motiver l'édit de Fontainebleau qui leur accordait la noblesse personnelle ou héréditaire, en certains cas déterminés.

Extrait de l'édit de Fontainebleau de novembre 1750.

ART. 2. - En vertu du présent édit et du jour de sa publication, tous les officiers généraux non nobles, actuellement à notre service, seront et demeureront ennoblis avec leur postérité née et à naître en légitime mariage.

ART. 3. - Voulons qu'à l'avenir le grade d'officier général confère la noblesse à ceux qui y parviendront et à leur postérité.

ART. 4. - Tout officier non noble, qui aura été créé chevalier de Saint-Louis, qui se retirera après 30 ans de service, dont 20 avec la commission de capitaine, jouira sa vie durant de l'exemption de la taille.

ART. 5, 6, 7, 8, 9. - Accordant des dispenses pour blessures, etc.

ART. 10. - Tout officier dont le père et l'aïeul auront obtenu l'exemption de la taille, en exécution des articles précédents, sera noble de droit après qu'il aura été créé lui-même chevalier de Saint-Louis et qu'il aura servi le temps prescrit par les articles 4, 5, 6 et 8..

ART. 11 . - La noblesse acquise, en vertu de l'article précédent, passera de droit aux enfants légitimes de l'officier qui remplit ce troisième degré.

Cette législation qui faisait de la: noblesse un corps se recrutant sans cesse d'hommes méritants, corrigeait en partie les inconvénients du système, alors en usage, qui accordait les privilèges de la noblesse, sinon la qualité, aux bourgeois enrichis, aux banquiers, etc., qui avaient assez d'argent pour acheter un domaine féodal ou une charge nobiliaire.

Semestres d'officiers.

Dans les régiments, tous les officiers devaient être présents lors de la revue de printemps et .pendant tout l'été. Quand s'ouvrait le quartier d'hiver, les officiers s'assemblaient chez le commissaire des guerres qui avait la discipline et police du régiment et entre eux, par grade, votaient pour désigner ceux qui auraient le droit de s'absenter pendant l'hiver pour veiller à leurs affaires personnelles, s'occuper des recrues, etc., s'arrangeant de manière qu'un officier sur deux restât à la compagnie, et que celui qui avait joui du semestre l'année précédente restât au corps l'année présente.

Dans les citadelles et dans les corps où les officiers étaient peu nombreux, on n'accordait le semestre qu'à un officier sur trois. Le commissaire dressait procès-verbal de l'élection et l'officier favorisé pouvait partir immédiatement. A l'expiration du congé, l'officier devait être de retour, sous peine d'autant de jours de prison qu'il avait de jours de retard, privation du traitement acquis pendant le semestre, suppression de solde pendant les jours de prison sans préjudice des autres peines infligées par le commissaire des guerres qui avait, au reste, pleins pouvoirs pour admettre les justifications.

Le colonel n'était astreint qu'à deux mois de présence au corps, pendant les mois de juin et de juillet.

S'il était brigadier, un mois seulement.

Maréchal de camp ou lieutenant général, aucune obligation de présence. Le lieutenant-colonel et le major ne devaient jamais s'absenter simultanément.

Pensions.

Une vingtaine de régiments d'infanterie, un nombre égal dans la cavalerie jouissaient de la pension du roi. C'était un supplément de solde annuel donné aux capitaines, savoir : 600 livres au colonel, 500 au lieutenant-colonel, 400 aux 4 ou 6 plus anciens capitaines.

Les dernières compagnies créées étaient toujours les premières supprimées. En ce cas, le capitaine réformé, après avoir vendu son matériel et les hommes à ses collègues, touchait un traitement modique à la suite du corps, jusqu'au jour où il lui était possible de racheter une compagnie.

Ces officiers réformés étaient en nombre considérable par suite des guerres fréquentes et surtout de la pratique abusive des concordats. Ils jouissaient en garnison, en marche, en campagne, du logement militaire et de l'étape. Ils devaient paraître au corps pendant quatre mois. Leur solde mensuelle était de 37 livres au capitaine de fusiliers, 20 livres au lieutenant. Ceux de cavalerie touchaient davantage. Après une campagne, on leur accordait à titre d'ustensile 2 mois de solde complète.

Quand leur nombre devenait extrême, le ministre en formait des brigades qui tenaient garnison dans les places fortes. Sous Louis XIV, beaucoup de ces officiers avaient pris rang dans la gendarmerie de France, comme simples gendarmes, mais il n'en était plus ainsi au XVIIIe siècle.

Lettres d'État.

Par ce qui précède, on voit qu'une compagnie était une propriété privée. La jurisprudence permettait donc d'hypothéquer cette propriété dont le gage était pourtant insaisissable. Alors le roi, en cas de procès, accordait aux officiers un sursis de six mois, toujours renouvelable pour empêcher les poursuites contre des personnes employées au service militaire. C'était ce qu'on appelait lettres d'État. On devine aisément quelle source d'abus faisait naître ce droit exorbitant, accordé pour empêcher quelques officiers d'être inquiétés mal à propos, mais qui facilitait l'escroquerie à des personnages peu délicats.

Prévôtés, justices.

Les colonels des 25 ou 30 plus anciens régiments d'infanterie française, ceux de tous les régiments étrangers entretenaient, sous le nom de prévôté, 2 officiers, le prévôt et son lieutenant, 5 archers et 1 exécuteur de justice. En ce cas, le régiment était dit avoir une justice particulière. Le prévôt, du grade de capitaine, instruisait l'affaire concernant tout officier ou soldat du régiment, inculpé de crime ou délit. Il avait sous ses ordres un lieutenant et un greffier.

Dès que le rapport était fait,. les archers amenaient le prévenu chez le commandant de place chez qui s'assemblait le conseil de guerre formé de 7 officiers du régiment, à l'exclusion des officiers des autres corps. Si le nombre des officiers n'était pas suffisant, les sergents étaient appelés à siéger. Tous les officiers de la garnison avaient droit d'assister au jugement. Le major de place ou le major du régiment remplissait le rôle d'accusateur public. Les débats étaient publics et contradictoires, le jugement devait être rendu à la majorité des trois quarts. Lorsque quatre voix déclaraient coupable contre trois non coupable, l'accusé était acquitté.

Pour les soldats des régiments sans prévôté, ils étaient justiciables du grand prévôt de l'armée dont la juridiction s'étendait aussi sur les personnes étrangères à l'armée, mais à sa suite, telles que vivandiers, domestiques, filles, etc. Dans les camps, c'était le prévôt de la connétablie qui rendait les jugements de discipline.

Dans les régiments, les punitions légales étaient l'amende, la prison, la mort : la mort trop fréquemment, de là des acquittements injustes ou une punition trop rigoureuse. Aussi M. de Saint-Germain, en 1776, voulut-il dans un but d'humanité, établir les châtiments corporels, coups de plat de sabre, qui étaient en usage dans les régiments étrangers au service de la France. Il souleva d'unanimes réprobations et un violent mécontentement chez les soldats français.

Condition du soldat.

La discipline n'était guère oppressive, surtout avant 1760. Le soldat pouvait travailler en ville. Il devait rentrer au quartier à huit heures du soir. Les sergents et l'aide-major de service étaient les seuls chefs qu'il vit journellement.

La solde était payée d'avance pour cinq jours en temps de paix, pour dix jours en temps de guerre. Elle était fixée depuis 1713 à 5 sols 6 deniers pour le fusilier d'infanterie, auquel on retenait 2 sols pour le pain (1 l. ½) 1 sol 4 deniers pour la masse d'entretien, 1 sol pour le linge et chaussure, il restait donc 1 sol 2 deniers pour verser à l'ordinaire, acheter la viande, les condiments, le combustible. Cette solde beaucoup trop modique, surtout vers 1755, condamnait le soldat à une misère intolérable. En route, le soldat ne recevait point d'argent, mais la ration d'étape qui coûtait au roi 8 sols environ et 1 sol 4 deniers étaient versés à la masse d'entretien. C'était donc 9 sols 4 deniers qu'il aurait fallu donner en 1740 pour que le soldat ne dépérît pas. La preuve en est, que les corps de troupes légères recevaient une solde de 10 sols par jour (ordonnance, 8 février 1747, citée plus loin).

Quand un soldat obtenait la permission de se marier, le roi accordait 1 sol par jour et une ration pain à sa femme.

En cas de maladie, le soldat était soigné dans un des 85 hôpitaux militaires, entretenus par le système de l'entreprise.

Grenadiers et gradés.

Les meilleurs soldats dans chaque bataillon, ceux qu'on employait pour les opérations périlleuses à tenter, c'étaient les grenadiers dans l'infanterie, les carabiniers dans la cavalerie.

Pour être admis aux grenadiers, il fallait avoir plus de 20 ans et moins de 40. Le capitaine les tirait à tour de rôle de chacune des 16 compagnies de fusiliers du bataillon. Mais dans l'usage, c'était les grenadiers du bataillon qui désignaient le soldat qui devait avoir l'honneur d'entrer dans leur compagnie. En outre, comme cette compagnie ne devait jamais être incomplète, les grenadiers choisissaient pour remplacer les malades, les absents, etc., des fusiliers qu'on appelait grenadiers postiches.

Un capitaine de grenadiers devait quitter sa compagnie à l'âge de 45 ans. Il ne pouvait jamais commander le bataillon en même temps que sa compagnie. Les grenadiers faisaient en ce temps l'office du tirailleur moderne. Autrefois répandus en ordre dispersé sur tout le front du bataillon, ils lançaient à la main une grenade enflammée au moyen d'une mèche. Certains de ces soldats l'envoyaient à la distance de 40 toises. L'invention de la cartouche d'infanterie en 1738, fit abandonner l'usage de la grenade. Les grenadiers, jusque vers cette époque, couraient sus à l'ennemi le sabre à la main, le fusil en bandoulière. Le travers de ces braves soldats était la manie du duel poussée jusqu'à la frénésie. Au reste, braves, ponctuels, honnêtes, ils étaient un modèle pour le bataillon. On en vit faire sans chef des marches incroyables pour être présents un jour de combat. Le carabinier dans la cavalerie était un soldat semblable. Les anspessades étaient les trois plus anciens soldats de la compagnie. Le caporal était nommé au choix du capitaine. Le personnage important était le sergent dans l'infanterie, le maréchal des logis dans la cavalerie. Le sergent était nommé par le capitaine, car de son choix dépendait la ruine ou la prospérité de la compagnie. Le sergent, en effet, était chargé de l'instruction à donner aux soldats, de la discipline, de la police et du détail des menues réparations au vêtement, armement, équipement, etc. Le capitaine pouvait le choisir dans la compagnie d'un de ses collègues, mais alors il, avait l'obligation de laisser prendre en échange un de ses meilleurs caporaux ou soldats. Il n'y avait que deux sergents par compagnie dont l'un avait toute la confiance du capitaine. La punition pour le sergent était l'amende, habituellement une journée de solde (10 ou 11 sols), la prison pour les cas très graves, ivresse publique, insubordination absence non motivée. La cassation ne pouvait être prononcée qu'en conseil de guerre.

Dans la cavalerie, le maréchal des logis avait encore plus de considération, seul de son grade, il ordonnait toutes les dépenses de réparation, etc. Il était traité comme un lieutenant dont au reste il avait la paie (26 sols par jour).

Recrutement.

Le capitaine, en principe, seul avait le droit de donner un engagement valable et régulier. Les nécessités du service le forçaient de déléguer ce pouvoir aux sergents, puis enfin à de simples soldats. Dans la pratique alors, des faussetés, des manœuvres frauduleuses et criminelles pour amener quelque pauvre diable à contracter un engagement de six ans. Le raccoleur cité devant l’intendant ou le subdélégué, était cru sur parole, de là des contestations sans nombre auxquelles le subdélégué ne faisait jamais droit, parce qu'il était pressé par le ministre qui réclamait des hommes. Chacun connaît les scènes, pathétiques du raccolage, qui dégénéraient en véritables enlèvements. Au moment de la signature on donnait 20 livres pour prix de 6 années de service. Le soldat devait avoir 16 ans au moins 50 ans au plus et être suffisamment fort. Si le sergent ou le recruteur avait engagé des sujets trop jeunes ou trop faibles, le commissaire des guerres devait annuler l'engagement et infliger l'amende au capitaine. Un soldat ne pouvait renouveler son engagement que dans la compagnie où il servait.

Au bout de 6 ans le soldat était libéré, à condition qu'on ne fût pas en guerre. En ce cas, les congés étaient suspendus jusqu'à la paix. C'est ainsi que les soldats libérables en 1741 ne furent congédiés qu'en 1748. Le roi, il est vrai, leur fit compter 10 livres chaque fois qu'ils avaient accompli 3 années de service au delà de leur engagement. Les soldats qui acceptaient un grade, fût-ce celui de grenadier, prolongeaient par ce fait de 3 ans, la durée de leur engagement sans indemnité.

Rançon des prisonniers.

Les capitaines qui avaient perdu des soldats faits prisonniers de guerre avaient le droit de racheter ces hommes à l'ennemi, se servant toutefois de l'intermédiaire hiérarchique et, suivant un tarif déterminé. La déclaration de rachat devait être faite dans un délai d'un mois, après lequel les autres capitaines de l'armée avaient droit de remplir leur compagnie avec ces prisonniers échangés et rendus. Au reste un tarif établissait la rançon qu'on devait payer pour les prisonniers de guerre. La convention du 18 juillet 1743 entre MM. de Ségur et de Picquigny d'une part, les comtes d'Albermarle et de Chanclos d'autre part est curieuse. Un maréchal de France ou un feld-marschall devait être payé 50,000 livres ; un lieutenant général, 5,000 livres ; un maréchal de camp, 1,500 livres ; un brigadier, 900 ; un colonel, 600 ; un capitaine, 70 ; un sergent, 10 ; un soldat d'infanterie, 4 ; un ingénieur du roi, 75 livres. On payait davantage pour les cavaliers, 100 livres pour un capitaine ; 14, un maréchal des logis ; 7, un cavalier. Pour tous les militaires non compris dans le tarif général, la rançon était d'un mois de solde.

En outre, toutes les dépenses occasionnées par le prisonnier devaient être remboursées. Seuls les volontaires qui faisaient la guerre sans solde étaient renvoyés de part et d'autre, ainsi que les prévôts, chanceliers, secrétaires, médecins, domestiques, etc., qui ne pouvaient être déclarés prisonniers de guerre. On pouvait échanger des officiers contre des soldats, en faisant des compensations suivant le tarif.

On devait donner aux prisonniers une ration de pain de troupe par jour, les mettre en lieu honnête (sic) en changeant la paille tous les huit jours. Les frais médicaux devaient être remboursés de part et d'autre.

Cette convention peut paraître étrange aujourd'hui et cependant elle était une vieille tradition des temps passés et elle était conclue dans un but d'humanité. Les pandours, hussards, etc., pour ne parler que de ceux-là, avec l'appât d'une part de prise, étaient moins tentés de ne pas faire quartier, pratique qui leur était habituelle dans leurs guerres séculaires contre les Ottomans.

Enrôlement des volontaires.

Les capitaines admettaient comme soldats dans leur compagnie, des gentilshommes, des fils d’officiers, des étudiants, etc., à qui ils ne payaient aucune prime d'engagement. Il était alors de règle d’accorder à ce soldat son congé définitif dès qu'il le demandait, à moins qu'on ne fût en campagne. En retour, le soldat gentilhomme, c'était sa désignation, devait indemniser le capitaine en lui fournissant un remplaçant. C'est de cette catégorie, fort nombreuse encore en 1750, que sortaient ceux qu'on appelait les officiers de fortune ou officiers bleus. Il était interdit au capitaine d'enrôler aucun vagabond, repris de justice, non plus que milicien, garde-côte, inscrit maritime. Les Français ne pouvaient servir dans les régiments étrangers. Les étrangers devaient servir dans lès régiments de leur nation. Seuls les Alsaciens pouvaient à leur gré servir dans les régiments allemands, suisses ou français.

Pour bien faire comprendre le mécanisme de la levée des troupes mercenaires, il n’est pas inutile de transcrire ici trois ordonnances.

La première pour la levée de 10 hommes d’augmentation à faire dans une compagnie ancienne.

La deuxième pour la formation de plusieurs compagnies nouvelles.

Enfin la troisième pour la formation d’un corps franc.

Ordonnance du 15 mai 1741

De par le Roi,

Sa Majesté ayant reconnu depuis la diminution faite dans les compagnies de son infanterie française et irlandaise, qui les réduit à trente hommes, qu’il ne reste pas assez de factionnaires pour subvenir au service, aurait jugé indispensable pour le soulagement de ses troupes, d’y faire une augmentation de dix hommes par chacune desdites compagnies ordinaires, et en même temps de remettre celles de grenadiers à quarante-cinq ; en conséquence ordonne,

Art 1er - Qu’à commencer du jour de la publication de la présente ordonnance, tous les colonels, lieutenants- colonels et capitaines des régiments de son infanterie française et irlandaise, même ceux du régiment des gardes de Lorraine, à l’exception des capitaines de grenadiers, dont il sera parlé ci-après, travailleront incessamment à la levée des hommes d’augmentation qu’il leur faudra, pour mettre toutes les compagnies à quarante, et remplacer les Grenadiers qui sortiront de leur troupe, pour rentrer dans celles de grenadiers où ils serviront.

Art. 2 - Sa Majesté donnera ses ordres aux trésoriers généraux de l’extraordinaire des guerres, pour faire toucher aux capitaines, au premier du mois de juin prochain, 500 livres pour la levée desdits dix hommes, sur le pied de 50 livres par homme. Elle fera fournir, en outre, à ses dépens, l’habit, le chapeau, le fusil avec la baïonnette ; les capitaines étant chargés seulement de la façon de l’habit, ainsi que de donner l’épée, le ceinturon, la cartouchière et le fourniment à chaque soldat.

Art. 3 - Lorsque les compagnies seront rendues complètes à quarante hommes effectifs, à la revue du mois d’août prochain, le capitaine touchera quinze livres de gratification pour chacun des hommes de ladite augmentation, qui sera trouvé de tout point en état de servir.

Art. 4 - Le capitaine de grenadiers n’étant tenu d’aucune levée pour compléter sa troupe à quarante-cinq hommes, aura seulement la gratification de 15 livres pour chacun desdits 15 hommes d’augmentation, auxquels il sera tenu pareillement de fournir le sabre, le ceinturon, la grenadière (giberne spéciale aux grenadiers) et la façon de l’habit dont Sa Majesté fera délivrer l’étoffe avec le chapeau, le fusil et la baïonnette.

Art. 5 - Les capitaines des compagnies desquelles les grenadiers seront tirés, toucheront pour leur remplacement la même somme de 50 livres accordée pour la levée d’un autre soldat.

Art. 6 - Entend Sa Majesté que ceux desdits capitaines qui n’auront pas mis leur compagnie à quarante effectifs, à la revue qui en sera faite au mois d’août prochain, soient privés non seulement des 15 livres de gratification, pour autant d’hommes qui manqueront aux 10 dont elles doivent être augmentées, mais encore que les 150 livres qui leur seront accordées à la fin de l’année, pour tenir lieu de l’étape aux recrues, soient retenues suivant l’ordre de l’inspecteur, pour être remises par le trésorier, soit au capitaine qui aura rendu sa compagnie complète, soit à celui qui en aura été pourvu à sa place et qui l’aura rétablie audit nombre de 40 effectifs en état de bien servir.

Art. 7 - Toutes les compagnies d’infanterie française et irlandaise et du régiment des gardes de Lorraine, ne devant être payées que sur le pied de 30 hommes, suivant les précédentes ordonnances, et n’étant pas juste que les hommes qui auront rejoint lesdites compagnies au delà du nombre de 30 fixé par lesdites ordonnances, soient à la charge des capitaines qui auront travaillé le plus diligemment à cette augmentation. Sa Majesté ordonne qu’à mesure qu’ils auront été reçus et trouvés capables de bien servir auxdites compagnies depuis le 1er juin de la présente année, ils soient employés dans les revues des commissaires des guerres et payez de leur solde, savoir : les compagnies de fusiliers pour les effectifs qui s’y trouveront jusqu’au nombre de 40, et celles de grenadiers à commencer du 1er juillet seulement, jusqu’au nombre de 45. L’intention de Sa Majesté étant, pour ne point trop affaiblir tout d’un coup les compagnies de fusiliers, que les grenadiers qui en seront tirés, n’en sortent qu’un mois après l’augmentation ordonnée et que la masse sur le pied du complet ne commence à être payée au 1er du mois d’août suivant, et que dudit jour les capitaines reçoivent trois payes de gratification, au lieu des deux seulement dont ils jouissent actuellement.

Art. 8 - Sa Majesté entend que toutes les compagnies soient rendues complètes au nombre marqué ci-dessus, et en état de bien servir, au 1er du mois d’août prochain, à peine aux capitaines, qui n’y auront pas satisfait, d’être cassés et privés de leurs charges.

Mande et ordonne etc., etc.
Fait à Marly, le 15 mai 1741.

Signé : LOUIS, Et plus bas : de BreteUil.

Ordonnance du 27 octobre 1746

Sa Majesté ayant  résolu d’augmenter d’un bataillon le régiment d’infanterie de Vermandois pour le mettre à deux bataillons au lieu d’un, à quoi il est actuellement, elle a ordonné et ordonne ce qui suit :

Art. 1er - Il sera choisi ceux des officiers qui se trouveront les plus capables de lever et mettre sur pied, avant le 1er mars prochain, 17 compagnies pour former le 2e bataillon dont Sa Majesté entend que ledit régiment soit augmenté, et le composer, lors de sa jonction avec le 1er bataillon, de 16 compagnies de fusiliers de 40 hommes et d'une de grenadiers à 45 hommes.

Art. 2. - Les officiers qui seront nommés pour ces nouvelles compagnies recevront 50 livres par homme, que Sa Majesté leur fera payer et, en outre, 40 autres livres pour l'équipement et l'habillement de chacun desdits hommes, Sa Majesté se chargeant de leur faire délivrer gratis l'armement consistant en un fusil et sa baïonnette.

Art. 3. - Les compagnies étant complètes à la revue qui en sera faite dans le courant du mois de mars prochain, le capitaine touchera 15 livres de gratification pour chacun des hommes qui sera trouvé de tout point en état de servir, entendant, Sa Majesté, que ceux desdits capitaines qui n'auront pas leur compagnie complète à ladite revue du mois de mars, ne reçoivent que 10 livres de gratification au lieu de 15, et seulement pour le nombre d'hommes qui se trouvera à leur compagnie.

Art. 4. - Afin que les recrues qui arriveront au quartier d'assemblée de ces compagnies ne soient point à la charge des capitaines, Sa Majesté veut bien qu'à commencer du 17 novembre prochain, à mesure que les hommes de cette levée auront été reçus et agréés par le commissaire des guerres et qu'il s'en trouvera dix à une compagnie, ils soient payés de leur solde en conformité de l'ordonnance du paiement de ses troupes. A l'égard des appointements des officiers et de la paie des sergents, caporaux, anspessades, ils ne commenceront à courir que du jour où il y aura 15 hommes présents au moins à chaque compagnie.

Art. 5. - Pour mettre les soldats qui composeront lesdites compagnies à portée d'être exercés et disciplinés sous les yeux du commandant et de l'officier-major du nouveau bataillon, entend, Sa Majesté, qu'aussitôt qu'il se trouvera 20 hommes à chacune desdites compagnies, le capitaine soit tenu de les faire conduire au lieu où sera le quartier général dudit bataillon, et successivement ceux qu'il fera pour compléter sa compagnie.

Signé: LOUIS, et plus bas : P. VOYER D'ARGENSON.

Ordonnance du 1er février 1747 pour la levée d'une compagnie de chasseurs à pied

dont elle a donné le commandement au sieur Bérenguier de Sabattier, capitaine aux hussards de Beausobre.

Art. 1er - Cette compagnie de 200 hommes, levés parmi les montagnards des Cévennes, sera composée de : 1 capitaine commandant, 2 capitaines, 4 lieutenants, 2 lieutenants réformés, 2 sous-lieutenants, 8 sergents, 12 caporaux, 12 anspessades, 164 chasseurs à pied et 4. tambours.

Art. 2. - L'habillement consistera en un justaucorps de drap vert, parement, collet, veste et culotte rouges. Les officiers porteront un passepoil d'or sur le justaucorps et sur la veste ; les sergents, un galon d'or large de deux doigts sur le parement ; les tambours, des brandebourgs de soie jaune sur l'habit et une aiguillette de même couleur.

Art. 3. - L'armement sera, pour les officiers et sergents, un fusil à deux coups, un pistolet et une giberne. Pour les soldats, un fusil à baïonnette, un pistolet, un cartouche et un petit ceinturon pour porter la baïonnette.

Art. 4. - Sa Majesté veut bien accorder au sieur Bérenguier pour la levée, l'habillement, l'armement, l'équipement de chacun des 200 hommes, dont la compagnie sera composée, la somme de 100 livres par homme agréé par le commissaire des guerres.

Art. 5. - Cette compagnie sera payée par jour sur le pied de 7 livres au capitaine commandant, 50 sols au premier capitaine, 45 sols au deuxième, 40 sols aux deux premiers lieutenants, 35 sols aux deux seconds, 30 sols à chacun des deux lieutenants réformés entretenus à la suite du corps, 25 sols pour chacun des deux sous-lieutenants, 20 sols à chacun des huit sergents, 16 sols à chacun des douze caporaux, 14 sols à chacun des douze anspessades, 10 sols à chacun des cent soixante-quatre chasseurs à pied présents aux revues qui en seront faites par le commissaire des guerres, qui en aura la police à commencer du 5 février 1747. Entend, Sa Majesté, qu'au moyen de ce traitement, le capitaine de ladite compagnie soit chargé de l'habillement, armement, équipement et entretien desdits 200 chasseurs.

Art. 6. - Il sera fourni 200 rations de pain et 28 rations de fourrage moyennant une retenue de 2 sols par ration de pain.

Art. 7. - Quand la compagnie aura servi en campagne, le capitaine recevra la somme de 6,000 livres pour tenir lieu d'ustensile et de recrue, tant à lui qu'aux officiers et chasseurs de la compagnie, et le mettre en état de prendre soin de ceux de sa troupe qui tomberaient malades, ceux-ci ne devant pas entrer aux hôpitaux.

Signé : P. VOYER D'ARGENSON.

Invalides.

Lorsque les soldats avaient servi 25 ou 30 ans, ils pouvaient obtenir par faveur une place dans les compagnies de l'hôtel royal des Invalides. Ces .compagnies, au nombre de 177 en 1740, de près de 200 en 1760, formaient les seules troupes de garnison pour les châteaux et forteresses de l'intérieur du royaume.

Ces compagnies appartenaient au roi et ne se vendaient pas. Leur solde était fournie par le moyen du versement du 31e jour du mois, jour retranché de la solde mensuelle des troupes, par la retenue de 4 deniers par livre sur tout ce qui était payé pour les troupes ou le ministère de la guerre, enfin par les contributions en argent, fournies par les abbayes et couvents d'hommes qui, autrefois, avant la création de l'hôtel des Invalides, avaient la charge d'entretenir les officiers et soldats estropiés au service du roi de France (Édit de François Ier).

Les invalides entretenus à l'hôtel, comme incapables de service pour cause d'infirmités graves, étaient au nombre de 4,000 environ. Les 10,000 autres formaient 177 compagnies, 4 de sous-officiers, 144 de soldats, employées comme garnisons en province ; 3 compagnies de 140 hommes formaient à Lunéville la garde du roi de Pologne, et 26 autres compagnies, étaient affectées an service de l'hôtel des Invalides, des châteaux de la Bastille à Paris, et de Vincennes.

Emplacement des troupes.

Les régiments, en temps de paix, étaient toujours cantonnés ou en quartier sur la frontière du nord et de l'est, points vulnérables du royaume, c'est-à-dire échelonnés depuis Besançon jusqu'à Dunkerque. En Alsace et en Lorraine, 66 bataillons d'infanterie, 3 bataillons d'artillerie, 66 escadrons de cavalerie, 40 de dragons. De Mézières à Dunkerque, 65 bataillons d'infanterie, 1 d'artillerie, 39 escadrons de cavalerie, 4 de dragons. La Suisse, par suite des traités, couvrait toute la frontière de Franche-Comté. Sur les Alpes, 25 bataillons. Sur les Pyrénées, 15 bataillons. Les 10 autres bataillons étaient répartis dans les citadelles de Blaye, Rochefort, La Rochelle, Belle-Isle, Brest, Cherbourg. Quelques régiments de cavalerie étaient stationnés à proximité des beaux pâturages de Bretagne, du Perche et de la France centrale. La concentration de cette armée était donc toujours faite. En cas de guerre, la maison du Roi qui avait ses quartiers ordinaires dans l'Ile-de-France, la gendarmerie en Champagne, rejoignaient bientôt l'armée et il n'y avait sur les routes d'étape que les détachements, les recrues et les convois. Lorsque M. de Choiseul prit la direction du ministère de la guerre, l'objectif de la France fut changé. L'Angleterre, victorieuse sur mer et aux colonies, forçait la France à des efforts persistants. 110 bataillons furent consacrés à la garde des possessions françaises qui avaient été si mal défendues pendant les guerres précédentes par les compagnies franches de la marine ou de la Compagnie des Indes Orientales et Occidentales. Dès lors les villes du littoral reçurent aussi de fortes garnisons qui y furent maintenues, même après la création des troupes spéciales pour la marine, en 1768.

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RÉFORMES DE CHOISEUL

ORDONNANCES DES 27 DÉCEMBRE 1760, 10 ET 21 DÉCEMBRE 1762

L'organisation de ces régiments établis depuis les temps modernes, perfectionnée par Louvois, aurait pu exister longtemps encore si le roi, guidé par des ministres capables, eût accordé un traitement convenable aux capitaines. La pénurie du Trésor en 1748, après six ans d'une guerre inutile, imprudemment engagée, vaillamment soutenue, heureusement terminée, mais qui avait coûté un milliard trois cents millions de dettes nouvelles, fut cause qu'on ne fit rien pour améliorer la condition du militaire. M. d'Argenson, après 15 ans de ministère, se retira en pleine guerre, laissant l'administration et l'organisation des corps de troupes dans une confusion inextricable. Il fut remplacé par son neveu M. de Paulmy, le 1er février 1757, qui n'osa rien faire. Le maréchal de Belle-Isle, appelé le 3 mars 1758, tenta de secourir les capitaines épuisés ou ruinés; il augmenta le traitement fait aux officiers et augmenta de 2 deniers la solde du soldat. C'est l'époque la plus lamentable de l'histoire du soldat. La désertion sévissait avec fureur ; elle était si générale, que le roi accorda trois amnisties en quatre ans, 1757, 1758, 1761, pour les déserteurs qui contracteraient de nouveaux engagements dans les troupes réglées. Ces amnisties sont la meilleure preuve de la faiblesse du pouvoir. MM. d'Argenson, de Paulmy, le maréchal de Belle-Isle, son adjoint, M. de Crémilles ne trouvèrent d'autre remède que l'incorporation des miliciens pour remplir les cadres des compagnies. Ce moyen, absolument contraire aux principes de toutes les institutions du temps, en opposition formelle avec les ordonnances constitutives de la milice, fut cependant le seul employé pendant quatre années. Depuis le 5 novembre 1758, les compagnies du corps royal de l'artillerie se recrutaient directement au nom du roi pour le corps entier et non plus pour tel capitaine. Ce qui était possible pour un corps de 4,000 hommes était-il donc impossible pour les autres régiments ? On l'essaya. De même que le roi fournissait l'armement depuis 1690, l'habillement depuis 1753, les chevaux de troupe depuis 1743, pourquoi ne fournirait-il pas les hommes ? L'ordonnance du 27 décembre 1760 est la conséquence de ces vues, mais portait le dernier coup à l'organisation de l'ancienne armée.

Analyse de l'ordonnance du 27 décembre 1760.

Le roi ayant reconnu que le projet des recrues provinciales destinées à recruter l'armée est le moyen le plus sûr et le moins à charge de ses peuples, pour parvenir au prompt rétablissement des troupes qui ont essuyé des pertes pendant les campagnes précédentes, Sa Majesté, voulant le mettre en usage, a jugé nécessaire d'établir par un règlement, les principes sur lesquels elle entend que l'opération des recrues volontaires soit dirigée dans les provinces du royaume. En conséquence, le commissaire départi dans chaque généralité sera spécialement chargé de tout le détail de l'opération, ordonnera supérieurement et connaîtra toutes les contestations au sujet des enrôlements.

Art. 2. - Des préposés aux recrues seront établis dans toutes les villes où il est utile d'en avoir.

Art. 3. - Les préposés aux recrues seront commissionnés par les intendants et choisis parmi les officiers réformés ou les bas officiers.

Art. 4. - Les préposés se conformeront toujours aux ordonnances.

Art. 5. - Les préposés aux recrues n'emploieront ni séduction, ni violence, ni ruse pour surprendre la bonne foi ou forcer l'inclination des sujets; leur fonction ne devant s'annoncer que sur les dehors de la bonne foi, de la douceur, de la persuasion.

Ils n'enrôleront que des hommes sains, robustes, bien conformés, et de bonne volonté décidés pour le service, depuis l'âge de 16 ans jusqu'à 40 ans et de la taille de 5 pieds 1 pouce.

Les déserteurs, passagers, vagabonds, mendiants, gens soupçonnés de crimes ou flétris par la justice seront refusés comme indignes ; mais on pourra admettre les étrangers pour servir dans les régiments dont ils seront.

Art. 6. - On devra refuser l'engagement des infirmes.

Art. 7. - Les engagements seront contractés pour 8 ans et ne feront mention spéciale d'aucun régiment, les recrues devant servir indistinctement dans tous les corps de troupe du roi.

Art. 8. - Si le contractant ne sait ni lire ni écrire, il fera sa marque devant deux témoins qui signeront au bas de l'engagement sur les renseignements, sur la profession, le prix et les pourboires de l'engagé.

Art. 9. - Les préposés aux recrues délivreront des billets de service de 6 ans, avec promesse de congé absolu, excepté en cas de guerre où la délivrance des congés est suspendue.

Art. 10. - Les préposés aux recrues doivent tenir un registre journalier.

Art. 11 - Un sujet enrôlé ne peut être réclamé par un autre recruteur, toute réclamation sera portée devant l'intendant.

Art. 12. - Le prix de l'engagement ne pourra excéder 10 écus, indépendamment de l'équipement fourni, savoir : une culotte de laine blanche doublée de toile, un chapeau bordé de poil de chèvre, deux chemises de toile de chanvre, une paire de souliers, une paire de guêtres, un havre sac en coutil et 3 livres données au lieu de destination.

Art. 13. - Le pourboire ou excédent du prix de l'engagement est fixé à :

5
10
15
20
30

livres pour un homme de
--                    --
--                    --
--                    --
--                    --

pieds 1 pouce ;
  --    2 pouces ;
  --    3 pouces ;
  --    4 pouces ;
  --    5 pouces et au-dessus.

Ces sommes seront allouées aux préposés aux recrues après la réception à la revue d'assemblée.

Art. 14. - Il sera payé 6 livres comptant aux nouveaux enrôlés, 12 livres à la revue d'assemblée, 12 livres au dépôt général, mais après vérification qu'ils ont bien le linge et les effets.

Art. 15. - Les enrôlés ne doivent quitter le dépôt des recrues qu'avec la permission de l'officier jusqu'au départ des détachements pour l'entrepôt. Les déserteurs seront punis suivant les ordonnances.

Art. 16. - Les enrôleurs seront payés ainsi annuellement :

          3 livres pour les six premières recrues;
          4 livres pour les deux suivantes ;
          5 livres pour les deux autres, etc., en augmentant d'une livre jusqu'aux 23e, 24e et au delà.

Ces primes leur serviront de traitement.

Art. 17. - Les officiers et soldats de la maréchaussée sont admis à remplir cet office.

Art. 18. - Si ce sont les maires ou syndics qui présentent des sujets à enrôler, le pourboire leur sera compté suivant l'article 13.

Art. 19. - Les nouveaux enrôlés jouiront de 5 sols 8 deniers par jour du moment de leur enrôlement.

Art. 20. - Les préposes aux recrues conduiront les enrôlés jusqu'à l'entrepôt.

Art. 21. - Les acomptes d'engagement sont à la charge du recruteur, si le sujet déserte ou n'est pas admis.

Art. 22. - Si un enrôlé est père famille et que, non accepté, il regrette son engagement, il doit s'adresser à l'intendant qui pourra l'admettre à présenter à sa place deux sujets, dont l'un levé à ses frais et l'autre remboursé sur le pied de 30 livres.

Art. 23. - On admettra, au delà de 40 ans, jusqu'à 50 ans, un sujet ancien soldat.

Art. 24. - Les sujets qui s'engagent, après 6 ans de service, sont dispensés de la milice, quoiqu'ils jouissent des avantages des miliciens.

Art. 25. - Les préposés aux recrues inscriront sur les registres tous les renseignements possibles sur les antécédents et la famille de l'engagé.

Art. 26. - Les nouveaux enrôlés sont logés par la ville qui doit fournir le lit, le feu et la lumière.

Art. 27. - Les sujets admis devant être considérés comme les enfants de la province, il convient qu'ils soient reçus, en cas de maladie, dans les hôpitaux de la ville et traités gratuitement.

Art. 28. - Si, contre toute attente, les levées ordonnées par voie d'enrôlement volontaire n'avaient pas dans quelques provinces le succès qu'on en doit espérer, il sera donné des ordres pour procéder par la voie du sort sur le principe ordinaire de la levée des milices.

Art. 29. - Les comptes de la levée seront vérifiés par les intendants.

Art. 30. - Les contestations entre recruteurs et recrues seront soumises d'abord à l'officier des recrues, et jugées sans appel par l'intendant.

          27 décembre 1760.                                                   Signé : BELLE-ISLE.

Ainsi, toute l'administration civile du royaume était mise au service des capitaines impuissants à compléter leur compagnie. Il en fut ainsi jusqu'à la fin de la guerre ; mais alors pourquoi un capitaine qui ne recrutait plus, qui n'armait plus, qui n'habillait plus ses soldats, qui n'avait en compte que les dépenses remboursées par le roi pour l'entretien et la réparation d'un matériel vieux et bientôt hors d'usage, aurait-il continué à vendre sa compagnie ? C'est le motif et l'objet de la grande réforme de Choiseul opérée par les ordonnances capitales des 10 et 21 décembre 1761 et 1er février 1761.

Par ces ordonnances, les capitaines étaient dorénavant déchargés du recrutement, de l'habillement, de l'armement, de la solde des soldats sous leurs ordres. Ils devaient recevoir intégralement leurs appointements et ne plus jamais rien dépenser pour les hommes et le matériel. Le roi se chargeait de toutes les dettes contractées par les capitaines pour l'entretien des compagnies.

Les capitaines ne devaient plus délivrer de congé absolu à aucun de leurs soldats.

On supprimait en même temps toutes les gratifications anciennes accordées pour le complet de la compagnie, les rations d'étape fournies en nature, l'ustensile, etc., etc.

Chaque régiment devait être doté d'une caisse qu'on ne pouvait ouvrir qu'avec trois clés confiées au chef du corps, au major, au trésorier. Cet officier comptable était subordonné au major qui, de ce jour, se trouvait déchargé du service de la caisse régimentaire et des masses de compagnies, pour ne garder que la discipline et la surveillance des officiers, ainsi que le commandement des exercices. Chaque mois, la caisse devait recevoir les sommes nécessaires pour les dépenses. On devait y enfermer un registre sur lequel toutes les recettes et toutes les dépenses devaient être inscrites sans exceptions ni surcharge, Cette caisse devait être déposée avec le drapeau chez le chef du corps.

Le major était déclaré officier supérieur en grade à tous les capitaines. Le grade de brigadier des armées du roi pouvait lui être conféré directement comme à un lieutenant-colonel. Les grades d'enseigne et de cornettes étaient abolis : leurs fonctions devant être remplies par les sous-lieutenants nouvellement institués dans toutes les compagnies.

Le grade de maréchal des logis dans la cavalerie fut également aboli ainsi que toutes les prérogatives y attachées.

Les nouveaux bas officiers de cavalerie, appelés cependant maréchaux des logis, n'eurent d'autre autorité que celle du sergent d'infanterie.

Les bas officiers au lieu d'être nommés par les capitaines devaient être désignés par voie d'élection de la manière suivante : tous les sergents dans l'infanterie, les maréchaux des logis dans la cavalerie, ainsi que les quartiers-maîtres et porte-drapeaux, se réunissaient chez le major pour choisir dans la liste des caporaux ou brigadiers trois noms qu'ils présentaient au major. Celui-ci, de concert avec le plus ancien capitaine, choisissait un nom qu'il portait au colonel. Celui-ci nommait alors le nouveau sergent ainsi désigné. Les quartiers-maîtres (grade nouveau correspondant à adjudant de bataillon), porte-drapeaux (grade de sous-lieutenant), sous-aide-major (rang de lieutenant) choisis parmi les sergents, étaient nommés par le roi sur la présentation du colonel.

Les officiers n'avaient plus qu'un seul devoir : veiller à l'instruction des hommes et au bon entretien des chevaux.

La nouvelle constitution des régiments étrangers était réglée d'après les mêmes principes.

Les compagnies n'eurent plus de rang d'ancienneté qui leur fût propre et prirent entre elles le rang d'ancienneté de leur capitaine.

Les compagnies ne devaient plus être vendues ; cependant, par une inconséquence injustifiable, les régiments continuaient à être tarifés 60,000 livres dans la cavalerie et les dragons, au lieu de 100,000.

Ceux d'infanterie, depuis le 1er jusqu'au 35e; La Fère, 40,000 livres; et depuis le 37e, Royal Roussillon, jusqu'au dernier, 20,000 livres.

Comme mesure transitoire, l'inspecteur du régiment assisté du commissaire des guerres devait faire une revue générale, dresser un contrôle du personnel, procéder au choix des lieutenants pour les nommer sous-aides-majors et sous-lieutenants, des maréchaux des logis anciens pour les nommer porte-étendarts ou quartiers-maîtres. On devait renvoyer immédiatement tous les miliciens incorporés, ainsi que les 4 soldats dont le congé était expiré depuis le plus long temps ; on devait doubler les compagnies de 40 hommes pour en former une nouvelle de 54 dans la cavalerie, de 63 dans l'infanterie, conservant les meilleurs soldats et les meilleurs chevaux. On dut réformer un certain nombre de capitaines, enseignes, cornettes, non placés qui durent se retirer chez eux et non ailleurs le roi ne voulant plus entretenir d'officiers à la suite. Les chevaux d'excédent furent vendus au profit des capitaines pour payer les dettes. On devait liquider la situation de chaque compagnie, et payer les différences au moyen des fonds alloués par le ministre.

Pour compléter cette réforme, par l'ordonnance du 1er février 1763 on établissait 31 régiments de recrues d'un bataillon en résidence dans chacune des capitales de province et un régiment de 2 bataillons à Saint-Denis. Les préposés aux recrues, établis depuis 1760, devaient faire conduire les recrues à ces bataillons. Le prix d'engagement était fixé à 30 livres pour 8 années ; le tiers donné lors de la signature, un tiers au régiment de recrue et le reste au régiment définitif.

Un pourboire était remis à l'enrôleur suivant la taille de l'homme recruté. En arrivant au régiment de recrue, l'engagé recevait un trousseau, l'habit et les armes. On devait lui apprendre le maniement d'armes et lorsque son éducation était jugée suffisante, le commandant devait, suivant ses aptitudes (sic), lui désigner le corps où il servirait, les hommes devant être dirigés sur les régiments définitifs selon les indications du ministre.

La durée de l'engagement était fixée à 8 ans, avec promesse formelle d'accorder le congé à l'expiration de ce terme, le soldat restant toutefois sujet à la milice. Les soldats qui voudraient renouveler pour 8 autres années recevraient 30 livres comptant, 30 autres après la quatrième année et après 16 ans de service, demi-solde de leur grade chez eux et un habit tous les 8 ans.

Ceux lui se rengageraient une troisième fois recevraient, à l'expiration des 24. années de service, solde entière de leur grade chez eux, et un habit tous les 6 ans ou entreraient aux Invalides.

Pour le recrutement des soldats étrangers on devait procéder de la même manière. Des dépôts de recrues établis sur la frontière devaient recevoir les engagés et les diriger sur les régiments selon la demande. On accordait pour la caisse des recrues 14,400 livres par an à chaque régiment étranger.

La prime d'engagement pour un soldat étranger, autre que Suisse, était de 94 livres ainsi payées : 6 livres la première année, 8 la 2e, 10 la 3e, 12 la 4e, 13, 14, 15 et 16 les 4 années suivantes, 17 livres au delà de la 8e, jusqu'à l'âge de 50 ans. La commission donnée au recruteur pour frais d'embauchage, cabaret et cocarde, était de 10 livres pour un homme de 5 pieds 1 pouce, 12 livres pour 5 pieds 2 pouces, 20 livres pour 5 pieds 4. pouces et au-dessus, plus 42 sols par jour de marche pour atteindre le dépôt. Officiers et soldats étrangers recevaient, en outre, une gratification de 12 livres quand ils amenaient une recrue contractant engagement de 4 ans. Tout officier qui obtenait le semestre, avait l'obligation de ramener deux recrues sous peine de 90 livres d'amende qu'on devait verser à la masse des recrues du régiment. Les Suisses eux-mêmes, étaient soumis à une législation semblable, mais avec les tempéraments nécessités par les capitulations.

Le résultat de ce bouleversement ne se fit pas attendre longtemps. Par l'ancien système, les capitaines avaient été ruinés. Avec le nouveau, le roi le fut à son tour.

La solde de l'armée en 1748 coûta 112,746,200 livres pour 406,000 hommes servant à différents titres. La solde était insuffisante, mais les capitaines et les colonels soulageaient la misère du soldat. En 1770, la dépense réelle fut de 94,000,000, pour 203,000 hommes sous les armes ; le ministre avait demandé au conseil des finances 64 millions ; le conseil en avait accordé 55 ; déficit pour cette seule année, 39 millions ; 15 ans plus tard, en 1786, la dépense réelle fut de 115 millions, pour 198,000 hommes, le ministre demandait 90 millions ; le conseil en accordait 80. Ce fut pendant 30 ans un déficit de 35 à 40 millions. La réforme de Choiseul fut donc une des causes nombreuses de la catastrophe financière de la fin du siècle.

Tout le monde était coupable par ignorance plus que par incapacité, car un homme qui ne manquait pas d'autorité en matière militaire, le comte de Saint-Germain, se faisait fort et promettait sérieusement en 1776, d'entretenir une armée de 200,000 hommes moyennant une dépense annuelle de 30 millions.

Quoi qu'il en soit, l'armée gagnait à la réforme de Choiseul de devenir partie intégrante de la nation, tandis qu'autrefois elle était uniquement l'instrument de la volonté du roi.

Dans l'ancien système, le colonel et le capitaine seuls servent le roi, le soldat est l'homme lige du capitaine. La puissance publique n'intervient que pour river le soldat à son chef.

Dans le nouveau système, le soldat est un sujet qui ne sert ni son capitaine, ni bientôt son roi, mais une abstraction : la patrie.

Ainsi disparut en 1763 et sans retour, l'armée créée sous François 1er et Henri II, perfectionnée par Richelieu et Louvois, désorganisée par Argenson et Choiseul. Une autre la remplaça qui ne trouva sa forme définitive qu'en 1800 avec l'établissement régulier et normal de la conscription des miliciens avec ou sans remplacement.

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