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Source :
SHAT
Repris dans COLIN : Les campagnes du maréchal de saxe, vol. 3.

 

Journal du siège de Tournay, du 20 avril au 20 mai 1745.

L’armée du Roi, commandée par M. le maréchal comte de Saxe, se rassembla autour de Valenciennes, Maubeuge, Saint-Amand, Lille et Warneton, les 20, 21, 22, 23, 24 et le 25, au petit point du jour, après avoir marché toute la nuit, se trouva toute aux environs de la ville de Tournay, et favorisée par un brouillard considérable, serra la ville à la portée du canon, de toutes parts ; le 26, on travailla à force aux fascines et gabions.

Le 27, l’artillerie arriva et le parc fut placé au village d’Orcq ; le 28, le corps d’ingénieurs arriva au même village  d’Orcq, d’où doit se faire la première communication de la tranchée.

Le 29, le quartier général fut placé à Froïennes et le Roi sera au château de Chin.

La nuit du 30 avril au 1er mai, on ouvrit la tranchée à 10 heures du soir par une parallèle, à 200 toises de la palissade seulement. Cette parallèle prend depuis la chaussée de Courtrai jusqu’à celle de Lille et embrasse deux ouvrages à cornes. Sur les minuit, les ennemis jetèrent beaucoup de pots à feu, et nous aperçurent à la faveur des vestes blanches de nos travailleurs ; leur feu fut très vif pendant une demi-heure, et n’étant point à couvert, nous fûmes obligés de mettre ventre à terre ; sur les 2 heures, le feu recommença de nouveau et dura une heure. Jamais ouverture de tranchée n’a été moins meurtrière, n’y ayant eu que cinq soldats de blessés ; nous avont poussé pendant cette nuit près de 2000 toises ; à 4 heures du matin, la tranchée fut en état de recevoir les drapeaux.

MM. le duc d’Harcourt, lieutenant général, et le comte de la Marck, maréchal de camp de tranchée, les six bataillons des Gardes françaises et les deux du régiment d’Eu y entrèrent à la muette et travaillèrent à force à se mettre à l’abri du canon.

La droite de la parallèle n’est point à plus de 100 toises de la palissade.

Le 1er, les ennemis tirèrent beaucoup, jusqu’à midi, sur la tranchée ; mais M. du Brocard, qui avait fait travailler toute la nuit à une batterie de douze petites pièces, les étonna et attira un peu leur attention.

A 2 heures après-midi, M. de Clermont-Gallerande, lieutenant général, et MM. Duc de Boufflers et d’Armentières ; la tranchée fut relevée par les trois bataillons des Gardes suisses, trois de Royal-Vaisseaux et deux de La-Cour-au-Chantre Suisses.

La nuit du 1er au 2, on poussa une communication de la droite à la gauche, en arrière de la parallèle que l’on appellera la communication royale, parce que le Roi entrera par là. On poussa en vant quatre batteries qui seront en état de tirer le 4 et feront taire un peu le feu de la place. Il y a eu un officier d’artillerie, appelé Saint-Auban, de blessé, deux soldats de tués et dix ou douze blessés ; le feu a été plus considérable que la nuit dernière.

A 2 heures après-midi, M. le comte de Lutteaux, lieutenant général, marquis de Souvré et duc de Chevreuse, les quatre bataillons du régiment de Piémont, deux d’Orléans, un de Biron et un de La Cour-au-chantre Suisse.

L’ouvrage de la nuit du 2 au 3 a été poussé par une sape à 146 toises en avant. Il y a eu cette nuit un capitaine des Grenadiers du régiment d’Orléans de tué, et 17 soldats tant tués que blessés;  on travailla à force aux batteries, et l’on comptait qu’elles tireraient le lendemain.

A 2 heures après-midi, M. le comte de Clermont-Tonnerre, lieutenant général, prince de Soubise et duc d’Aumont, maréchaux de camp. La tranchée fut relevée par quatre bataillons du régiment de Normandie, trois de la Couronne et un du Hainaut.

L’ouvrage de la nuit du 3 à 4 a été poussé par deux zigzags en avant. Sur les 4 heures du matin, les ennemis ont voulu faire une sortie, mais ils ont été repoussés vigoureusement jusque sur le glacis, avec une perte de 34 hommes et un officier, sans compter les blessés que l’on ne sait pas.

A 9 heures, toutes nos batteries, au nombre de 58 bouches à feu, ont été en état de tirer ; on s’en promet pour le lendemain 40 d’augmentation. Il y a eu une trentaine de nos soldats, tant tués que blessés.

A 2 heures après-midi, M. le duc de Gramont, lieutenant général, comtes de Logny et d’Aguesseau, maréchaux de camp. La tranchée fut relevée par trois bataillons du régiment de Crillon, un d’Aubeterre, un d’Angoumois, un de Hainaut, un du Soissonnais et un de Diesbach suisses.

Les nuits du 4 au 5 et du 5 au 6, les tranchées ont été relevées toujours par huit bataillons sous les ordres de MM. Le duc de Gramont et comte de Bavière, lieutenants généraux, et les brigades d’ingénieurs de Biscourt et de Doyré.

L’on a continué les zigzags du centre et de la gauche, et l’on s’est approché jusqu’au pied des glacis de la capitale de la demi-lune de l’ouvrage à cornes de Sept-Fontaines ; l’on a prolongé aussi celui de la droite de trois zigzags. Le feu des ennemis a été à l’ordinaire assez vif, sans cependant que nous ayons eu que quelques hommes de tués, tant aux travailleurs que dans les tranchées. L’artillerie, qui tire depuis le 4 à midi, en a fort imposé à celle des assiégés ; ils travaillent la nuit à rétablir ce que notre canon leur a dérangé.

M. le maréchal de Saxe, qui est toujours dans l’intention d’aller au-devant des ennemis, au cas qu’ils voulussent s’approcher de son camp, visita hier les différents terrains les plus avantageux et fut jusqu’à une demi-lieue de Leuze ; il ne s’est point encore déclaré sur celui qu’il prendra.

La nuit du 6 au 7, la tranchée a été relevée par huit bataillons ; la brigade d’ingénieurs de Courdeumer aux ordres de M. de Montesson, lieutenant général.

L’on a fait la dernière parallèle ; le feu des ennemis dura depuis 8 heures du soir jusqu’à 9 heures du matin ; nous y avons eu 60 hommes tant tués que blessés, un capitaine de Piémont de tué et un ingénieur de blessé appelé Chaville, 6 sapeurs de tués et 30 soldats. Je fus enterré jusqu’au genou et couvert de terre.

Les ennemis firent jouer le 7 au matin trois fougasses sur les trois angles saillants du chemin couvert, mais qui, heureusement, ne nous firent pas grand mal, nos troupes n’étant pas assez avancés pour sauter et leurs grenades étant restées dedans l’entonnoir sans prendre feu ; cela ne nous a pas empêché de construire deux cavaliers de tranchée, l’un à l’angle saillant de la demi-lune et l’autre à celui du demi-bastion droit de l’ouvrage à cornes de Sept-fontaines.

Une de leurs bombes tomba sur un petit dépôt de poudre et tua quelques hommes.

Hier, la brigade du régiment Dauphin eut ordre de joindre le petit camp de M. du Chayla, qui craignait d’être coupé par les ennemis qui arrivaient au secours de la place. S’ils approchent, on ne laissera que 25 bataillons pour continuer le siège, qui ne sera pas aussi court que nous le supposions, puisqu’il paraît qu’ils ont bonne envie de se défendre. Selon les apparences, l’attaque du chemin couvert ne se fera pas de vive force, puisque le projet de la nuit a été de construire encore des cavaliers de tranchées qui enfileront leur chemin de bonne grâce.

La nuit du 7 au 8, la tranchée a été relevée par huit bataillons, la brigade d’ingénieurs de Thierry aux ordres de M. le comte Danois, lieutenant général.

Les ennemis ont été un peu plus tranquilles cette nuit que la dernière ; ils ont cependant jeté beaucoup de grenades sans qu’elles nous aient fait grand tord, n’ayant eu que 8 hommes de tués et 20 de blessés.

L’on a perfectionné cette nuit le cavalier de tranchée à l’angle saillant de la demi-lune et l’on a prolongé la même parallèle de l’angle saillant de la demi-lune par deux zigzags.

La nuit du 8 au 9, la tranchée a été relevée par huit bataillons, la brigade d’ingénieurs de Desmazis, 900 travailleurs, huit brigades de sapeurs aux ordres de M. de Biron, lieutenant général. L’on a joint les cavaliers de tranchées par une communication et l’on en a fait une autre pour aller joindre l’angle saillant du demi-bastion gauche de l’ouvrage à cornes. L’on a aussi travaillé au logement du chemin couvert le long des faces droite et gauche de la demi-lune et du demi-bastion droit de l’ouvrage à cornes de Sept-Fontaines.

Cette nuit nous a coûté considérablement, les ennemis nous ayant accablés de leur feu de mousqueterie, de bombes, de grenades et de pierres. Il y a plus de 300 hommes tant tués que blessés, une compagnie de Grenadiers du régiment de Normandie presque anéantie par l’effet d’une fougasse ; leur colonel, M. le marquis de Talleyrand, MM. Desmazis et Dubrévil, Durmarchais, ingénieurs, ont été tués et M. Godelle, ingénieur, a eu le bras cassé au-dessous de l’épaule. Le 8 au matin, une de nos bombes tomba sur un magasin à poudre de la citadelle et leur tua 500 à 600 hommes.

La nuit du 9 au 10, la tranchée a été relevée par huit bataillons, la brigade d’ingénieurs de Desnoyers, huit brigades de sapeurs, sous les ordres de M. de Contades, maréchal de camp ; les ennemis ont été plus tranquilles cette nuit que les précédentes, n’ayant perdu que 30 ou 33 hommes tant tués que blessés, un capitaine de milice de tué. L’on a perfectionné le logement de l’angle du chemin saillant du demi-bastion gauche de l’ouvrage à cornes, de sorte que nous sommes maîtres de presque tout le chemin couvert ; l’on a fait encore deux batteries de bombes et on commence à établir des batteries pour se battre en brèche, au moyen des cavaliers de tranchée, qui les ont absolument chassés ; il paraît cependant que si l’on avait attaqué de vive force, les ennemis n’y auraient pas tenu, puisque nos Grenadiers irlandais, qui étaient contre la palissade, eurent quelques paroles avec eux, qui les traitèrent de fous français, à quoi ceux-ci répondent qu’ils étaient des fromages de Hollande, et de propos délibéré, un d’eux sortit de la tranchée le sabre à la main, franchit la palissade, fut suivi de ses camarades et les chassèrent après en avoir tué une vingtaine et pris 30 prisonniers ; cela a donné occasion de travailler pendant cette action à se loger sur une partie du chemin couvert, mais comme nous ne nous attendions pas à un événement aussi singulier, nous n’avions pas les fascines nécessaires pour se loger entièrement ; ils prirent en outre une cinquantaine de leurs (illisible).

Les nuits du 10 au 11 et du 11 au 12 n’ont été relevées que par six bataillons seulement, une brigade d’ingénieurs de Biscourt et de Douré, sous les ordres de M. le comte de Bavière, maréchal de camp, ce qui a été cause que l’on n’a pas fait beaucoup d’ouvrages, la garde de la tranchée s’étant trouvée un peu trop faible pour fournir assez de travailleurs ; les batteries ont battu en brèche la nuit et le jour, de sorte que celle de la demi lune se trouve praticable ; les ennemis ont été assez tranquilles cette nuit  et nous n’avons perdu que très peu de monde.

La nuit du 12 au 13, la tranchée fut relevée par six bataillons, la brigade d’ingénieurs de Courdeumer, six de sapeurs, sous les ordres de M. le duc de Fitz-James, maréchal de camp ; l’on travailla à forces à s’y loger le long du chemin couvert et à faire le pont pour le passage du fossé de la demi-lune ; nous n’y avons eu que 30 hommes de blessés et 7 de tués.

La nuit du 13 au 14, la tranchée fut relevée par huit bataillons, la brigade d’ingénieurs de Thiéry, six de sapeurs, aux ordres de  M. le comte de Bérenger, lieutenant général ; l’on fit l’attaque de la demi-lune et on s’y logea sans beaucoup de peine, n’ayant que 20 hommes de tués et 10 de blessés.

La nuit du 14 au 15, la tranchée fut relevée par huit bataillons aux ordres de M. le duc de Boufflers, lieutenant général. La nuit s’est passée à perfectionner les descentes pour le passage des fossés de droite et de gauche de l’ouvrage à cornes ; les brèches sont praticables, et si les ponts sont faits aujourd’hui, on compte que nous en tenterons l’attaque. Il y a eu 3 mineurs de tués et 15 soldats tués ou blessés.

La nuit du 15 au 16, la tranchée fut relevée par huit bataillons, la brigade d’ingénieurs de Desnoyers, six de sapeurs, aux ordres de M. le comte de Clermont-Tonerre, lieutenant général ; l’on a travaillé à élargir le logement du chemin couvert et à perfectionner celui de la demi-lune, les ponts pour l’attaque de l’ouvrage à cornes sont faits malgré la grande quantité de bombes que les ennemis nous ont envoyées.

Nous avons 17 soldats de tués, 30 de blessés, et un ingénieur appelé Velard, tué ; l’on comptait demain faire l’attaque de l’ouvrage à cornes, mais la brèche de la gauche est retardée de deux jours, à cause que nos canons se fondent à force de tirer, comme à Philipsbourg ; il faut en établir d’autres, ce qui cause le retard.

Hier, à 8 heures du soir, les assiégés furent salués de plus de 800 coups de canons et de bombes, en proportion et en réjouissance de la grande bataille gagnée sur les Anglais.

Je ne vous en manderai aucun détail, parce que, vous devez le savoir, leur perte s’augmente de plus en plus, et le Roi dit hier à la tranchée que M. le duc de Cumberland, leur général, ne devait pas être de bonne humeur, ayant perdu dans cette bataille entre 14,000 et 15,000 hommes, tant tués que blessés, faits prisonniers et désertés, 43 pièces de canons de campagne que j’ai vues hier à la réjouissance et 3 mortiers sur pivot ; en outre, 500 caissons ou chariots dont on a jeté les munitions dans l’Escaut, pour s’en servir à mener nos blessés ; notre perte va bien de 4,000 à 5,000 hommes tant tués que blessés, dont 1500 tués. MM. Le duc de Gramont et Dubrocard, commandant l’artillerie, tués : gens de remarque.

La nuit du 16 au 17, la tranchée a été relevée par huit bataillons, la brigade d’ingénieurs de Desmazis, aux ordres de M. le duc de Richelieu, lieutenant général. On a élargi les deux communications à ciel ouvert pour les descentes des fossés ; on a perfectionné le pont de la gauche ; l’ardeur de M. le duc de Richelieu l’a porté, malgré de certaines gens, à tenter l’attaque de l’ouvrage à cornes avec quatre compagnies de grenadiers seulement, qui ont été repoussés avec perte de 20 hommes et de 3 officiers ; il y avait 1200 hommes retranchés dans cet ouvrage. On a remis l’attaque à la nuit du 17 au 18, qui se fera avec trente-deux compagnies de grenadiers.

La nuit du 17 au 18, la tranchée a été relevée par huit bataillons, trente-deux compagnies de grenadiers et seize piquets, la brigade d’ingénieurs de Biscourt, aux ordres de M. le prince de Pons, lieutenant général ; on a différé l’attaque de l’ouvrage à cornes au 18, à 8 heures du matin, parce qu’on était informé que c’était le temps que l’on retirait les troupes destinées à la garde de l’ouvrage à cornes, pendant la nuit, ce qui a assez bien réussi, puisqu’on les a surpris de façon qu’ils ne firent qu’une faible résistance ; nous n’avons pas laissé que d’y perdre 80 hommes, tant tués que blessés ; trois ingénieurs appelés Regemorte, dangereusement, La Chèze et de Clermont. La perte des ennemis se monte à plus de 300 hommes ; l’on a poussé le logement jusqu’au milieu de la courtine.

La nuit du 18 au 19, la tranchée a été relevée par huit bataillons, la brigade d’ingénieurs de Doyré, aux ordres de M. de Brézé, lieutenant général ; l’on a continué de sorte qu’il est perfectionné d’une branche à l’autre ; il y aura demain dans l’ouvrage deux batteries en état de tirer ; ils nous ont accablés de bombes et nous n’avons perdu que deux soldats.

La nuit du 19 au 20, la tranchée a été relevée par huit bataillons, la brigade d’ingénieurs de Courdeumer, aux ordres de M. le duc de Luxembourg, lieutenant général. L’on a débouché cette nuit par deux zigzags partant du centre de la courtine de l’ouvrage à cornes, pour embrasser toute sa demi-lune ; nous n’avons eu que 20 soldats, tant tués que blessés, un capitaine de Piémont, appelé M. de Saint-Laurent, tué, et un ingénieur, appelé Damoiseau, blessé.

La nuit du 20 au 21, la tranchée a été relevée par huit bataillons, la brigade d’ingénieurs de Thierry, aux ordres de M. le duc de Penthièvre, lieutenant général ; l’on a fait une communication des deux zigzags et l’on a embrassé tout le chemin couvert de la demi-lune de l’ouvrage à cornes ; il y a eu 30 soldats tant tués que blessés et trois ingénieurs appelés Gérand, Mazin et Lescouet. M. Godelle, ingénieur, est mort de sa blessure. M. de La Devèze, volontaire ingénieur, a eu la jambe cassée.

La nuit du 21 au 22, la tranchée a été relevée par huit bataillons, la brigade d’ingénieurs de Biscourt, aux ordres de M. le comte d’Eu, lieutenant général ; à 6 heures du soir, les ennemis ont arboré le drapeau blanc.

 

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