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SHAT
Repris dans COLIN : Les campagnes du maréchal de saxe, vol. 3, p. 452-458

 

Journal du siège de la citadelle de Tournay, du 20 mai au 20 juin 1745.

Du camp sous Tournay, 30 mai 1745.

Il ne s’est rien passé de considérable depuis la capitulation de la ville. Les ennemis se sont retirés dans la citadelle avec tous leurs canons, beaucoup de munitions de bouche, au nombre de six mille, où ils seront sans doute bien resserrés, n’y ayant point un bâtiment sur pied depuis le saut du magasin à poudre.

Ils ont travaillé à force pendant la trêve à se blinder dans les fossés où ils sont campés en partie, et ils ont établi sur le front de tout l’ouvrage à cornes Saint-Martin une batterie de 33 pièces de canons, et il paraît que nous n’avons pas envie de leur répondre en même monnaie, car nous n’en livrerons pas un.

Nous avons aussi travaillé de notre côté à faire sept batteries de bombes de dix mortiers chacune qui entourent la citadelle avec des communications pour les soutenir en cas de sorties.

31 mai 1745.

Aujourd’hui est arrivé le courrier des États-Généraux, avec des demandes au Roi au sujet de la citadelle. Je ne les accorderai point apparemment, puisque la paix cesse, et on tirera ce soir de toutes nos bombes. Selon les apparences, ils seront faits prisonniers de guerre s’ils s’obstinent.

La nuit du 1er au 2 juin, deux bataillons du régiment des Gardes françaises, douze compagnies de grenadiers auxiliaires et huit piquets, la brigade d’ingénieurs de Doyré, et deux brigades de sapeurs, aux ordres de M. le comte de La Marck, maréchal de camp. La tranchée a été ouverte devant la citadelle en forme.

On a débouché une marche de zigzags à la traverse dans le fossé de la communication droit de la citadelle, cheminant en avant dans ledit fossé, et l’on s’est appuyé à la dernière tour de la vielle enceinte ; l’on a débouché en sape une demi-parallèle de 50 toises de longueur, au saillant de la place d’armes, dans le rentrant de la branche gauche de l’ouvrage à cornes Saint-Martin.

L’on a débouché un parallèle de 400 toises de longueur au saillant de la demi-lune de l’ouvrage à cornes de Saint-Martin ; il y a eu 40 hommes tant tués que blessés, un capitaine de Normandie a été tué.

La nuit du 2 au 3, la tranchée a été relevée par deux bataillons, douze compagnies de grenadiers, huit piquets, la brigade d’ingénieurs de Courdeumer, deux des sapeurs, et une des mineurs, aux ordres de M. le marquis de Contades, maréchal de camp ; l’on a fait une redoute de 15 toises de fossé, à l’extrémité de la grande parallèle ; l’on a fait un retour de zigzags de 54 toises à la tête du cheminement dans le fossé, fossé de la communication droite de la citadelle. Le feu des ennemis s’est soutenu, mais nous n’avons eu que 7 soldats de tués et ç de blessés. M. de Panet, officier d’artillerie et un capitaine de grenadiers royaux ont été tués. M. de Courdeumer, ingénieur, a été blessé au bras, d’une bombe.

M. le maréchal de Saxe a changé d’avis et s’est enfin résolu à faire établir des batteries de canon pour les battre et ruiner leur feu qui est fort insolent.

L’on a travaillé à force pendant la journée du 3 à établir des batteries de canons de tout côtés dans la grande parallèle, et on espère que le 3 au matin il y aura 54 pièces de 24 et 33 en état de tirer. Les mineurs se sont enfoncés dedans la contrescarpe du fossé, et profitent d’une galerie que les ennemis avaient déjà commencée.

La nuit du 3 au 4, la tranchée a été relevée par deux bataillons, douze compagnies de grenadiers, huit piquets, deux brigades de mineurs aux ordres de M. de Graville, maréchal de camp.

L’on a perfectionné l’ouvrage de la veille ; le feu des ennemis a été plus lent, à l’exception des bombes qui vont grand train de part et d’autre.

Sur les minuit, ils ont cessé de tirer pendant une demi-heure, et après, ont fait une sortie sur la tranchée, comme on s’y attendait depuis le premier jour. Notre garde était toujours prête à les recevoir ; on les a laissés venir presque sur les parapets des tranchées, on leur a fait un feu si prodigieux qu’ils ont été obligés de se retirer en grande confusion ; nous n’avons eu, toute la nuit, que 11 soldats tant tués que blessés.

Le 4 à midi, les ennemis ont rappelé pour demander une trêve, pour retirer leurs morts et leurs blessés, que l’on a comptés au nombre de 144 ; on croit que le gouverneur a envie d’en faire souvent pour tâcher de se défaire du superflu de la garnison qui l’embarrasse beaucoup ; mais le soldat, au rapport d’un déserteur, commence à se rebuter et il voit bien qu’on le mène à la boucherie.

MM. de Regemorte et de La Devèze, ingénieurs, sont morts de leurs blessures.

La nuit du 4 au 5, la tranchée a été relevée par quatre bataillons, douze compagnies de grenadiers, la brigade d’ingénieurs de Thierry, deux brigades de mineurs aux ordres de M. le marquis de Sourches, maréchal de camp ; l’on a perfectionné la redoute et fait des boyaux derrière les batteries pour les soutenir. Le feu des ennemis a été assez vif : il y a eu 5 soldats de tués et 7 de blessés. M. de La Tessonnière, officier des mineurs, a eu le bras cassé, et M. de Mirabel, ingénieur, a eu le gras du menton emporté d’un coup de (mot manquant).

Nos batteries des bombes sont augmentées de 26 mortiers, de sorte que ce matin, il y avait 134 bouches à feu qui tiraient, en comptant 38 pièces de canon, ce qui nous fait espérer que l’on en imposera bientôt à leur feu ; l’on doit encore établir des batteries de canon.

Nos mineurs avancent beaucoup et commencent à entendre ceux des ennemis qui travaillent de leur côté ; ainsi, avant peu, il y aura du tapage. M. le duc d’Olonne, M. Dalau, aide-major général, et sept officiers ont été blessés.

La nuit du 5 au 6, la tranchée a été relevée par quatre bataillons, douze compagnies de grenadiers, huit piquets de brigades de mineurs, deux de sapeurs, aux ordres de M. d’Armentières, maréchal de camp.

L’on a poussé deux zigzags en avant, dans le fossé de la communication droite de la citadelle, à la porte Saint-Martin ; le feu des ennemis a été considérable ; il y a eu 8 soldats de tués et 26 de blessés. M. Langlois, officier du Royal-Artillerie, bataillon de Richecourt, et un lieutenant du régiment de Beauvoisis ont été blessés ; l’on compte que notre mine pourra jouer ce soir.

La nuit du 6 au 7, la tranchée a été relevée par quatre bataillons, douze compagnies de grenadiers, huit piquets, la brigade d’ingénieurs de Desnoyers, deux de mineurs et deux de sapeurs, aux ordres de M. le duc de Chevreuse, maréchal de camp ; à 9 heures du soir, notre mine a joué sur la contrescarpe du fossé de la communication de la citadelle à la porte Saint-Martin ; elle a fait l’effet que l’on en attendait ; on s’est logé tout de suite sur son entonnoir ; le feu des ennemis a été très considérable, mais il n’y a eu qu’un soldat de tué et 7 de blessés.

La nuit du 7 au 8, la tranchée a été relevée par six bataillons, douze compagnies de grenadiers, huit piquets, douze brigades de sapeurs et deux de mineurs, aux ordres de M. de Rubempré, maréchal de camp ; l’on a poussé deux zigzags en avant du logement dans l’entonnoir, et un avant dans le cheminement du fossé ; le dernier zigzag devant l’entonnoir, par son feu plongeant, a obligé l’ennemi à abandonner une traverse qu’il a dans le fossé. Les mineurs continuent de fouiller en avant pour pouvoir établir une batterie en sûreté, pour battre en brèche.

Sur les 1 heure, les ennemis ont fait une sortie dans le fossé de communication à la porte Saint-Martin, qui a été le second effet de la première ; nous n’y avons perdu qu’un soldat de Touraine. Une heure après, on leur a accordé une trêve pour ramasser leurs morts, qui se montaient à 23, et 6 blessés qui n’avaient pu regagner leurs camarades ; il y a eu, dans cette nouvelle tranchée, 3 hommes de tués et 8 de blessés.

La nuit du 8 au 9, la tranchée a été relevée par six bataillons, douze compagnies de grenadiers, huit piquets, ½ brigade d’ingénieurs de Biscourt, deux de mineurs, aux ordres de M. le duc d’Aumont, maréchal de camp.

L’on a perfectionné les ouvrages de la veille ; l’on a établi une batterie de canon près du zigzag pour battre, et un autre de même près de l’angle rentrant du chemin couvert de la brèche, enfilera le fossé de communication de la ville à la citadelle et obligera l’ennemi à abandonner la caponnière qu’il y occupe ; il y a eu une trentaine de soldats tant tués que blessés. M. de Kervasegan, officier d’artillerie, à été blessé ; notre artillerie a pris entièrement le dessus sur celle des ennemis.

La nuit du 9 au 10, la tranchée a été relevée par six bataillons, douze compagnies de grenadiers, huit piquets, aux ordres de M. le prince de Soubise, maréchal de camp ; l’on a fait sauter, à l’entrée de la nuit, une partie de la contrescarpe, pour pouvoir communiquer de nos boyaux du fossé à ceux du chemin couvert ; cette communication a été très prompte et bien, en sorte que les deux zigzags que l’on a faits la nuit dernière de la contrescarpe se communiquent. L’on a poussé, du milieu du zigzag qui fut fait hier dans le chemin couvert, deux autres, le premier tirant vers la droite du côté des palissades, et l’autre par son retour vers la contrescarpe où l’on établira une batterie de six petits mortiers pour inquiéter l’ennemi dans son chemin couvert. Son feu a été très vif, nous ayant de tués ou blessés 35 soldats.

La nuit du 10 au 11, la tranchée a été relevée par six bataillons, douze compagnies de grenadiers, huit piquets, la brigade d’ingénieurs de Marolles, aux ordres de M. le duc de Chaulnes, maréchal de camp ; l’on a prolongé la demi-parallèle de l’angle rentrant de la place de 60 toises de longueur, et l’on a fait un retour de 75 toises de longueur, pour aller joindre le saillant du chemin couvert du fossé de communication ; il y a eu 30 hommes environ tués ou blessés. M. de Morets, ingénieur, a eu la jambe fracassées ; M. de La Tessonnière, officier de mineurs, est mort de sa blessure.

La nuit du 11 au 12, la tranchée a été relevée par six bataillons, douze compagnies de grenadiers, huit piquets, la brigade d’ingénieurs de Doyré, aux ordres de milord Fitz-James, maréchal de camp ; l’on fait une seconde demi-parallèle perpendiculaire de la place d’armes au saillant du chemin couvert du fossé de communication de la citadelle.

On compte y placer deux batteries de canon, mais auparavant on y fera trois puits pour pouvoir fouailler de droite et de gauche pour leur sûreté, sautelant très près de leur galerie majeure ; il y a eu 23 hommes tant tués que blessés. M. des Bergeries, ingénieur, a été blessé à la cuisse d’un éclat de bombe.

La nuit du 12 au 13, la tranchée a été relevée par six bataillons, douze compagnies de grenadiers, huit piquets, aux ordres de milord le duc de Fitz-James, maréchal de camp ; l’on a perfectionné les ouvrages de la veille. Les ennemis nous inquiètent toujours beaucoup par les bombes et nous ont encore tué ou blessé une vingtaine d’hommes ; il y a eu deux officiers du régiment Royal blessés.

La nuit du 13 au 14, la tranchée a été relevée par six bataillons, douze compagnies de grenadiers, huit piquets, la brigade d’ingénieurs de Courdoumer, aux ordres de M. Mézières, maréchal de camp. L’on a fait deux zigzags en avant dans le fossé et l’on s’est approché à 7 toises de la caponnière que les ennemis occupent, de sorte que l’on pourrait se jeter des pierres avec la main les uns aux autres ; mais ils se précautionnent plus que nous, car ils se sont couverts avec des sacs à laine.

L’on a aussi fait en haut, dessus le chemin couvert, deux zigzags qui joindront la nuit prochaine les deux du fossé ; le feu des ennemis a été très vif, nous ayant encore tué ou blessé 34 hommes ; il leur a encore sauté cette nuit un dépôt considérable de poudre.

La nuit du 14 au 15, la tranchée a été relevée par six bataillons, douze compagnies de grenadiers, huit piquets aux ordres de M. le duc de Duras. Les ennemis nous ont prévenus et nous ont fort utilement fait sauter la contrescarpe ; il est vrai qu’ils se sont trompés dans leur calcul, croyant que nous étions dessus ; on a fait la communication, par ce moyen, de l’ouvrage de la nuit dernière, et on espère les obliger, par ce logement, à abandonner leur caponnière ; la brèche au bastion de la citadelle va grand train et on espère que dans deux jours elle sera praticable ; il serait prudent aux ennemis d’arborer leur drapeau plus tôt que plus tard, car dès qu’elle sera faite, il ne sera peut-être plus temps, puisque l’on croit que le projet du maréchal de Saxe est d’y donner l’assaut général et de les passer au fit de l’épée s’ils s’obstinent davantage : il est vrai que si nous patientions, on perdrait autant de monde par leur feu que par l’assaut ; le soldat ne demande qu’à le donner plutôt que de le faire languir de l’envoyer dans les tranchées.

La nuit du 15 au 16, la tranchée a été relevée par six bataillons, douze compagnies de grenadiers, huit piquets, la brigade d’ingénieurs de Thierry, aux ordres de M. de Muy, maréchal de camp ; on a perfectionné l’ouvrage de la veille, le feu des ennemis s’est un peu ralenti, n’y ayant eu que 7 hommes tant tués que blessés. Le 16, sur les 10 heures du matin, les ennemis ont fait jouer une mine à cinq ou six pas en avant de notre dernier zigzag sur le chemin couvert ; il (sic) n’a fait aucun effet et n’a renversé que quelques gabions, soit que les poudres aient soufflé dans les terres ou que le fourneau ait été mal chargé ; on n’a vu que quelques crevasses dans la terre. Il n’y avait dans ce moment que trois ou quatre grenadiers et deux ingénieurs qui ont sauté environ 3 ou 5 pieds de hauteur sans se faire aucun mal.

La nuit du 16 au 17, la tranchée a été relevée par six bataillons, douze compagnies de grenadiers, huit piquets, aux ordres de M. d’Anlezy, maréchal de camp ; à 10 h. 30 du soir, les ennemis ont fait jouer une mine qui a fait un autre effet que la précédente, ayant joué plus près de la contrescarpe, et comblé le dernier zigzag que l’on avait fait la nuit du 13 au 14 dans le fossé ; il y a eu 3 mineurs et 8 servants, travailleurs du régiment de Traisnel, enterrés dans la mine que nous avions commencée pour les éventer. On s’est logé tout de suite sur la partie de la contrescarpe qu’ils ont fait sauter ; leur feu de mousqueterie et de bombes nous a tué ou blessé, dans la nuit, 19 soldats.

La brèche au bastion de la citadelle devient praticable.

M. de Morets, ingénieur, est mort de sa blessure.

La nuit du 17 au 18, la tranchée a été relevée par six bataillons, douze compagnies de grenadiers, huit piquets, aux ordres de M. de Sourches, maréchal de camp ; on a fait un nouveau zigzag dans le fossé pour tâcher de s’approcher près de la caponnière que les ennemis n’ont point abandonnée. Il y a eu dans la nuit 7 hommes tant tués que blessés. M. de Villier, commissaire des guerres, ayant voulu aller voir la tranchée par curiosité, à l'entrée de la nuit, a été tué d'un éclat de bombe.

Le 18, sur les 9 h. 30 du matin, les ennemis ont encore fait jouer deux mines toutes à la fois, l’une sur la contrescarpe et l’autre sur l’escarpe, en avant de leur caponnière, environ 3 toises, qu’ils ont entièrement abandonnées. Il y a eu 15 grenadiers tués et 24 de blessés ; un officier du régiment de Dauphin a été blessé.

La nuit du 18 au 19, la tranchée a été relevée par six bataillons, douze compagnies de grenadiers, huit piquets, la brigade d’ingénieurs de Desnoyers, aux ordres de M. le comte de Rosen, maréchal de camp. On a couronné le logement sur la caponnière pour pouvoir faire un puits pour percer leur galerie majeure.

Le 19 au matin, les ennemis ont encore fait jouer une mine sous le logement de la caponnière ; il n’y a eu heureusement que quatre hommes d’enlevés.

La nuit du 19 au 20, la tranchée a été relevée par six bataillons, douze compagnies de grenadiers, huit piquets, la brigade d’ingénieurs de Biscourt, aux ordres de milord duc de Fitz-James, maréchal de camp. Sur les 4 heures du soir, les ennemis ont jeté trois bombes consécutives, et la troisième n'était pas encore tombée qu’ils ont arboré le drapeau blanc sur la brèche.

Le 20, la capitulation a été réglée et les ennemis sortirent le 24, avec les honneurs de la guerre, quatre pièces de canon et un obus : ils ne pourront servir de 18 mois et un jour en aucune façon, pas même de garnison en Hollande ; ils seront obligés de rester dans le plat pays ; ils resteront, avant de partir, tous campés sur l’esplanade, entre la citadelle et la ville, pour arranger leurs affaires, après quoi on les escortera jusqu’à Oudenarde.

De 8000 hommes qu’ils étaient au commencement du siège, ils ne sont plus en état de servir que 3000 ; nous n’avons pas perdu tant qu’eux à beaucoup près.

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