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Source :
Campagne de Monsieur le Maréchal Duc de Noailles en Allemagne, l’an 1743
; Amsterdam, 1755 ; p. 242-253
Mr. de Noailles au Roi.
Sire,
Tout nous annonçoit hier matin une heureufe Journée ; les Ennemis forcés par le défaut de Subfiftances, où nôtre Pofition les avoit réduit, décampèrent la nuit du 26 au 27. On vint m’en avertir à une heure après minuit ; je montai fur le champ à Cheval, & donnai Ordre que toutes les Troupes fe tinffent prêtes à marcher ; je côtoyai les Bords du Mein, pour examiner les Mouvemens des Ennemis ; j’appercûs évidemment qu’ils étoient en pleine Marche fur deux Colonnes, & qu’ils prenoient le chemin de Hanau, en fe fervant d’une Route qu’ils avoient ouverte à travers des Bois fur la pente de la Montagne.
Je me rendis enfuite à Seligenftatt, où je fis paffer, fur les deux Ponts que j’y avois fait établir, trois Brigades d’Infanterie, qui étoient campées près de cette Ville, qui fûrent bientôt jointes par celle des Gardes & celle de noailles, auxquelles j’avois envoyé Ordre de marcher.
Les deux Brigades de Cavalerie, compofant l’Aîle gauche de la feconde Ligne de Cavalerie, au nombre de 12 Escadrons, avec les 11 de Dragons, & environ 6 de Huffards, pafférent par les Gués, que j’avois fait reconnoître.
J’envoyai ordre, en même tems, qu’on mafquât le Paffage d’Afchaffembourg, & qu’on f’en rendit Maître dans l’inftant que les Ennemis l’auroient évacué, afin d’être en état de leur donner de la jalousie par leurs derriéres.
Je formai d’abord une première Difposition pour les Troupes qui avoient paffé le Mein ; je plaçai une Brigade d’Infanterie dans le Village de Gros-Weltzheim, appuyé au Mein, qui fermoit ma droite ; la gauche étoit appuyée à un Bois, & la Cavalerie dans le Centre.
Par cette Pofition, la Plaine fe trouvoit fermée ; je laiffai des Officiers Généraux pour placer les Troupes, auxquelles j’envoyai ordre de marcher , fuivant cette Difposition, à mefure qu’elles arriveroient.
Je repaffai de l’autre côté du Mein, au Gué, pour reconnoître, par moi-même, les Manoeuvres des Ennemis fur leur Flanc, & y donner des ordres à la plus grande partie des Troupes qui s’y trouvoient encore ; je vis que les Ennemis començoient à fe developper & à fe former ; on vint me dire, en même tems, que le Village de Dettingen, fitué fur le Mein, à une grande lieuë de celui de Gros-Weltzheim, étoit abandonné, & j’envoyai ordre qu’on le fit occuper, afin de ne point laiffer aux Ennemis la facilité de s’en emparer de nouveau.
J’étois encore au-delà du Mein que je vis que les Troupes, au lieu d’occuper le Village de Dettingen, débouchoient au-delà ; je m’y rendis le plus promptement qu’il me fût poffible ; je trouvai en arrivant cinq Brigades d’Infanterie, de la Cavalerie & des Dragons, qui avoient déjà paffé le Défilé, attendu qu’il règnoit, depuis ce Village jufqu’à la Montagne, un Marais, traverfé par un petit Ruiffeau, qui à l’entrée du Village forme un Ravin, fur lequel il n’y a qu’un feul Pont ; cette démarche trop audacieufe, & qui ne partoit que d’une trop grande volonté, eft caufe que nous n’avons pas eû le fuccès que nous pouvions nous promettre.
Je fûs donc obligé de changer mes premiéres Difpofitions, & d’en faire fur le champ de nouvelles ; les Ennemis fe trouvant en Bataille fort à portée de nous, je n’eûs pas tout le tems néceffaie pour reconnoître les Bois & les Montagnes qui étoient à la gauche de la Ligne, & qui y formoient un Coude, en fe rapprochant vers le Mein, ce qui donnoit entièrement, aux Ennemis, l’avantage de la fituation fur nous.
On s’avança donc dans cette pofition aux Ennemis ; l’ordre fût donné de les laiffer tirer les premiers, & de s’avancer enfuite fur eux ; mais leur première Décharge, qui fut très vive, mit un très grand desordre parmi nos Troupes, dans lesquelles, comme V. M. le fçait, il y a un grand nombre de Milices & de Recruës ; les Troupes fe font ralliées trois fois, ont chargé les Ennemis, fans les avoir rompus, parcequ’ils étoient fur plufieurs Lignes les uns fur les autres, & que toute leur Armée y étoit, au lieu d’une fimple Arriére-Garde fur laquelle on comptoit ; voyant enfin qu’il y avoit trop d’inégalité, par l’avantage de leur pofition, & que nos Toupes commençoient à fe rebuter, ainsi que tout le monde en jugea, & me le repréfenta, je les fis retirer, ce qui fut exécuté en préfence des Ennemis ; on les remis en Bataille au-delà du Village et du Marais, d’où elles font revenuës repaffer le Mein, l’Infanterie fur les Ponts, & la Cavalerie aux Gués, pour reprendre leur premier Camp, fans qu’elles ayent été fuivies dans leur Retraite.
Cette Action, qui eft plutôt un Combat de notre part, qu’une Bataille, a été très vive ; on n’exagerera point quand on dira à V. M. que les plus vieux Officiers n’ont jamais vû un feu fi confidérable ni fi fuivi, ce que part malheur nous ne connoiffons point dans les Troupes de V. M. ; il n’y a qu’une partie des Troupes qui ait donné ; je crois la perte plus grande du côté des Ennemis, que du nôtre, par l’effet de notre Artillerie, qui a ététrès bien fervie, les ordres & les foins de Mr. de la Valliere ayant été extrêmement bien fecondés ; on la fait monter, fuivant les rapports que je n’ai pas eû, aux environs de 5000 hommes tant tués que bleffés, & la nôtre ne va guéres, autant que l’on en peut juger, fuivant les premiers Etats qui m’ont été donnés, qu’autour de 2000 tant tués que bleffés, & ces premiers Etats font toûjours plus forts qu’ils ne doivent l’être, parcequ’on y met toûjours le non-complet, tout ce qui s’eft difperfé, qui ne fe retrouve pas dans les premiers momens.
Il y a un grand nombre d’Officiers tués, ou bleffés, dont je fuis faché, & plufieurs de marque.
Mr. le Duc de Rochechoüart, après avoir été bleffé, n’a pas voulu fe retirer, & a été tué ; on ne peut affez loüer fon courage, & fa grande volonté.
Mr. le Marquis de Fleury a été également tué, Mr. le Cte d’Eu eft bleffé légèrement au pied, Mr. le Duc d’Harcourt eft bleffé confidérablement au défaut de la Cuiraffe, M ; le Cte. De Beuvron bleffé legèrement au bras, M. le Marquis de Gontaut plus confidérablement au même endroit, Mr. le Duc de Boufflers légèrement au pied, Mr. de la Mothe-Houdancourt a eû fon Cheval tué fous lui, & a été froiffé par les Chevaux, mais fans aucune bleffure.
Le Duc d’Ayen a été dans le même cas, mais beaucoup plus mal traité, fur-tout à la tête ; j’efpére cependant qu’il n’y a pas de danger ; il a été faigné cinq fois depuis hier ; il y a outre cela beaucoup d’Officiers de la Maison de V. M. tués ou bleffés ; Mrs. De Cherifey & de St. André le font legèement.
J’ai ordonné qu’on fit la Lifte de tous les Officiers tués ou bleffés des différens Corps et V. M. la recevra inceffamment.
On nous affûre que, du côté des Ennemis, Mr. le Duc de Cumberland eft très dangeureufement bleffé, & on parle auffi de Mr. le Duc d’Aremberg.
Je ne connois, aux Ennemis, d’autre Avantage, que d’être refté, pendant la nuit, fur le Champ de bataille, dont on s’eft retiré, & faute de Chariots on n’a pû enlever quelques bleffés, qui font reftés dans les Villages de Dettingen & de Gros-Weltzheim.
Nous avons pris quelques Etendards au milieu de leur rang, & l’on me rapporte auffi qu’ils en ont quelques-uns des nôtres ; toute nôtre Artillerie eft revenuë, & nous avons emmené un de leurs Canon, qui a été pris par le Régiment d’Auvergne, dont on ne peut dire affez de bien à V. M. Nous fommes toûjours Maîtres d’Afchaffenbourg, où étoit leur Quartier Généra, & j’ai fait occuper, fur le bas Mein, le Pofte de Steinheim ; ainfi toutes nos premiéres Difpofitions fubfiftent comme avant le Combat.
J’ajouterai à V. M. que les Ennemis, après avoir paffé fimplement la nuit fur le Champ de Bataille, ont continué leur Marche vers Hanau, & j’ai nouvelle qu’ils ont paffé la Riviére de Kimtzig, près de Hanau, dont les Bords font affez efcarpés, ce qui forme un bon Pofte ; ils ont laiffé, en fe retirant, quelques-uns de leurs bleffés fur le Champ de Bataille, & une plus grande partie dans les deux Villages, que nous avions d’abord occupés, où je viens d’envoyer une Garde, qu’ils m’ont demandée, tant pour la fireté des leurs que des nôtres.
Je ne puis me difpenfer de vous dire, Sire, combien Mr. le Duc de Chartres s’eft diftingué hier, s’étant toûjours trouvé dans le plus grand chaud de l’Action, ralliant fes Troupes, les ramenant lui-même au Combat, avec un courage, une préfence d’Efprit, & un zèle, que je ne puis trop louër ni trop admirer.
Mr. le Comte de Clermont, Mr le Prince de Dombes, & Mr. le Comte d’Eu ont fait, à la tête de leurs Divifions, tout ce que l’on peut attendre du plus grand courage, & de la plus grande volonté.
Quoique je puiffe être fufpect fur ce qui regarde Mr. le duc de Penthièvre, je fupplie V. M. de croire que je n’ajouterai à la plus exacte vérité ; il s’eft trouvé hier dans le feu le pllus vif, & plifieurs fois dans la êlée, avec le même fang froid & la même tranquilité que V. M. lui connoit.
Après vous avoir parlé, Sire, des Princes & de ceux qui ont été bleffé, je dopis rendre juftice à ceux des Officiers Généraux ; Mrs de Montal, dde Balincourt, Bulckley, Duc de Grammont, Ségur, Puttanges, & Duc de Biron ; Entre les Maréchaux de Camp, Mrs. Les Ducs de Richelieu & e Luxembourg, Berchiny, d’Apcher, Duc de Boufflers, & Duc de Chevreufe, Prince de Soubife, & Duc de Pequigny ; ils ont tous fait de leur mieux pour ranimes les Troupes, & les exciter à faire leur devoir. Je ne parle point des Officiers Généraux, qui font attachés à des Corps particuliers, & qui ont marché avec eux.
Entre les Brigadiers, je ne fçaurois dire trop de bien de Mrs. Le Duc de duras, Comte de Lorge, le Prince de Tingry, & le Prince de Talmont, qui font ceux que j’ai vû le plus à portée de moi. Il n’a pas tenu à leurs foins & aux bons exemples qu’ils donnoient, que les Troupes de V. M. n’ayent remporté une pleine Victoire.
Si le Duc d’Aylen & le Comte de Noailles n’étoient pas mes Enfants, j’en pourrois parler à V. M. Mais j’en laiffe le foin à ceux qui ont été témoins de leur conduite.
Il y a plufieurs autres Officiers que je ne me rappelle pas dans ce moment, mais dont j’aurais l’honneur de rendre Compte à V. M., ainfi que des Corps qui on le mieux fait.
Je ne dois pas oublier, Sire, de vous parler des trois Etats Majors de l’Armée, dont j’ai tout lieu d’être fatisfait ; le Maréchal Général des Logis de l’Armée s’eft fort diftingué avec fes Aides, auffi bien que le Major Général, & le Maréchal des Logis de la Cavalerie & leurs Aides ; ils fe font prtés par tout avec activité & courage, & ont beaucoup contribué au ralliement des Troupes, & au bon ordre de la Retraite. Mr. De Puifégur étoit à la tête de fon Régiment, où il a très bien fait.
C’eft à la feule Difcipline des Ennemis, à la fubordination des Officiers, & à l’obéiffance au Commandement, qu’on doit attribuer les Manoeuvres qu’ils ont faites hier, & c’eft avec douleur que je fuis obligé de dire à V. M., que c’eft ce qu’on ne connoit point dans fes Troupes, & que fi l’on ne travaille pas, avec l’attentionla plus férieufe & la plusq fuivie, à y remédier, les Troupes de V. M. tomberont dans la dernière décadance ; je n’aurois jamais pû croire, Sire, ce que j’ai vû hier ; Mais il me conviendroit peu d’en écrire d’avantage.
Cette Dépêche n’eft déjà que trop longue fur un auffi trifte fujet ; Mais avant que de la finir, Sire, ne dois-je pas vous rendre Compte des motifs & des raifons qui m’ont déterminé à chercher l’occafion de combattre les Ennemis.
La premiére de toutes pour moi, Sire, c’eft que votre V. M. le désiroit.
2. C’eft que l’occafion me paroiffoit favorable, puis qu’ils fe retiroient & que je les attaquois en Marche, qui et le tems où l’on eft le plus embaraffé pour faire des Difpofitions, à caufe des Bagages que l’on traine avec foi, au lieu que les Troupes de V. M. n’en ayant point, & ayant même laiffé leur Camp tendu, on étoit bien plus en état de manoeuvrer, & que d’ailleurs, en prenant ce parti, on étoit le maître de ne s’engager qu’autant qu’on le voudroit, & de fe retirer dès qu’on le jugeroit à propos, ainfi qu’on l’a fait.
3. J’ai crût devoir profiter de la Circonftance où les Troupes de Heffe, & les nouvelles Troupes que l’on fait venir d’Angleterre & de Hanovre, n’avoient point encore joint ; celles de Hesse & de Hanovre étant du côté de Hanau, qui devoient fe réunir avec les autres, 2 ou 3 jours après.
4. C’eft que dans la Conjoncture préfente, la Décadence des affaires de Baviere , après la Retraite de l’Armée de V. M. ne pouvoit être reparée que par quelque fuccès de ce côté-ci ; je n’ai pas été affez heureux pour y parvenir ; Mais au moins on ne m’accufera point de ne l’avoir pas tenté, ainfi que tout le monde paroiffoit le défirer, & je n’ai rien à me reprocher fur les foins, les précautions, & l’attention que mon zèle, & mon attachement pour le Service de V. M. m’infpireront toûjours, & je crois pouvoir me flatter que toute l’Armée me rendra cette juftice.
Je ne puis encore rien dire à V. M. fur les Mouvemens que fera fon Armée ; je me réglerai fur ceux des Ennemis, & fur ceux de l’Armée aux Ordres de Mr. le Maréchal de Broglie ; Mais en général je ne compte pas refter ici bien longtems.
Je fuis avec le plus entier devouëment & le plus profond refpect &c.
Au Camp de Seligenftatt du 29 Juin 1743.
P.S. En relifant la Lettre que j’ai l’honneur d’écrire à V. M. je remarque que je n’ai fait que nommer ceux qui ont été bleffé dans l’Acttion, fans rien dire de la maniére dont ils fe font diftingués ; Mais j’ai crû que cela feul fuffiroit pour faire leur éloge, & d’ailleurs V. M. connoit toute la volonté & le zèle de Mrs. D’Harcourt, de Beuvron, de Gontaut & des autres qui fe trouvent dans ce nombre ; & dont je ne puis dire affez de bien à V. M.
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