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Relation de ce qui s’est passé à la construction, attaque et défense des retranchements du village de Fontenoy
par le comte de La Vauguyon, commandant la brigade de Dauphin.

 

 

Les ennemis ayant pris la résolution de marcher au secours de Tournay et s’étant avancés jusqu’à Leuze, Sa Majesté prit celle de les combattre avec l’élite de son armée. La plaine qui domine le village de Fontenoy fut choisie pour y attendre l’ennemi.

Le 8, il plut à M. le Maréchal d’ordonner à la brigade de Dauphin, commandée par le comte de La Vauguyon, brigadier, de marcher au village de Fontenoy, s’y retrancher et fortifier.

Le comte de La Vauguyon y trouva le sieur Vaubrun, ingénieur, qui lui communiqua le projet qu’il avait formé pour la construction des retranchements que M. le Maréchal désirait, et ayant examiné sur-le-champ avec le comte de Choiseüil, colonel du régiment Dauphin, le terrain que ledit sieur de Vaubrun se proposait d’embrasser dans l’étendue des retranchements dont on lui avait donné la direction, il n’eut que des louanges à donner à l’intelligence et à la capacité dudit sieur de Vaubrun, et il fut ordonné aussitôt 450 travailleurs tirés des régiments de Dauphin et de Beauvoisis, lequel forme le 4e bataillon de la brigade et dont le comte de La Vauguyon est colonel, pour construire les retranchements.

Le comte de Choiseüil voulut bien se charger de poster lui-même les gardes ordonnées par le comte de La Vauguyon, tant pour la police intérieure que pour la sûreté contre l’ennemi.

La brigade fut campée en errière du village de Fontenoy ; on plaça une garde de 50 hommes en avant des dernières maisons dudit village, sur le chemin de celui de Vezon ; la deuxième garde fut placée sur la gauche et la troisième au village de Bourgeon, sur la droite.

Après ces premières mesures de sûreté pour le poste qu’on venait occuper, on s’appliqua avec tant de zèle et d’activité à la construction des retranchements, tant de la part des soldats que des officiers supérieurs, majors et particuliers, que malgré l’étendue du front et des flancs qu’on embrassait, qui formaient l’espace de plus de 800 toises de terrain, ils furent perfectionnés et rendus respectables en vingt heures de temps.

Le 9, Sa Majesté et Mgr le Dauphin, étant venu s’y promener, en parurent satisfaits, et M. le comte d’Argenson, après les avoir visités en dehors à la suite du Roi, se transporta encore dans les dedans, fit l’honneur de donner son approbation au travail immense qui avait été fait en si peu de temps et ne trouva rien à changer à nos dispositions.

A mesure que nos retranchements se formaient, les comtes de La Vauguyon et de Choiseüil et M. de Villeterque, major de la brigade, y plaçaient les troupes dans la disposition la plus convenable en cas d’attaque, et lorsqu’ils furent entièrement achevés par la perfection de ceux du cimetière et de l’église de Fontenoy, dans lequel furent placées les quatre compagnies de grenadiers, comme le poste le plus délicat et qui pouvait servir d’une protection respectable à la totalité des retranchements, et surtout au centre et à toute la partie de la droite, le comte de La Vauguyon donna l’ordre qui suit pour la nuit du 9 au 10 :

 

Disposition actuelle en cas d’attaque du 9 au 10.

Les troupes demeureront dans la disposition où elles sont actuellement jusqu’à nouvel ordre.

Il est défendu de tirer sans ordre positif, et que par le commandement des officiers de chaque division, sous peine de la vie.

Le comte de La Vauguyon, brigadier, se tiendra avec les grenadiers et ayant avec lui M. de Villeterque Quergonard, major de Beauvoisis, et Gabriel, aide-major du Dauphin, et M. de Malmédy, lieutenant-colonel du Dauphin.

M. le comte de Choiseüil se portera sur la droite et sur la gauche pour donner ses ordres.

M. du Rousset, lieutenant-colonel de Beauvoisis, commandera la partie de la gauche où est le régiment de Beauvoisis.

M. d’Alein, commandant du 2e bataillon Dauphin, restera à la place indiquée, avec la réserve, et se portera aux endroits attaqués, suivant les ordres prescrits.

M. de Saousq, aussi commandant de bataillon du Dauphin, commandera la partie de la droite.

MM. les officiers sont priés de rester toujours à leurs postes et de hâter la perfection de nos travaux, chacun dans sa partie, autant qu’il lui sera possible.

Il sera envoyé tout présentement, selon les ordres de M. le comte d’Estrées, un capitaine et 50 hommes pour renforcer le poste du Bourgeon, qui ne se retirera que par de nouveaux ordres ; en cas d’attaque imprévue, ils feront ferme, et feront avertir M. le comte de La Vauguyon.

La Tulippe, sergent de la compagnie Clermont au régiment Dauphin, est chargé, en cas d’attaque des forts avancés et lorsqu’ils se retireront, de brûler aussitôt les maisons marquées, au nombre de quatorze ; il doit avoir, pour cette expédition, des gens à son ordre et le nombre suffisant, avec des matières combustibles.

Les postes avancés, en cas d’attaque, se retireront par la droite et par la gauche.

Il sera mis ce soir, à l’entrée de la nuit, des petits postes dans les maisons situées vers la fourche du chemin creux qui conduit au village de Vezon, lesquels seront chargés de faire de fréquentes patrouilles en avant et d’en rendre compte.

 

MM. le duc d’Harcourt et le comte d’Estrées, lieutenant généraux, qui vinrent à nos retranchements le soir du 9, approuvèrent tout ce qui avait été ordonné par les comtes de La Vauguyon et de Choiseüil, et bientôt après l’armée du Roi commença de paraître et campa en cet ordre dans la plaine derrière le village de Fontenoy : la droite appuyée à Antoing, la gauche au bois de Barry, Fontenoy avec la brigade de Dauphin en avant du centre, et dont les retranchements protégeaient également le centre, la droite et la gauche de l’armée ; ce poste délicat et qui ne pouvait manquer d’être le principal objet de l’attaque de l’ennemi, fut envié à la brigade du Dauphin. Celles des Gardes et du Roi représentèrent qu’elles devaient y être placées. Le comte de La Vauguyon, au nom de toute la brigade du Dauphin, prit la liberté de faire représenter de son côté à M. le Maréchal, qu’ayant été choisi pour fortifier ledit village de Fontenoy, et s’étant acquitté avec autant de zèle et de promptitude d’un travail immense, il ne serait pas de sa justice d’en donner la défense à d’autres ;que d’ailleurs les dispositions étant faites et chaque officier et soldat connaissant parfaitement le poste qu’il venait de fortifier, il serait peut-être désavantageux d’y placer d’autres troupes. M. le Maréchal, toujours juste, eut la bonté de faire attention à nos raisons, et le poste demeura confié à notre défense.

Les ennemis vinrent camper le même jour au village de Vezon, directement opposé à celui de Fontenoy, et presque en présence de l’armée du Roi, leur droite appuyée au bois de Barry, le bois devant eux, leur gauche vers l’Escaut et pouvant déborder de quelques centaines de pas le village d’Antoing, leur centre au village de Vezon, directement opposé à celui de Fontenoy, et à un très petit demi-quart de lieue de distance. Par cette disposition le combat devait nécessairement commencer, ainsi qu’il est arrivé, par l’attaque de Fontenoy, et l’ennemi n’en pouvait espérer de succès qu’après nous y avoir forcés, soit qu’il voulût porter ses principales attaques vers la gauche, ou la droite de l’armée du Roi.

M. le comte de Chabannes, lieutenant général, dont la division se trouvait à la brigade de Dauphin, arriva vers les 5 heures du soir dans nos retranchements, nous trouva tous en bon état de défense et ne changea rien à nos dispositions, de même que le duc de Biron, qui était à la division de la brigade du Roi, campée derrière nos retranchements, avec ordre de nous soutenir.

Vers le déclin du jour, les généraux ennemis parurent avec quelques troupes, pour faire sans doute leurs dispositions pour le combat du lendemain, et ils firent marcher un corps au village du Bourgeon, dans lequel nous avions un poste de 100 hommes de la brigade ; les troupes de M. de Grassin, qui étaient en avant depuis plusieurs jours, s’y retirèrent peu d’heures avant ; on y fit ferme, et après plusieurs décharges sur l’ennemi, ce poste ayant paru peu important, il fut donné ordre, par quelques officiers généraux qui s’y étaient portés, de l’abandonner, ce qui fut exécuté sans confusion, en très bon ordre, en faisant toujours face à l’ennemi, et nos 100 hommes rentrèrent dans nos retranchements.

Pendant la nuit du 10 au 11, M. le Maréchal envoya six pièces de canon dont le comte de La Vauguyon fit la répartition, savoir : deux au centre, deux à la gauche et deux à la droite.

Le 11, à 1 heure de jour, les ennemis s’avancèrent en on ordre vers l’armée du Roi, s’étendant par le même mouvement vis-à-vis de notre gauche et de notre droite, en débouchant par le village de Vezon vers Fontenoy avec tous les grenadiers commandés par M. le prince de Waldeck, ils marchèrent pour former l’attaque de nos retranchements, couvrant dans leur marche plusieurs pièces de canon et plusieurs aubusses dont ils formèrent des batteries, lesquelles furent toutes dirigées sur Fontenoy, et un peu avant 6 heures du matin, l’attaque commença par un canonnade et une espèce de bombardement, d’un feu aussi vif et aussi continu qu’il soit possible d’en voir, pendant lequel M. le comte de Chabannes, s’étant placé à la batterie que nous avions formée au centre, donna ses ordres au comte de La Vauguyon, tant pour encourager les soldats que pour leur répéter de rang en rang l’ordre de ne tirer absolument qu’à bout portant, et de leur faire réitérer de temps en temps des cris redoublés de : " Vive le Roi ! " On ne peut s’empêcher de dire ici un mot de la fermeté et de la gaieté qui se voyaient dans tous les officiers et soldats de la brigade, jointes à l’attention la plus exacte de la part des officiers aux ordres des officiers principaux et de la part des soldats à ceux de leurs officiers particuliers.

Vers les 4 heures, on apprit la malheureuse nouvelle que M. le duc de Gramont avait été tué. Bientôt après, il vint un officier des Gardes françaises pour avertir M. le comte de Chabannes de venir le remplacer à la tête de la brigade des Gardes. Il s’y rendit aussitôt. M. le duc de Biron, qui était à la tête de celle du régiment du Roi, étant venu visiter notre poste, se porta partout, suivi du comte de La Vauguyon ; il approuva ce qui avait été ordonné et retourna à sa division, après avoir fait marcher un bataillon du régiment du Roi, qui fut placé en errière de notre centre pour nous servir de réserve, et être porté aux lieux où l’attaque pourrait être la plus vive de la part des ennemis, et la plus affaiblie de la nôtre. Ainsi tout roula dans notre poste sur le comte de La Vauguyon et le comte de Choiseüil. Le comte de Choiseüil, qui s’était porté partout avec un zèle, un courage et une intelligence auxquels on ne peut donner trop de louanges, se plaça sur la droite aux drapeaux de Dauphin, et le comte de La Vauguyon dans le cimetière avec les grenadiers, d’où il pouvait également découvrir tous les mouvements des ennemis, donner ses ordres dans l’intérieur de ce poste, au centre et à une partie de la droite.

Cependant les ennemis, protégés du feu de leurs canons et de leurs bombes, s’avancèrent en bon ordre vers nos retranchements et formèrent le dessein de s’étendre sur leur gauche pour tâcher de retourner l’armée du Roi par la droite ; mais le feu terrible du canon qu’ils essuyaient et la vue du poste d’antoing leur firent abandonner ce dessein ; ils se contentèrent d’opposer de ce côté une colonne de cavalerie soutenue de quelque infanterie, et, se repliant derrière les grenadiers qui attaquaient Fontenoy, dirigèrent toutes leurs forces sur la gauche de l’armée du Roi, et en même temps, M. le prince de Waldeck s’avança avec le corps de troupe qu’il commandait vers nos retranchements toujours soutenu du feu très vif de son canon et de ses bombes ; il s’étendit de droite et de gauche, et par ce mouvement embrassait presque toute la totalité du poste que nous défendions, et à la demi-portée de fusil nous fit quatre décharges consécutives de toute sa mousqueterie, auxquelles il ne fut répondu de notre part que par des cris de : " Vive le Roi ! " ordonnés par le comte de La Vauguyon, ce qui parut l’étonner un peu. Néanmoins, l’effort qui se faisait à la gauche ayant un succès bien rapide en faveur de l’ennemi, M. de Waldeck s’avança avec audace vers nos retranchements ; nous le laissâmes approcher, contenant le feu de nos soldats avec tant de précision qu’il ne fut pas tiré un coup que lorsqu’on vit l’ennemi presque à bout portant. Alors il essuya de notre part le feu le plus vif et le plus continu, lequel tua un monde prodigieux et ébranla de telle sorte le soldat que les officiers eurent bien de la peine à le contenir. Cependant, la gauche de l’armée du roi étant toujours vivement poussée, le comte de La Vauguyon, qui voyait le désordre, ordonna de crier : " Victoire ! " et " Vive le Roy ! " dans le double dessein d’intimider encore davantage l’ennemi qui était devant lui, et que ces cris, entendus par la gauche, la rassurassent sur le succès de l’attaque du village de Fontenoy dont en ce moment le salut de l’armée dépendait. Enfin, les troupes du Roi firent reculer l’ennemi à leur tour, le poussèrent et le mirent en désordre. Alors, les troupes qui nous attaquaient s’ébranlèrent avec quelque sorte de confusion. Cependant, ils nous firent encore une assez mole décharge de leur mousqueterie. Nous y répondîmes par une décharge générale de toute la nôtre, qui les mit en un tel désordre qu’ils abandonnèrent quelques cassines dont ils s’étaient emparés et dont ils nous incommodait fort, et à la faveur desquelles ils se retirèrent si précipitamment vers le village de Vezon qu’ils nous abandonnèrent quatre pièces de canon que nous envoyâmes chercher et fîmes amener au-dedans de nos retranchements. Une demi-heure après, nous vîmes l’armée du Roi, animée par la présence de Sa Majesté et de Monseigneur le Dauphin, victorieuse de tous côtés, et l’ennemi en fuite de toutes parts.

 

Sources :
Colin : " Les campagnes du maréchal de Saxe ", vol. 3, p. 333-338.
SHAT

 

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