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Sources :
SHAT : MR-2061 - 139

Relation de la bataille de Fontenoy, gagnée par le Roy le 11 may 1745,
M. le maréchal comte de Saxe comdt sous les ordres de Sa Majesté
(1).

 

Le Roy ayant appris la nuit du 7, par un courrier, que les ennemis faisaient un mouvement pour marcher à nous, partit de Douai, où il avait couché, et arriva le 8 au matin à l'armée; mais la nouvelle ne s'étant pas confirmée, S M et M. le Dauphin couchèrent au château de Chin, marqué pour leur logement pendt le siège de Tournay.

Le 9, on apprit que les ennemis étaient décampés de Maubray et qu'ils marchaient à nous sur trois colonnes, en dirigeant leur marche sur notre droite.

Le Roi partit sur-le-champ pour visiter le terrain que nous occupions depuis le bas Escaut, où était notre gauche, jusqu'à Antoing, sur le haut Escaut, où était notre droite, afin de juger par luy-même de la disposition faitte pour recevoir l'ennemy, de quelque côté qu'il voulût se présenter.

Par les mesures qu'on avait prises pour cela, le Marquis de Brézé, Lieutenant Gl, et le marquis d'Armentières, le duc de Fitz-James et M. de Contades, maréchaux de camp, étaient restés devant Tournay avec 27 bataillons et quelques régiments de cavalerie pour continuer le siège et s'opposer aux sorties que les ennemis pourraient faire.

M. de lowendal, avec 7 bataillons et 14 escadrons, était chargé de défendre la partie depuis nos ponts établis un peu au-dessous du château Constantin jusqu'au mont Trinité, sur lequel était campé le régiment de Beausobre-Hussards.

M. de Bérenger, avec deux brigades d'infanterie, était chargé de défendre le terrain qui se trouve entre le mont Trinité et le chemin de Tournay à Leuze, vis-à-vis le château de Bourg-En-Bray (2).

Cette partie, étant extrêmement couverte de bois, et coupée de ravines, avait besoin de peu de monde pour la défendre, et, d'ailleurs, les ennemis s'étant postés sur nôtre droite, ils nous laissaient moins d'inquiétude sur ces postes.

Outre ces précautions, nous avions des partys en avant qui nous instruisaient exactement du mouvement des ennemis, et de plus on avait rendu les abords difficiles en rompant les chemins, et en faisant des abatis dans les lieux qui en étaient susceptibles.

Depuis le chemin de Leuze jusqu'à Anthoin où était notre droite, M. le Mal de Saxe avait posté la plus grande partie de nos troupes, parce que les ennemis paraissaient vouloir faire leurs efforts de ce côté-là.

La première ligne d'infanterie avait sa gauche appuyée aux premièrs maisons du village de Ramecroix, et sa droite au village de Fontenoy, passant par le carrefour du chemin de Mons, avec celui d'Antoing, à Gaurain: Dans cet endroit, on avait construit deux redoutes capables de contenir chacune un bataillon, et de l'artillerie.

Le village de Fontenoy, dans lequel on avait mis la brigade de Dauphin, commandée par M. de la Vauguyon, et le bourg d'Antoin étaient retranchés, et garnis d'artillerie.

Derrière cette première ligne d'infanterie, il y en avait deux de cavalerie qui étaient appuyées par une ligne en potence, composée de quatre régiments de dragons, et continuée jusqu'au village d'Anthoin par une brigade d'infanterie.

Telle était la disposition générale en attendant qu'on scût plus positivement le véritable projet d'attaque des ennemis.

Quand le Roy fut arrivé à la droite, nous vîmes distinctement plusieurs parties du camp de l'ennemy, dont la gauche était au village de Maubray, et la droite, passant par les hauteurs de Vezon, nous était cachée par les bois de Barry.

Ce soir-là même, il y eut quelques coups de fusils tirés entre les hussards ennemis et nos Grassins, qui ont fait tous ces jours-cy des merveilles.

Comme il était tard, on se contenta de se tenir alerte pendant la nuit et de laisser en avant le régiment des Grassins, afin d'avoir souvent des nouvelles de l'ennemy. On ne peut trop répéter combien ce régiment nous a servy.

Le Roi repassa l'Escaut sur les 9 heures du soir, sur un autre pont qu'on avait fait à une demi-lieüe de Tournay, du côté de la citadelle, et vint coucher avec M. le Dauphin dans une méchante maison du village nommé Calonne, et tout le monde passa la nuit sur la paille.

Le lendemain, le 10, le Roy se leva à 3 h. 1/2 du matin et dîna à 8 heures, mais ayant appris que les ennemis n'avaient fait aucun mouvement, il ne montra à cheval qu'à midy et demie, pour aller encore examiner leur situation.

Sa Mté s'étant portée, comme Elle avait fait la veille, jusqu'aux gardes les plus avancées, Elle y fut témoin d'une escarmouche entre ses troupes légères, et celles des ennemis, après quoy Elle continüa la tournée des postes du camp.

Lorsque S M rentrait chez Elle, Elle vit passer des fourrageurs qui retournaient à leur camp, sur le bruit d'une alerte qui avait été donnée à la droite: On aperçût en même temps le feu à quelques maisons qui étaient en avant du village de Fontenoy, et que l'on avait ordonné de brûler lorsque les ennemis déboucheraient en forces pour attaquer ce village retranché.

Cette circonstance qui n'était pas un signal équivoque, détermina le Roy à faire prendre les armes à son armée, ce qui fut exécuté avec une diligence singulière. Sa Mté se porta sur-le-champ à la tête du camp, où M. le mal de Saxe arriva en même temps et fit mettre l'armée en bataille dans l'ordre suivant:

La brigade de Crillon fut placée sur le bord du ravin qui règne dans la partie droite de la plaine appuyée à Anthoin.

On acheva trois redoutes, dans lesquelles on mit la brigade de Bettens-suisse.

La brigade de Dauphin resta dancs Fontenoy.

On forma une première ligne d'infanterie des sept brigades du Roi, dont la droite étais appuyée au même village.

Les brigades d'Aubeterre, et des Gardes appuyaient leur gauche à la première redoutte faite sur le chemin de Mons.

La brigade des Irlandais occupait le terrain entre cette première redoute et la seconde, dont la gauche était appuyée sur le chemin de Gaurain.

On fit avancer en seconde ligne les brigades de Royal, de la Couronne, des Vaisseaux et de Normandie.

Le régiment d'Eu était placé dans les deux redoutes.

Derrière cette seconde ligne, on mit 60 escadrons en deux lignes, depuis Antoing jusqu'au chemin de Mons.

M. le maréchal de Saxe posta la Maison du Roi, la gendarmerie, et les carabiniers, à la hauteur de la seconde ligne, la droite appuyée au même chemin de Mons et la gauche s'allongeant dans la plaine pour en faire un réserve.

Nous avions 110 pièces de canon, tant dans les villages, et redouttes que sur le front de la ligne.

Comme la plus grande partie des ennemis paraissaient développée vers les 4 heures après midy et qu'ils n'étaient pas à un quart de lieüe de notre camp, on jugea qu'ils avaient enfin pris la résolution de nous venir attaquer et, en conséquence, S M demeura sur le champ de bataille jusqu'à la nuit, mais ayant scû que les ennemis ne pouvaient alors engager l'affaire, une partie de leur canon s'étant embourbée dans sa marche, les troupes demeurèrent sous les armes, les officiers généraux à leurs postes, et S M revint coucher à son quartier de Calonne.

Le 11, le Roi se leva avant 4 heures du matin, il monta à cheval à 5 heures, passa l'Escaut et s'arrêta un peu en deçà de Nôtre-Dame-des-Dois pour voir par luy-même si les ennemis avaient fait quelque mouvement. La canonnade ne tarda pas à commencer de part et d'autre, et ce fut d'une des premières salves des ennemis que le duc de Grammont eut la cuisse emportée, dont il mourut une heure après.

Le Roi se rendit promptement sur le champ de bataille, où on luy rendit compte que les ennemis marchaient sur trois colonnes: la première, de cavalerie, venait par le chemin de Mons, le long du bois de Vezon. la seconde, d'infanterie, passant par le milieu du village de Vezon. et la troisième s'allongeant dans la plaine qui est entre Fontenoy et Anthoin.

Ces trois colonnes se formèrent très lentement en débouchant, parce que quoiqu'ils tirassent beaucoup de leur côté pour soutenir leur mouvement, notre canon les incommodait extrêmement.

La canonnade dura jusqu'à 9 heures, qu'ils s'ébranlèrent pour nous charger: ils commencèrent par tenter deux attaques consécutives au village de Fontenoy, d'où M. de la Vauguyon les repoussa vigoureusement.

Pendant ce temps-là, la cavalerie de leur gauche voulut faire un mouvement pour charger celle de notre droite, mais ils avaient été si fort incommodés toute la matinée, par le canon que nous avions à Fontenoy, et à Antoing, et par une batterie placée au moulin de Calonne, à la rive gauche de l'Escaut, qui les prenait en flanc, qu'au premier mouvement que M. le ché d'Apscher fit faire à notre cavalerie pour aller au-devant d'eux, ils se retirèrent en grand désordre.

Ils se rassemblèrent ensuitte pour venir pénétrer par le centre de nôtre ligne d'infanterie, et ils réüssirent dans leur entreprise, car leur infanterie qui s'était mise en bataille sur une ligne très épaisse, chargea et perça à la seconde charge, la brigade des Gardes, qui se rejeta sur les régimts de Clare et de Roott-Irlandais. Notre cavalerie qui s'avança d'abord au-devant d'eux, ne pût soutenir le feu terrible, et roulant de cette ligne d'infanterie, de façon que pendant plus d'une heure, ils parurent avoir un avantage très marqué. Plusieurs de nos escadrons se reformèrent cependant, mais ils plièrent de nouveau par le feu prodigieux qui sortait de l'infanterie ennemie.

Pour remédier à ce désordre, S Mé fit alors ébranler sa Maison, suivie de l'infanterie qui, dans la première disposition, appuyait la gauche et avait été immédiatement remplacée par celle du mont Trinité: Il y fut ajouté quelques pièces d'artillerie pour contenir celles des ennemis, dont le feu incommodait extrêmement la Maison du Roi.

Cette nouvelle disposition ne tarda pas à produire l'effet que le Roi s'en promettait, car ce mouvement contint leur infanterie, dont ils avaient formé une espèce de colonne, où de bataillon quarré à centre plein, et donna le temps aux brigades des Vaisseaux, et des Irlandais de se former.

Alors, les six régiments irlandais, soutenus de ceux de Normandie et des Vaisseaux, s'étant mis en ligne, marchèrent aux ennemis sans tirer et les enfoncèrent la bayonnette au bout du fusil, pendant que les Carabiniers les chargeaient en flanc.

Enfin, l'artillerie que l'on fit tirer à cartouches sur cette infanterie anglaise, commença à l'ébranler, et la Maison du Roi les chargea si vivement et si à propos que toute la valeur de la colonne anglaise ne put l'empêcher d'être rompue et d'être repoussée, avec une perte considérable, fort au delà du champ de bataille et jusqu'au ruisseau de Vezon.

Pendant cette attaque, les ennemis qui étaient revenus du coté d'Antoing se former sur deux lignes d'infanterie et de cavalerie, entre les redouttes occupées par la brigade de Bettens, et par celle de Crillon, dont un bataillon appuyait à la redoute de droite, fûrent si maltraités du seul feu de l'artillerie qui partait de ces redouttes, qu'ils se retirèrent précipitamment en abandonnant leur artillerie, qui fut prise par la brigade de Crillon.

Le second régiment des Gardes anglaises à qui celuy de Bulklay a eû affaire, doit être presque entièrement détruit: il leur a pris un drapeau, et deux pièces de canon attelées, qui étaient devant les bataillons.

Cette grande affaire pendt laquelle la fermeté du Roi, et celle de M. le Dauphin, ont fait l'admiration générale de l'armée, a été entièrement décidée vers les 2 heures après midy. Ils n'ont jamais parû s'apercevoir du danger qu'ils courraient au milieu des boulets de canon qui tombaient à leurs pieds et qui nous faisaient trembler pour eux, que pour s'occuper du redressement de l'affaire en général, car, dans les tems les plus facheux, et du plus grand dérangement, le roi n'a cessé de donner ses ordres avec un sang-froid, une supériorité de courage, une justesse et une netteté incomparables, et ce n'a été que pour ranimer, et rallier lui-même les troupes qu'il a pu montrer de la vivacité. Enfin, on ne saurait assez dire, et assez hautement assûrer que, si ce jour a été un grand jour pour la nation, il a été encore bien plus grand mille fois pour la gloire éternelle, et personnelle de S M.

C'est le sentiment universel de toute l'armée, qui a aussi été témoin de l'empressemt avec lequel, dans les moments les plus critiques, M. le Dauphin a demandé au Roy, avec des instances redoublées, de vouloir bien luy permettre d'aller charger à la tête des troupes de sa Maison, ce que S M luy a toujours refusé.

Pendant toute l'action, M. le mal comte de Saxe fût continuellement occupé a donner ses ordres, avec toute l'activité, qu'il aurait pû le faire dans sa meilleure santé et avec une clarté, une précision, et une vivacité si admirables, qu'jl soutenait et ranimait également le courage de toutes les troupes.

S Mté lui a marqué publiquement sur le champ de bataille sa satisfacttion, tant des dispositions qu'il avait faites précédament à l'action, que de sa conduitte pendant l'action même, et depuis son heureux succès.

Comme la grande fatigue du jour que s'est donnée la bataille n'avait pas permis de suivre l'ennemi dans le moment, par un pays coupé, ou la cavalerie n'aurait pû profiter de son avantage, l'armée des alliées qui rentra dans son camp fort en désordre, en partit ce même jour 11 may, à 11 heures de nuit, pour se rendre tout d'une traitte sous Ath où elle actuellement campée.

Sur les premières nouvelles que reçût M. le mal de Saxe de la marche des ennemis, il détacha sue-le champ les hussards et les Grassins pour les suivre, ils tombèrent sur leur arrière-garde qu'jls trouvèrent dans un désordre affreux, ainsy que toute leur armée. Ils firent une grande quantité de prisonniers, et ramenèrent grand nombre de leurs officiers blesséz, qu'ils trouvèrent dans les différentes maisons de paysans placées sur les grands chemins. Enfin, depuis la nuit du 11 jusqu'au 12 après-midy, ce ne fût qu'une procession de prisonniers, sains ou blessés, qu'on ramenait.

Ce même jour, 12, M. le Maréchal détâcha encore après eux M. le comte d'Estrées, ayant sous ses ordres M. de Beuvron, MM. de Graville et de Tarnau, MM. d'Egmont, de Soisy et de la Marsaye, avec 1000 chevaux, huit compagnies de grenadiers, 600 hommes d'infanterie et les Grassins. Ce détachement se porta en grande diligence sur Leuze, d'où les ennemis étaient précipitament partis à six heures du matin.

Pendant la marche, les partys que le comte d'Estrées avait envoyés à droite, et à gauche ont ramené 1500 bléssés, où prisoniers, 150 chariots d'artillerie, et de munitions, affûts de rechange, et agrets propres à l'artillerie. Les prisonniers et blessés ont été conduits à Douai, et à Lille.

M. de Campbell, lieutenant général anglais, a été trouvé mort dans le village de Bauguin (3), et on scait certainement que le major général de leur infanterie, a aussi été tué.

Nous avons eu environ 520 officiers tüés, où blessés et à peu près 4,000 soldats aussi tués ou blessés.

Pour les alliés, ils ont perdu, entre tüés, où blessés ou déserteurs, plus de 15,000 hommes, selon l'estime que les ennemis en font eux-mêmes, ce qui, joint à la perte de presque tout leur canon de campagne, dont nous avons pris environ 40 pièces, doit les mettre hors d'état de pouvoir rien entreprendre qui soit de conséquence.

Le 15, le Te Deum  fût chanté au camp sous Tournay, à l'issue de la messe, et le soir il y eût trois salves de 160 pièces de canon et de 40 mortiers, qui furent tous dirigés sur la citadelle, et de la mousqueterie de l'armée.

 

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1 - Se trouve également en A4-XVII, avec quelques différences d'orthographe. Repris dans Colin : Les campagnes du maréchal de Saxe, vol. 3, p. 301 à 307.

2 - Bourquembray.

3 - Beaugnies.

 

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