Retour

Source :
SHAT - A4 27
Repris dans Colin: les campagnes du maréchal de Saxe, vol. 3, p. 232-233. Le document se trouvant aux archives de la guerre est une copie de cette lettre.

 

Lettre de Jean Baptiste de Ferrand lieutenant au régiment de Normandie à son frère André Gaston de Ferrand.

 

Au camp de Tournay, ce 14e. may 1745.

 

Les opérations de la campagne ont été d'un autre costé que celuy que je vous aies marqué, mon très cher frère; il est bien vray que nous avons été tout de suite sous Maubeuge pour donner, sans doute, de la jalousie aux ennemis, Du côsté de Mons; mais dans deux jours l'armée étant toute rassemblée, nous sommes revenus sur nos pas pour venir investir Tournay, dont on a commencé le siège la veille du premier de may. Cette place est une des plus fortes que l'on voit guère; il n'est cependant points douteux qu'elle ne soit à nous d'icy au 25 du présent. Les assiégés ont tenté de faire trois sorties, mais ils ont toujours été repoussés avec perte. La tranchée que le Régiment y a montée, nous a coûté aux environs de cent hommes tués ou blessés, en officiers il n'y eut que deux lieutenants de blessés. Quatre jours après qui étoit le 8°., Monsieur de Taleran y ayant été employé comme Brigadier, il fut emporté par une mine dont on trouva seulement pour tout vestige deux morceaux de ses jambes; nous en eûmes la nouvelle avec assez de surprise, sans néanmoins en témoigner beaucoup de regrets. Le général d'armée se mit en marche, ayant laissé 30 bataillons milices et autres pour garder la tranchée, pour aller au Devant des Anglais qui venoient droit à nous. cela nous fit coucher au bivac jusques au 11e., à six heures du matin. on commença à se canonner de part et d'autre jusque à deux heures après midi. dès le commencement Mr. le duc de Gramont, colonel des gardes françaises, y fut tué, aussi bien que quelques autres officiers particuliers. On se vit ensuite de plus près. plusieurs de nos Brigades y furent repoussées avec perte. Enfin la chose étant presque décidée pour les ennemis et l'ordre donné pour sauver le Roy et le Dauphin, il luy fut dits qu'il ny avoit que la Brigade de Normandie qui neut point encore donné; a quoi Mrs; les Mareschaux de Noailles et de Saxe dirent qu'il y auroit encore à esperer. L'ordre donné, nous avançâmes et trouvâmes trois de nos bataillons irlandois qui commençoient à être extrêmement maltraités. A notre approche, ils reprirent de nouvelles forces et chargèrent avec nous. Nous ne fimes d'autre manoeuvre que de charger, la baïonette au bout du fusil, étant vis à vis de six pièces de canon, chargées à cartouche, qui nous tiroient à brule-pourpoint. Dans moins de quatre minutes, nous eûmes 14 officiers de blessés, deux capitaines de tués et 250 soldats tués ou blessés ; tout cela ne nous empêcha pas de faire notre manoeuvre; Enfin nous laissâmes les pièces de canon derrière nous forçâmes les ennemis de rompre leurs armées dont ils avaient fait un bataillon carré. La maison du Roy, qui avoit été repoussée par deux fois entra dans ce bataillon et travailla en conséquance. Voilà, mon cher frère, en peu de mots, le detail de cette bataille que le Régiment peut dire avec vérité en avoir remporté la victoire. Et voicy ce qui est encore bien flatteur pour luy : c'est que tout de suite tous les généraux vinrent au devant en criant que c'était à nous quils avoient l'obligation de cette victoire.

Peu de temps après, le Roy vint, suivi de toute la cour, et, accompagné du Dauphin, envoya d'abord M. le Duc d'Arcourt, capitaine de ses gardes, pour nous remercier de sa part, ensuite, lui-même s'étant arrêté vis-à-vis des drapeaux du premier bataillon ou étoit notre Lieutenant-Colonel qui se trouva commander le régiment s'adressa a luy, et, ôtant sa chapeau, lui dit en ces termes: " Messieurs de Normandie, c est à vous à qui je suis redevable de la victoire que je remporte sur mes ennemis je vous en suis tres obligé " M. de Salancy, Lieutenant Colonel, luy répondit que nous étions orphelins sans colonel et sans Brigadier. Je vous fais Brigadier, luy répondit le Roy, et passa. Il faut convenir que jamais régiment n'a été traité de tous les siêcles ce cette façon. Dix mille hommes, aux ordres de M. de Tray (1), des troupes légères poursuivent nos ennemis; il en arrive à tous moment de prisonniers. J'avois oublié de vous dire que l'on fait aller la perte des Ennemis de la journée du 11eme. à neuf à dix mille hommes. un gros village nommé Antoin, qui est à une lieue de Tournay, est réputé porter le nom de cette bataille, selon quelques uns ; d'autres disent que c'est celuy d'un autre qui est tout près, dont je ne scay pas le nom. Les deux capitaines tués sont M.M. Laborde, capitaine des grenadiers que vous connaissés, l'autre est le chevalier Junic (?). il est décidé que j'auroy une de ces compagnies.

 

Retour

 

Note 1 : M. d'Estrées.

 

Retour