Retour - Croquis du combat de Lippstadt par le comte de Melfort

Source :
SHAT - A1 3518, pièce 40

 

De Halle, ce 3 juillet 1759

Monseigneur,

 

Il ne m’a pas été possible de vous rendre compte plus tôt de ce qui s’est passé dimanche dernier, premier de ce mois.

Vers les une heure après midi, je reçus ordre de M. le maréchal de Contades de marcher avec ce que je pouvais rassembler de ma brigade, et 300 dragons qui devaient se joindre à moi, sur la ville de Lippstadt, de replier tout ce qui serait en dehors, et de sommer le gouverneur de se rendre en lui disant que l’armée du prince héréditaire étant en pleine marche pour se retirer sur le bas Weser, il n’avait plus d’espérance d’être secouru et qu’en conséquence, s’il ne remettait sa place a l’instant, il pouvait compter n’avoir aucune espèce de capitulation.

Une heure après la réception de cette lettre, je m’acheminais vers Lippstadt par la rive droite de la Lippe. Comme l’heure me pressait ayant 3 lieues et demie a faire avant d’approcher je partis sans attendre les 300 dragons, qui cependant à cause de mon infanterie me joignirent en chemin.

Les ennemis avaient en avant de Lipperode, village a une demi-lieue de Lippstadt, une redoute qu’ils abandonnèrent à l’approche de nos troupes.

A Lipperode nous commençâmes à trouver quelques luckemburgs (?) qui se retirèrent avec précipitation.

A la gauche de ce village se trouve un ruisseau sur lequel il y a un pont-levis, où j’envoyai un lieutenant et 20 dragons à pied, que je fis soutenir par le reste du piquet.

J’envoyai à la droite du village, un piquet de cavalerie de ma brigade avec ordre de pousser en avant plusieurs petits postes pour couvrir mon flanc droit, et comme je ne voulais pas laisser aux ennemis le temps de se reconnaître, je débouchais avec mon avant garde, sur le terrain qui sépare les glacis de la ville d’avec les haïes du village de Lipperode, où je laissai mes troupes en colonne, n’occupant que la moitié du grand chemin.

Aussitôt que nous débouchâmes des haies on nous tira du canon, et je remarquai des chasseurs qui se retiraient sur la ville par les flancs du village de droite et de gauche.

Comme dans cette position nous nous trouvions à la demi-portée du canon, et qu’on nous en tirait de 19 livres de balles, je ne crûs pas à propos de faire déboucher plus de cavalerie jusqu’à ce que l’infanterie fut arrivée, de sorte que les chasseurs, voyant que nous restions dans notre position, se reportèrent sur nos flancs ; mais ayant fais mettre pied à terre à 100 dragons, nous les délogeames bien vite, quoi qu’il marcha à leur appui deux troupes d’infanterie.

Dès que la tête de la mienne parut, je lâchais sur eux 100 chevaux, qui les poussèrent jusque sur les glacis et leurs prirent 3 soldats, un grenadier et un backemberg (?).

Comme je crus avoir rempli le premier objet de ma mission qui était de replier tout ce qui se trouvait dehors de la ville, je songeai à remplir le second, et chargeai M. le marquis de Vassé, que par parenthèse, je vous remercie d’avoir choisi pour lieutenant-colonel des volontaires liégeois, d’aller avec un tambour pour faire les sommations dont j'étais chargé et qui s’en acquitta, au milieu des coups de fusils, de la meilleure grâce du monde.

Après être parvenu à faire entendre qu’il avait à parlementer, il vint me redire que l’officier hanovrien lui avait dit qu’il allait faire tirer le canon, si je ne faisais cesser les tirailleurs. J’eus beau envoyer ordre sur ordre, il fut impossible de les faire cesser, et je fus obligé d’y aller moi-même, et ce ne fus que plus d’une demi-heure après que je pus ravoir tout mon monde.

Je m’approchais alors du lieu ou se passaient les pourparlers. Un colonel anglais, aide de camp de M. le prince héréditaire, demanda si c’était moi qui commandait les troupes. Lorsqu’on lui eut dit que c’était moi, il vint pour me parler, et me dit qu’il avait cru d’abord que la sommation qu’on venait de faire à M. d’Ardemberg était une plaisanterie, mais que M. de Melfort dont il avait entendu parler avantageusement à M. le prince héréditaire n’était pas capable de faire une action aussi légère sans un ordre de son général, qu’il me priait de me trouver vers la place, qu’il pourrait répondre qu’elle était munie, qu’il y avait une garnison suffisante, et que si M. de Melfort commandait dans la place, qu’il était sur qu’il ne la rendrait pas sur une simple sommation ; je lui répliquais que les circonstances forçaient quelquefois les plus braves gens ont à se conduire par des principes de politique lorsque leurs moyens et les forces ne répondaient pas à leur courage, qu’au reste, je lui déclarais que j’étais chargé de lui assurer que M. d’Ardemberg n’avait aucune espèce de capitulation à espérer, sil attendait que sa place fut investie. Il me répondit que des braves gens, pour sauver leur honneur devaient savoir encourir toutes sortes de dangers, et qu’en faisant leur devoir, ils comptaient bien plutôt s’attirer l’estime de MM. les Français, que de s’attirer un traitement dont la générosité les rendraient incapables, qu’au reste comme il n'était chargé d’aucune réponse de la part de M. d’Ardemberg, si je voulais lui faire ma sommation par écrit, il allait la lui porter, mais qu’il croyait avoir deviné sa façon de penser et que sa réponse serait négative.

Après nous l’avoir fait attendre jusqu’à la nuit, l’on m’en apporta une par écrit que je ne pus lire que lorsque je fus de retour à Lipperode, dont la substance était qu’il connaissait trop bien les manoeuvres du prince héréditaire pour n’être pas d’avis que s’il avait reculé, ce n’était que pour mieux sauter, et une verbale, que si dans un quart d’heure les troupes françaises étaient encore à la même place, il ferait recommencer à tirer. Au demeurant les prisonniers nous dirent qu’il y avait de 4 à 5000 hommes dans la place. Voilà tout ce que j’ai pu apprendre dans cette journée. J’ai l’honneur d’être, Monseigneur, votre très serviable et très obéissant serviteur.

Melfort.

 

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