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SHAT – A1 3149, pièce 048

Relation de la bataille de Raucoux
par le chevalier de Belle Isle

Monsieur le maréchal de Saxe ayant chargé Monsieur le Comte d’Estrées de couvrir avec son corps, et les troupes légères, e mouvement de l’armée et le passage du Jar, tout ce qui était à ses ordres fut porté en avant, la brigade de Ségur aux haies du village de Wierque, celle de Bourbon à celles d’Hierderemal (Schendermal ?), l’infanterie légère à Hognoul, et les hussards, les dragons et la cavalerie dans les plaines qui sont entre les villages.

Nous restâmes dans cette position jusqu’à l’arrivée des colonnes de l’armée, pour couvrir les campements ; dès que la tête parut, le corps se mit en marche par la droite pour aller occuper la droite de tout qui lui était destinée dans le combat ; et après avoir chassé l’ennemi du château et village de Bierssau sans beaucoup de résistance, voulant se rendre maître des hauteurs qui sont entre le village et Ologne, M. d’Armentières, après un combat d’une demi-heure assez vif, obligea les ennemis à précipiter la marche qu’ils paraissaient devoir faire, ayant détendu leur camp dans cette moitié, dès la première nouvelle de notre approche.

Le soir après cette escarmouche, M. le Comte d’Estrées ayant envoyé prendre l’ordre de M. le Maréchal pour le lendemain, celui qui y fut rapporta que l’intention était que personne ne se mit en marche sans ordre, que l’on ne partirait qu’après avoir bien reconnu l’ennemi et que s’il faisait du brouillard on ne marcherait pas du tout. Le brouillard n’ayant pas paru bien épais, nous nous mimes en marche (XXX) sans attendre de nouveaux ordres, et formant trois colonnes, nous arrivâmes à hauteur d’Aleut (Aleuer ?), pour y être joint par le corps de M. le Comte de Clermont qui devait combattre à notre gauche.

Tous les espions rapportèrent à la pointe du jour que l’ennemi avait évacué son poste en passant la Meuse ; cet avis nous paru vraisemblable en approchant, voyant la gauche abandonnée ; nous ne tardâmes pas à découvrir notre erreur et à apercevoir l’ennemi en bataille nous prêtant un flanc.

Le camp abandonné de la veille était celui des troupes légères qui passèrent la nuit au gué et sur les ponts dont l’ennemi avait cinq derrière lui. Ayant reconnu parfaitement la position des alliés, et MM. de Clermont et de Lowendal étant arrivés, il fallut un peu de temps pour convenir de ses faits et faire une disposition.

Celle de l’ennemi dans cette partie était telle : sa gauche étant appuyée au village d’Ance, il occupait la partie de ce village qui est la plus rapprochée de Liège, et ne tenait point le reste du village qui se trouve sur la chaussée de St Trou et qui est séparée du reste par une petite plaine. A notre approche ils parurent avoir quelque dessein d’occuper cette partie ; M. de St Germain les ayant prévenu avec deux brigades, ils se contentèrent de canonner la tête des troupes de leur coté au moyen de dix pièces de canon qu’ils avaient dans l’angle que formait la potence qui couvrait leur gauche ; les dragons furent mis en bataille dans la petite plaine, l’infanterie légère dans les haies de la partie qui tient aux faubourgs de Liège et la cavalerie à la gauche de tout dans un terrain qui lui est propre. MM. de Clermont et de Lowendal nous trouvèrent dans cette disposition lorsqu’ils arrivèrent sur quatre colonnes. Ils reconnurent l’un et l’autre la situation de l’ennemi et on convint, attendu le nombre considérable d’infanterie qui paraissait dans Ance et en colonne derrière pour le soutenir, qu’on joindrait 2 brigades du corps de M. de Clermont à celui de M. D’Estrées ; on les fit passer dans la petite plaine. M. de Clermont ayant voulu différer l’attaque jusqu’à ce qu’il eut vu M. le Maréchal, on s’occupa a faire des communications depuis onze heure jusqu’a une heure après midi et l’on plaça des batteries dans des positons heureuses, une de 6 pièces de huit sur le prolongement de la ligne de cavalerie, une autre de quatre pièces sur les troupes d’Ance et une de 6 pièces de seize pour battre une grosse maison que l’ennemi occupait sur son flanc. M. le Comte d’Estrées, ayant reçu ordre à une heure d’attaquer le village avec les quatre brigades qu’il avait tandis que l’on le soutiendrait avec quatre autres, fit la disposition suivante :

L’infanterie légère composée d’environ 700 hommes fut destinée à tourner la droite du village.

La brigade de Picardie conduite par MM. de Fienne et de Monbarrey fut mise en colonne par bataillon à la droite pour attaquer le long des haies. Celle de Monaco fut mise à la gauche de celle-la, sur deux lignes au ordres de M. de Froulay

Celle de Ségur fut mise en colonne par bataillon à la gauche de Monaco, et celle de Bourbon en bataille sur deux lignes à la gauche de celle-la. M. de St Germain commandait ces deux brigades et quatre petites pièces de canon.

Une batterie devait suivre le flanc gauche de la brigade de Bourbon et une autre plus à gauche enfilait le ravin qui appuyait la droite de la cavalerie qui se trouvait séparée par là de l’infanterie ; les dragons soutenaient ces deux batteries.

M. de Rosen commandait la cavalerie avec ordre d’attaquer quand il le jugerait à propos, ce qu’il ne put pas exécuter étant séparé de l’ennemi par un ravin qui couvrait le front du corps des alliés et que l’on ne pouvait apercevoir.

Toute la cavalerie légère fut placée en arrière avec ordre d’éclairer le coté de Liège, de se débander sur les fuyards après l’attaque ; M. d’Armentières la commandait.

A deux heures, 36 pièces de canon donnèrent le signal d’attaque et démontèrent la batterie de l’angle qui avait incommodé Champagne, qui était à la gauche des premières haies d’Ance et (de) notre cavalerie ; à la quatrième décharge, l’infanterie se mit en marche dans le plus grand ordre. Picardie chassa les pandours et se rendit maître des haies de la droite et de la chauffée où l’on mit la grosse artillerie qui fit quatre décharges dont la dernière fut le signal de l’attaque du village. Picardie et Monaco forcèrent les haies, Ségur et Bourbon marchèrent de front au village. Ce fut le moment le plus vif, toutes les premières haies furent emportées ensemble ; l’ennemi gagna la plaine et abandonna six pièces de canon.

La Cavalerie hollandaise, formant dix escadrons sur dix lignes, vint remplacer son infanterie avec audace. Le bataillon de Beaujolois, qui passait la haie, se forma et, l’ayant attendu de près, fit fa décharge si à propos que ceux qui avaient déjà passé le dernier ravin furent culbutés, et le reste prit la fuite. Toute l’infanterie maîtresse du village et y ayant pris poste, M. le Comte d’Estrées ayant envoyé chercher sa cavalerie et son aide de camp s’étant adressé à M. de Clermont, qui avec M. de Lowendal était resté à la gauche et sur le flanc assez éloigné de l’attaque, on ne voulut pas la laisser partir et ce ne fut qu’au troisième voyage des aides de camp que l’on laissa partir M. de Rosen qui, ayant profité d’un défilé à la gauche de l’infanterie, y fit former sa cavalerie au-delà des haies et du ravin qui est contre le village du coté de l’ennemi.

Pendant le retardement, les alliés, ayant repris haleine, s’étaient reformés à la droite et avoient été cause de la retraite de quelques bataillons que trop d’ardeur avait emporté trop loin, le mouvement se fit par ordre et sans crainte, du moment que quelques pièces furent remises de nouveau en batterie et que la cavalerie eut put former deux escadrons ; Les Hessois et Hanovriens, ne pouvant soutenir le feu, se retirèrent pour ne plus paraître ; leur Cavalerie prise en flanc fuit plus vite qu’eux, et le désordre ayant commencé avec cette seconde attaque, il n’était plus question que de se maintenir par une marche vive ; les bataillons débouchèrent du village sur deux lignes, et après avoir gagne six cent pas de terrain, les quatre brigades fraîches prirent le poste dans ces haies pour soutenir les premières et sans jamais abandonner le point d’appui que donnaient à notre flanc les haies et petit bois qui étaient à notre droite ; on s’avançait avec ordre et vivacité lorsque MM. de Clermont et de Lowendal arrivèrent à l’attaque et ordonnèrent que l’on fit halte malgré toutes les représentations et le désordre qui était visible chez l’ennemi, toute son aile gauche étant culbutée jusqu’aux redoutes de la hauteur le long de la chaussée de Tongres.

Cette halte ayant donné le temps à la troupe en désordre de se retourner et le Comte d’Estrées ayant les bras liés par les ordres supérieurs que M. de Lowendal dit et assura avoir reçu de M. le Maréchal[1], envoya à M. d’Armentières d’inquiéter du mieux l’ennemi, ce qu’il fit ayant été avec ses hussards charger la cavalerie ennemie qui s’était reformée, ayant sa droite aux batterie de la hauteur que quelques bataillons soutenaient et sa gauche vers les ravins qui sont au bord de la Meuse. On était dans cette situation et peut-être dans le cas de recommencer un combat douteux lorsque le village de Rocoux fut attaqué et emporté. M. de Clermont, ayant cédé aux instances qu’on lui faisait, nous permit de continuer à vaincre après nous avoir arrêté une heure entière, mais nous ne pûmes plus rejoindre cette cavalerie ennemie et ne fûmes que spectateurs de sa fuite que M. le Maréchal accéléra en arrivant en même temps sur la hauteur. Etant tous arrivés aux haies de Votem, on arrêta une seconde fois tous le monde sur un faux rapport que l’ennemi avait garni d’infanterie les haies de ce village. Le Comte d’Estrées tourna à droite par le vallon qui descend à Cronnoux pour couper la retraite à l’ennemi. Chemin faisant il s’empara, au moyen du régiment de Grassin et de La Morlière, de 22 pièces de canon ou obusiers et de cinquante et quelques chariots d’artillerie.

La nuit étant survenue assez mal à propos pour un si beau jour, vous savez mieux que moi le reste de l’aventure.

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[1] M. le Maréchal dit qu'il n'en a jamais donné de semblable.

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