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Source :
SHAT - A1 3091, pièce 36.
Repris par Pichat dans : La campagne du maréchal de Saxe en Flandres de Fontenoy à la prise de Bruxelles - Chapelot Ed., 1909.

 

M. de Saxe au chevalier Folard.

 

Camp de Borst, 18 juillet 1745.

J’ai reçu, mon cher chevalier, la lettre que vous m’avez écrite le 14. Je suis guéri de mon hydropisie par un remède fort simple qui est une lessive de cendre de genêt. Je n’ai plus qu’une extrême maigreur et de la faiblesse.

M. le duc de Cumberland s’est mépris à la manoeuvre que nous avons faite ; mais un plus fin que lui y aurait été embarrassé. Nos 20 bataillons de l’armée du Rhin sont arrivés successivement jusque vers le 30 du mois passé. J’avais fait arrêter la cavalerie sous les ordres de M. de Clermont-Gallerande à Maubeuge, qui consista en 35 escadrons, et j’y ai joint 3 bataillons de la garnison. Les ennemis craignant pour Mons et Charleroi, parce qu’on a fait quelques mouvements d’artillerie sur la Meuse, ont jeté dans Mons, Charleroi et Namur des garnisons, ce qui a affaibli leur armée. L’armée du Roi est partie le 1er de Tournai et a marché à Leuze. Le même jour M. de Clermont-Gallerande est parti de Maubeuge pour aller camper à Binch, entre Charleroi et Mons. J’ai poussé en même temps la plus grande partie de ma cavalerie légère à Soigne, de façon que les ennemis n’ont pas douté que ce ne fût la tête de notre armée et que Mons était investi, ce qui leur a fait tirer d’Audenarde et de Gand les garnisons qu’ils y avaient pour renforcer leur armée. J’ai marché le 3 à Lessines et fait masquer Ath pour couvrir le flanc droit de ma marche, ce qui leur a fait croire que nous en voulions à Ath où ils ont jeté le même jour 3,000 hommes.

Les ennemis se sont placés se sont placés à Grammont et derrière le ruisseau d’Enghien, leur gauche à Enghien. J’ai marché le 6 à Grammont, comme si je voulais l’attaquer. Comme le poste est fort avantageux, il se sont flattés de nous y bien recevoir. Pendant ce temps-là, je me suis prolongé par ma gauche et les ai débordé par leur droite pour tâcher de me mettre entre Gand, Audenarde et eux. Le 7, j’ai été obligé de séjourner à cause du pain et le 8, je suis venu me placer dans ce camp-ci qui est très avantageux, parce que j’ai craint qu’en dépassant Audenarde les ennemis ne vinssent s’y placer, ce qui aurait coupé ma communication avec Lille et Tournai et nous aurait fait faire le second tome de la bataille d’Audenarde, ou du moins nous aurions manqué Gand. !je détachai le même jour M. du Chayla pour aller à Melle y jeter des ponts sur l’Escaut afin d’empêcher les ennemis de jeter un secours dans Gand. J’avais fait marcher le régiment de Grassin à une lieue sur le flanc droit de M. du Chayla pour dérober la connaissance de sa marche à un détachement de 6,000 hommes que je savais être à Alost. Effectivement, après que le régiment de Grassin fut arrivé sur la chaussée qui va de Gand à Alost, il vint un détachement de hussards le reconnaître qui fut poussé jusque vers Alost. Les fuyards ayant rapporté à M. le général Mölck, qui commandait le détachement qui devait se jeter dans Gand, qu’ils n’avaient vu que des Grassins, M. de Mölck crut qu’il en aurait bon marché et se mit sur-le-champ en marche. Il investit les Grassins dans un château ; mais ayant appris que non loin de là il y avait un autre corps de troupes françaises, il quitta les Grassins pour tâcher de percer et de se jeter dans Gand. Effectivement, il vint attaquer M. du Chayla à l’improviste ; mais quoique nos troupes fussent occupées à se camper, les soldats coururent aux armes et les repoussèrent si vertement qu’il y en eut beaucoup de tués et noyés dans l’Escaut. L’on a fait environ 1,400 prisonniers presque tous Anglais et Hanovriens. Il y a eu des régiments entièrement détruits. J’envoyai sur-le-champ un courrier à M. de Löwendal avec qui j’avais concerté l’expédition de Gand pour le faire partir du pont d’Espierres le 10 au matin, afin de frapper le coup la nuit du 10 au 11 entre l’Escaut et la Lys, où il n’y a que peu d’eau dans les fossés. Comme je n’avais point fait jeter de pont sur l’Escaut, les ennemis n’ont point pris de jalousie de ce côté-là et toute leur attention s’était tournée sur le corps de M. du Chayla qui était à leur portée. Comme la ville de Gand est fort grande et qu’elle n’avait point une garnison proportionnée à son étendue, je m’étais bien figuré, en faisant deux attaques dans la nuit, qu’ils abandonneraient la plus éloignée pour se jeter dans la citadelle, ce qui a réussi.

M. de Löwendal a ouvert la porte Impériale à M. du Chayla. On a fait environ 600 prisonniers dans la ville et 700 dans la citadelle qui s’est rendue avant-hier. Comme Gand était le dépôt général des Anglais, on y a trouvé immensément d’équipages, de fort grands magasins et beaucoup de munitions avec tout ce qui s’ensuit. On est actuellement occupé à faire les états de toutes ces choses. Nous ouvrons aujourd’hui la tranchée à Audenarde. Nous l’attaquons par la rive droite de l’Escaut. C’est M. de Löwendal qui fait ce siège.

Je ne crois pas qu’il nous arrête longtemps ; après quoi, nous verrons. Mes uhlans ont fait une incursion dans le Brabant et ont enlevé des otages jusque dans les faubourgs de Bruxelles et jusqu’à Louvain, ce qui a fait abandonner la Dendre à M. de Cumberland pour se mettre derrière Bruxelles, sur le canal de Vilvorde, afin de conserver sa communication avec Anvers. Mes uhlans sont actuellement dans les environs de Namur. J’ai établi mes lettres de sauvegarde dans toute cette partie du Brabant, ce qui a porté le gouvernement de Bruxelles à permettre à ces différentes provinces de venir traiter des contributions, afin de faire finir cette vexation, comme c’était là mon but. Je les ai mis aux prises avec M. de Séchelles.

Voilà l’histoire du jour, mon cher chevalier. Parlons un peu de la colonne à laquelle vous revenez toujours. Le hasard a produit celle que les Anglais ont faite à la bataille de Fontenoy. Ils nous ont attaqués par lignes, mais comme leur centre trouvait une grande résistance au village de Fontenoy, leur droite a attaqué la brigade des gardes qu’elle a repliée, voulant faire ensuite un quart de conversion à gauche pour prendre le village de Fontenoy en flanc et par les derrières. J’ai fait attaquer les deux lignes d’infanterie par plusieurs charges de cavalerie que j’ai réitérées pendant trois heures, pour les empêcher d’achever leur mouvement. Comme ils avaient débordé, en le faisant, le terrain où etait la brigade des Gardes, ces deux lignes nous présentaient le flanc, ce que tout le monde a pris pour une colonne, et, pour fermer ce flanc, ils avaient mis un bataillon ou deux en travers, ce qui formait un carré long. Je les ai retenus dans cette position jusqu’à ce qu’il m’ait été possible de rassembler des brigades d’infanterie, qui étaient à ma gauche, pour faire attaquer cette infanterie et faire un effort de tous les côtés en même temps sur ce carré long. C’est ce qui a décidé le gain de la bataille. Vous sentez bien que si j’avais laissé prendre e flanc le village de Fontenoy par cette infanterie anglaise, notre affaire serait devenue fort équivoque. Vous voilà au fait, mon cher chevalier. Laissons là la colonne d’Epaminondas et toutes les colonnes du monde.

M. de Saxe

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