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Source : Grimoard - Lettres et mémoires choisi parmi les papiers originaux du Maréchal de Saxe - p.190

 

R E L A T I O N de la bataille de Fontenoi, et de la victoire que l'armée du Roi, commandée par Sa Majesté, a remportée sur l'armée des alliés, le 11 mai 1745.

 

Le Roi ayant résolu de commencer cette année la campagne en Flandre par le siège de la ville de Tournai, Sa Majesté donna le commandement de son armée au Maréchal Comte de Saxe, lequel partit au commencement du mois dernier, pour exécuter les ordres qu'il avoit reçus du Roi.

Ce Général fit sortir les troupes de leurs quartiers ; il les divisa en plusieurs corps, et par les diverses positions qu'il leur a fait prendre successivement, il a si parfaitement réussi à cacher aux ennemis le projet du Roi, que la ville de Tournai fut investie le 25 du mois dernier, avant qu'ils eussent soupçonné que Sa Majesté se proposait de faire attaquer cette place.

Dès que les alliés eurent appris cette nouvelle, ils rassemblèrent à Cambron les troupes qui devoient composer leur armée, et ils publièrent qu'ils alloient marcher au secours des assiégés. Les dispositions des ennemis obligèrent le Maréchal Comte de Saxe, de se régler dans l'attaque de la ville de Tournai, sur la nécessité dans laquelle il pourroit se trouver d'aller à leur rencontre. Il prévit les diverses tentatives qu'ils pourroient faire, et il prit toutes les mesures nécessaires pour s'opposer à l'exécution de leurs desseins.

Leurs troupes s'étant rassemblées dans les premiers jours de ce mois, ils firent avancer le 5 un détachement considérable sur Leuze, d'où le Marquis du Chaila, Lieutenant-Général, qui occupoit ce poste avec 16 escadrons, se retira, sans être inquiété, à la faveur d'une brigade d'infanterie que le Maréchal Comte de Saxe envoya à 1a tête des bois de Barri, afin de soutenir ce Lieutenant-Général dans sa retraite. Le 7, l'armée des alliés partit de Cambron ; elle alla camper le même jour sur le bord du ruisseau de la Catoire, et ayant marché le lendemain par sa gauche, elle se porta sur Briffeuil.

Le Maréchal Comte de Saxe, informé de ces mouvemens, par lesquels on pouvoit juger du projet des ennemis, en rendit compte au Roi par un courier, qui joignit Sa Majesté à Douai, où elle étoit arrivée le 7 au soir, dans la résolution d'y demeurer jusqu'au lendemain après-midi. La lettre du Maréchal Comte de Saxe détermina le Roi à en partir le 8 dès cinq heures du matin, et Sa Majesté arriva à neuf heures au château de Chin, où son quartier devant Tournai avoit été marqué. Le Maréchal Comte de Saxe s'y étant trouvé à l'arrivée du Roi, expliqua à Sa Majesté la position des troupes des alliés, et les dispositions qu'il avoit faites. Ces dispositions furent approuvées par le Roi, qui donna ordre que la plus grande partie de la cavalerie allât camper de l'autre côté de l'Escaut, où l'on avoit envoyé la veille l'artillerie de campagne.

Le 9, sur l'avis que l'armée ennemie marchoit du côté de Vezon, Sa Majesté fit passer à la droite de l'Escaut les troupes qui étoient à la gauche de cette rivière, et celles, qui étoient à la droite, s'avancèrent dans la plaine d'Antoin, où le reste de l'armée se rendit le lendemain.

Le Roi laissa pour conti nuer le siège  de Tournai, et pour veiller en même temps à la garde des retranchements de la tête des ponts du Haut et Bas-Escaut, 27 bataillons, qui étoient les deux du régiment d'Orléans, deux de Wittemer, deux de la Cour-au-Chantre, deux de Chartres, deux de Lowendal , deux de Royal Ecossois, quatre bataillons de grenadiers Royaux , neuf de milices, et deux du régiment Royal Artillerie. 17 escadrons furent aussi laissés par Sa Majesté devant la place, des 4 du régiment de Rohan, des 4 de celui de Saint-Jal, et des 5 du régiment de dragons de Séptimanie. Le Roi donna le commandeiment de ces troupes et la conduite des opérations du siège au Marquis de Brézé, Lieutenant-Général , qui avoit avec lui le Marquis de Contade, le Marquis d'Armentières, le Comte et le Duc de Fitz-James , Maréchaux-de-camp.

Le Maréchal Comte de Saxe, avant l'arrivée du Roi, avoit reconnu le terrain le plus propre à servir de champ de bataille, si les alliés attaquoient l'armée de Sa. Majesté, et il n'avoit négligé aucune des précautions qui peuvent dépendre d'un Général habile. Il avoit fait retrancher le village de Fontenoi, et construire à la droite et à la gauche de la pointe des bois de Barri deux redoutes, qu'on avoit garnies, ainsi que Fontenoi, de plusieurs batteries de canon. On en avoit placé d'autres en avant du poste d'Antoin , et ce qui restoit d'artillerie fut distribué en divers endroits sur le front de la ligne.

Le 9 après-midi , le Roi, accompagné de Monseigneur le Dauphin, se rendit sur le terrain choisi par le Maréchal Comte de Saxe pour y attendre les ennemis, et Sa Majesté l'examina avec une extrême attention. Toutes les troupes, lorsque le Roi parut, firent éclater par des acclamations continuelles, dont Sa Majesté fut infiniment touchée, leur amour pour elle, leur zèle pour sa gloire, et le desir qu'elles avoient d'y contribuer par les plus grands efforts.

Le Roi, après avoir vu toute l'armée, s'avança jusqu'aux gardes les plus avancées, pour mieux observer la position des ennemis, laquelle parut conforme aux avis qu'on en avoit reçus le matin, et Sa Majesté, ayant jugé que les alliés n'entreprendroient rien ce jour-là, revint sur les 9 heures du soir à Calonne, village situé près le pont établi sur le haut-Escaut, où elle avoit transporté son quartier, afin d'être plus près de son armée.

Le 10 au matin, les ennemis ne firent aucun mouvement, et ce ne fut que vers les 2 heures après-midi qu'on découvrit le long du ruisseau de Bourgeon une colonne d'infanterie Hollandaise , soutenue d'une de cavalerie. Le Roi, qui se porta avec Monseigneur le Dauphin et le Maréchal Comte de Saxe à la tête du camp, voyant le mouvement de ces deux colonnes, et le signal donné par les troupes qu'on avoit envoyées en avant, avec ordre mettre le feu à un village au-dessus de celui de Fontenoi, dès que les ennemis se disposeroient à s'avancer dans la plaine, Sa Majesté crut qu'ils vouloient engager le combat. Aussitôt elle fit prendre les armes à toutes ses troupes, et les rangea en bataille, mais les deux colonnes d'infanterie et de cavalerie, qu'on avoir découvertes dans la plaine, étant restées dans la même position, et les ennemis pendant tout l'après-midi s'étant uniquement occupés du soin de cacher par leurs diff érens mouvements l'endroit par lequel ils projettoient d'attaquer l'armée du Roi , on fut assuré bien avant la nuit, qu'ils ne marcheroient point ce jour‑là. Par cette raison, le Roi se contenta de visiter, comme il avoit fait la veille, tous les postes du camp, et après être convenu avec le Maréchal Comte de Saxe de la disposition, dans laquelle l'armée seroit placée pour la bataille, Sa Majesté retourna le soir à Calonne.

Les troupes du Roi demeurèrent toute la nuit sur le champ de bataille dans leurs tentes, et le Maréchal Comte de Saxe la passa dans son carosse à la tête de l'armée. Le Duc d'Harcourt, le Comte de Clermont Tonnerre, le Comte d'Eu, le sieur de Lutteaux, le Marquis de Clermont-Gallerande, le Marquis du Chayla, le Duc de Grammont, le Comte de Bavière, le Comte de Dannois, le Comte de Lowendal, le Comte de Béranger, le Comte de Chabannes, le Prince de Poins, le Comte d'Etrées, le Comte de Thomond, le Chevalier d'Apcher, le Comte de Langeron, le Marquis de Croissi, et le Duc de Penthièvre, Lieutenants-Généraux, distribués le long des différentes lignes, ne quittèrent point leur division. Les Maréchaux-de-Camp, les Briadiers et les autres officiers, restèrent à leur poste.

Le Maréchal Comte de Saxe ayant reconnu le 11 à la pointe du jour que les alliés étoient prêts à attaquer, ce Général ajouta aux dispositions qu'il avoit faites les deux jours précédens, toutes celles qui pouvoient assurer le succès de l'action.

Par la disposition de l'armée, la défense du poste d'Antoin, qui étoit à la droite de la ligne, fut confiée à la brigade de Piémont. La brigade de Crillon fut placée prés du poste d'Antoin, auquel sa droite é toit appuyée, et elle s'étendoit le long d'un ravin. A la gauche de cette brigade, étoient les trois régimens de dragons, Mestre-de-Camp‑Général, Royal, et de Bauffremont. Le reste du terrain depuis le poste d'Antoin jusqu'à celui de Fontenoi étoit occupé par la brigade de Bettens. Rien ne séparant ces troupes de la plaine dans laquelle étoient les Hollandais, le Maréchal Comte de Saxe avoit fait élever pendant la nuit, et le matin du jour de la bataille , des redoutes qui couvroient ces brigades d'infanterie et de cavalerie, et dans lesquelles on établit des batteries, dont le feu incommoda beaucoup les ennemis pendant l'action. La brigade de Bettens, qui s'étendoit par sa gauche jusqu'auprès du village de Fontenoi, se joignoit par un angle obtus à la brigade du Roi, laquelle formoit la droite de la ligne du centre, et étoit un peu en arrière du poste de Fontenoi qu'elle soutenoit.

Cette ligne étoit continuée à la gauche de la brigade du Roi, par la brigade d'Aubeterre, par les 4 premiers bataillons du régiment des gardes Françaises, et par les deux premiers de celui des gardes Suisses. Les cinquième et sixième bataillons du régiment des gardes Françaises, et le troisième du régiment des gardes Suisses, étoient employés à garder les retranchemens du pont établi sur le haut-Escaut. La brigade des Irlandais, placée vis-à-vis des bois de Barri, et s'étendant au-delà de la hauteur de la seconde redoute élevée à la gauche de ces bois, avoit sa droite appuyée aux deux bataillons du régiment des gardes Suisses. Une partie de la plaine depuis la gauche des Irlandais jusqu'au village de Ramecroix étoit occupée par la brigade des Vaisseaux. Le bataillon d'Angoumois, un peu en arrière de cette dernière brigade, étoit dans le château de Bourquenbray, et le régiment royal Corse dans celui d'Elmont. Les brigades de Normandie et de Royal occupoient le village, le château et les retranchemens de Rumignies. Le Comte de Lowendal, Lieutenant-Général, étoit avec la brigade d'Auvergne, les 3 bataillons du régiment de Touraine, et 13 escadrons de cavalerie et de dragons, entre le village de Rumignies et le Mont de Trinité, sur lequel on avoit mis le régiment de hussards de Beausobre , qui étoit soutenu par un détachement d'infanterie de 4 cens hommes, posté dans le château de Rougefort. La brigade de la Couronne étoit en seconde ligne derrière la brigade des Irlandais.

On avoit formé derrière la ligne de l'infanterie du centre deux lignes de cavalerie. La première étoit composée des régimens Colonel-général, de Brancas, de Clermont-Prince, de Fitz-James, des Cravates, et de Fiennes, auxquels on joignit ensuite la brigade de Royal-Roussillon, qui se mit à la gauche de cette ligne pour être à portée de soutenir également les deux bataillons des gardes Suisses et la brigade des Irlandais. Cette ligne avoit sa droite à 50 pas de la briade de Bettens, et sa gauche à la hauteur de la redoute construite à la droite des bois de Barri. La seconde ligne de cavalerie, formée par les régimens de Royal-Etranger, de Chabrillant, de Brionne, de Pons, de Berry et de Noailles, appuyoit sa droite à la brigade de Crillon, et sa gauche à Notre-Dame‑aux--Bois. Le régiment royal des Carabiniers avoit été placé en réserve entre la justice de Leuze et deux fours à chaux sur lesquels on avoit établi deux batteries.

La Maison du Roi étoit derrière les Carabiniers entre Notre-Dame-aux-Bois et Vaux, et 4 escadrons de la Gendarmerie, qui n'avoient pu joindre l'armée que le matin, fermoient la gauche de la Maison du Roi. Le régiment Dauphin avoit été chargé de défendre le village et les retranchemens de Fontenoi, et l'on avoit mis dans chacune des deux redoutes des bois de Barri un bataillon du régiment d'Eu. Les hussards de Linden avoient été partagés en plusieurs détachemens autour de Tournai, afin d'examiner ce qui en sortiroit. On avoit envoyé le régiment de Grassin en avant pour observer les mouvemens des ennemis.

Telles étoient les dispositions par lesquelles on s'étoit préparé à soutenir l'attaque des alliés, lorsqu'à cinq heures du matin le Roi, accompagné de Monseigneur le Dauphin, de ses principaux Officiers, du Marquis de Choiseul-Meuze, des Ducs de Luxembourg, de Boufflers, d'Aumont et d'Ayen, du Prince de Soubise, du Duc de Chaulnes et du Prince de Tingri, Aides-de-Camp de Sa Majesté, et du Comte d'Argenson, Ministre et Secrétaire-d'Etat, avant le département de la guerre, arriva sur le champ de bataille. Le Maréchal de Noailles accompagna aussi le Roi, et se porta pendant l'action aux endroits où le bien service le demandoit.

Vers les 6 heures, les deux armées commencèrent à se canonner , et le feu de l'artillerie dura pendant plus de trois heures avec une vivacité toujours égale. On découvrit peu de temps après les ennemis sur deux lignes. Les troupes Anglaises, celles de la Reine de Hongrie, et celles de Hanover avoient leur droite appuyée aux bois de Barri, et leur gauche s'étendoit jusqu'à la hauteur du village de Fontenoi. La droite des troupes Hollandaises, qui avoient leur gauche au village de Pierrone, joignoit la ligne formée par ces premières troupes. La cavalerie Hollandaise s'avança sur le haut de la plaine d'Antoin, et un détachement d'infanterie y occupa un chemin creux vis-à-vis des troupes Françaises, postées entre Antoin et Fontenoi.

Les ennemis, à la faveur de leurs batteries, composées d'environ cinquante pièces de canon qu'ils avoient placées sur une hauteur, se mirent en ordre de bataille. Leur position fit connoître qu'ils avoient dessein de tenter en même-temps l'attaque du poste de Fontenoi et celle de la redoute de la droite des bois de Barri, et de tâcher de pénétrer par le centre, ce qui détermina le Maréchal Comte de Saxe à profiter du moment pour changer quelques-unes de ses premières dispositions. Il envoya ordre à la brigade de Royal de sortir de Rumignies pour remplacer celle de la Couronne, qui marchant par sa droite, alla d'abord former une seconde ligne d'infanterie derrière la brigade des Gardes. Ayant ensuite remarqué que les alliés portoient leurs plus grandes forces contre la ligne du centre, il fit avancer les trois bataillons du régiment des Vaisseaux. Il ne laissa que le bataillon de Trainel pour garder la chaussée de Leuze, et il tira la brigade de Normandie de Rumignies, où les troupes restées aux ordres du Comte de Lowendal prirent la place de cette brigade. Par ce nouveau mouvement, la brigade de la Couronne se mit en seconde ligne derrière celle du Roi, celle de Royal en servit à celle des gardes, et les régimens de Normandie et des `Vaisseaux à celle des Irlandais. En même-temps on rapprocha de l'infanterie 8 escadrons de la première ligne de cavalerie.

Pendant que ces mouvemens s'exécutèrent, les ennemis marchèrent très-lentement, et dans le plus grand ordre. Des trois colonnes, dans lesquelles ils avoient partagé leur infanterie, celle de la droite parut diriger sa marche sur la redoute de la droite des bois de Barri, celle du centre sur Fontenoi, et celle de la gauche sur Antoin. Les Hollandais, qui composoient la troisième colonne, ne s'avancèrent pas jusqu'à Antoin, parce que le canon, qui étoit dans ce poste et dans les redoutes qui couvroient les brigades de Crillon et de Bettens et les dragons, leur causa une très-grande perte.

Cette dernière colonne s'étant rapprochée de celle du centre, les ennemis marchèrent sur Fontenoi, et ils tentèrent plusieurs fois de s'en rendre maîtres, sans que leurs attaques, dont deux furent très-vives, eussent aucun succès. La colonne de la droite ne réussit pas davantage dans le projet de s'emparer de la première redoute des bois de Barri.

Ce fut pour lors que les ennemis, reconnoissant l'impossibilité d'enlever cette redoute et le poste de Fontenoi, réunirent toutes leurs troupes, pour tenter de pénétrer entre ces deux postes. Ils rapprochèrent de leur centre la colonne qui émit à leur droite, et ils rangèrent leur infanterie sur deux lignes très-épaisses, soutenues d'une troisième en réserve. Dans cet ordre, ils attaquèrent les troupes du Roi, placées entre Fontenoi et la redoute. Le feu continuel de la mousqueterie des deux lignes d'infanterie des alliés, et la supériorité de leur nombre sur les troupes Françaises qu'ils attaquoient , forcèrent ces dernières de plier, et donnèrent aux ennemis le moyen de s'avancer jusqu'à 300 pas au-delà de Fontenoi, sans que les brigades de cavalerie, qui soutenoient l'infanterie, pussent les en empêcher.

Malgré cet avantage, ils s'apperçurent du danger de leur position, qui exposoit les flancs de leurs lignes au feu du canon et de la mousqueterie. Afin de se mettre couvert de l'un et de l'autre, ils songèrent à pénétrer plus avant, et à embrasser en même-temps Fontenoi et la redoute. Ils fermèrent pour cet effet par un bataillon, soutenu d'un second, le vuide qui se trouvoit entre les deux lignes de leur infanterie , et ils formèrent une colonne, dont le front étoit de 3 bataillons, et dont les flancs étoient fort longs. Par cette disposition, ils conservèrent pendant quelque temps, non-obstant les efforts des troupes qui les chargèrent successivement, le terrain qu'ils avoient gagné.

Dans cette circonstance, qui pouvoit décider du succès de la bataille et en procurer l'avantage aux ennemis, le Roi qui, pendant toute l'action, avoit donné des preuves de son intrépidité, fit paroître une grandeur d'ame et une fermeté dignes d'admiration. Sa Majesté, trouvant dans ces deux qualités des ressources égales à celles qu'elle attendoit de la valeur de ses troupes, s'appliqua à faire cesser le désordre jetté dans une partie de l'armée par le feu prodigieux de l'infanterie ennemie, et de concert avec le Maréchal Comte de Saxe elle donna des ordres, à l'exécution desquels on doit attribuer le gain de la bataille.

On fit avancer la Maison du Roi, les Carabiniers, deux bataillons des gardes Françaises, ceux des gardes Suisses, la brigade des Irlandais, le régiment de Normandie et celui des Vaisseaux. Les ennemis furent attaqués de front par la Maison du Roi et par les Carabiniers, pendant que les gardes Françaises et Suisses, les Irlandais et les régimens de Normandie et des Vaisseaux les prirent par le flanc droit. Les brigades de Royal, de la Couronne, du Roi, et d'Aubeterre, qui avoient empêché pendant toute l'action les ennemis de tourner le poste de Fontenoi chargerent en même temps, avec quelques escadrons de cavalerie, le flanc gauche de la colonne d'infanterie des alliés, contre laquelle on fit avancer quatre pièces de canon.

Ces trois attaques furent exécutées avec un concert si parfait, et les troupes s'y porterent avec une telle ardeur, que les ennemis, déja intimidés par l'approche de ces troupes, commencerent à s'ébranler, et furent entièrement renversés. La Maison du Roi et les Carabiniers pénetrèrent dans la colonne par le front et firent un grand carnage. Les gardes Françaises et Suisses, les Irlandais et les régimens qui les suivoient, y entrerent de leur côté la bayonnette au bout du fusil, ainsi que les troupes qui avoient eu ordre d'attaquer le flanc gauche des ennemis.

La colonne d'infanterie, formée par les alliés, étant ainsi enfoncée par le front et par les flancs, ne put résister plus longtemps aux efforts des troupes du Roi, et ayant abandonné le champ de bataille après avoir perdu beaucoup de monde, elle entraîna, par la précipitation avec laquelle elle se retira, une ligne d'infanterie qui venoit à son secours avec de la cavalerie que les Généraux ennemis avoient laissée en arrière pendant la bataille. Les troupes Hollandaises, lesquelles depuis le peu de succès des deux attaques du poste de Fontenoi n'avoient fait que très-peu de mouvemens, gagnèrent avec le reste de l'armée des alliés les bois et les défilés de Vezon.

Ainsi la déroute de la colonne d'infanterie des ennemis, composée d'environ 15,000 hommes qui ont combattu avec beaucoup de courage, décida de la bataille, et assura au Roi une victoire d'autant plus glorieuse qu'elle avoit été long-temps disputée, et que, suivant, le rapport des prisonniers, l'armée des allés étoit fort supérieure en infanterie à celle de Sa Majesté.

Les premiers momens qui ont suivi cette victoire, furent employés par le Roi à remettre ses troupes en ordre sur le champ de bataille, où Sa Majesté témoigna au Maréchal Comte de Saxe par les preuves les plus flatteuses qu'elle pouvoit lui donner, combien elle étoit satisfaite des différentes dispositions faites par ce Général avant et pendant l'action, au succès de laquelle il avoit tant de part. Les Officiers-Généraux, les Commandans des Corps et les Officiers, reçurent aussi, de même que les troupes, des marques de la bonté et de la justice du Roi, et ils eurent lieu de juger par les discours de Sa Majesté, qu'elle leur savoit beaucoup de gré du zèle et de la capacité avec lesquels ils s'étoient efforcés de soutenir dans cette occasion la gloire de ses armes.

Il ne parut pas possible de faire marcher à la poursuite des ennemis l'armée qui étoit très-fatiguée. D'ailleurs, il auroit fallu les suivre par un pays coupé, dans lequel la cavalerie n'auroit eu aucun avantage. Le Roi par ces raisons prit le parti de faire demeurer ses troupes sur le champ de bataille, et Sa Majesté ayant recommandé qu'on prit soin des blessés de son armée et de celle des alliés, retourna le soir à son quartier de Calonne. Monseigneur le Dauphin, qui n'a pas quitté un moment Sa Majesté pendant toute action, a marqué à tout moment une noble ardeur qu'il a fallu retenir, et il a justifié l'opinion qu'on a de lui.

Du côté des alliés, il y a eu dans cette bataille environ 15,000 hommes tués, blessés ou faits prisonniers, et l'on assure même qu'il leur en manquoit davantage, lorsqu'on fit l'appel dans le camp qu'ils occupèrent le soir de l'action. Le sieur Ponsomby, Major-Général de l'infanterie des troupes Anglaises le sieur de Salis, brigadier dans celles des  Etats-Généraux, le Baron de Boëtzelaer, Lieutenant-Colonel du régiment des gardes Hollandaises, le Colonel R yssel , les Majors Van Collen et Anderley, des troupes de la même nation, ont été tués, ainsi que le Lord Berry, fils du Comte. d'Albemarle, et qui étoit Capitaine dans un des régimens des gardes de Sa Majesté Britannique. On compte parmi les blessés des troupes Anglaises, le Comte d'Albemarle et le Comte de Crawfort , qui l'est dangereusement. Le Comte d'Efferen, brigadier au service de la république de Hollande, a été aussi blessé. Le Lord Campbell, Lieutenant-Général des armées du Roi de la Grande-Bretagne, et qui a eu une jambe emportée d'un boulet de canon, le Baron de Lynden de Blitterswyck, Colonel d'un régiment de cavalerie des troupes de Hollande, et le Baron de Colben, Adjudant du Feld-Maréchal de Konigseg, sont morts de leurs blessures, le premier dans un village près de Leuze, et les deux autres à Ath. Les ennemis ont perdu quarante pièces de canon, en comptant celles qu'on leur a prises le lendemain de l'action, lorsque le Comte d'Etrées fut envoyé à leur poursuite, sur l'avis qu'on avoit eu qu'ils étoient décampés de Vezon le 11 à onze heures du soir, pour se retirer du côté d'Ath. On leur a enlevé 150 chariots chargés de toutes sortes de munitions, particulièrement pour le service de l'artillerie.

Cette victoire coute au Roi près de 4000 hommes tués ou blessés. Les principaux Officiers que le Roi a perdu en cette occasion, sont le Duc de Grammont, Lieutenant-Général des armées de Sa Majesté, et Colonel du régiment des gardes Françaises ; le sieur du Brocard, Maréchal-de-Camp, et commandant l'artillerie ; le Chevalier de Dillon, Colonel d'un régiment Irlandais ; le Marquis de Clisson, Capitaine dans le régiment des gardes Françaises ; le sieur Escher, Lieutenant de Grenadiers du régiment des gardes Suisses, et ayant le brevet de Colonel ; le Chevalier de Suzy , Aide-Major de la première compagnie des gardes du Corps ; le Chevalier de Chevrier, Guidon de Gendarmerie ; le sieur de Marclesi, Lieutenant‑Colonel du régiment de Courten, et le sieur Oneille, Lieutenant-Colonel du régiment de Clare, qui ont été tuiés dans la bataille.

Le Chevalier de Saumery, Maréchal-de-Camp, Lieutenant de la première compagnie des Gardes-du-Corps ; le Marquis de Langey, Brigadier, Capitaine de Grenadiers dans le régiment des gardes Françaises , le Marquis de Craon, ,Colonel du régiment de Hainault, et le sieur de Longaunai, Aide-Major-Général de l'armée, sont morts des blessures qu'ils avoient reçues. Parmi les autres Officiers qui ont été blessés, les principaux sont le sieur de Lutteaux et le Chevalier d'Apcher, Lieutenans-Généraux ; le sieur de Gault, Maréchal-de-Camp, Lieutenant de la comagnie des Grenadiers de la Maison du Roi ; le sieur Descajeuls, Maréchal-de-Camp, Lieutenant de la première compagnie des Gardes‑du-Corps ; le Duc d'Havré, Brigadier, Colonel du régiment de la Couronne ; le sieur de Refuveille, Brigadier, Capitaine de Grenadiers dans le régiment des gardes Françaises ; le sieur de la Serre, Brigadier, Lieutenant‑Colonel du régiment du Roi ; le baron de la Payre, Brigadier, Capitaine dans le régiment des Gardes-Françaises ; le sieur de Villars, Capitaine dans le même régiment ; le sieur de la Peyrouse, Brigadier, Capitaine dans le régiment de cavalerie de Berri ; le Marquis de Crenay, Brigadier, Mestre-de-Camp Lieutenant du régiment de cavalerie de Penthièvre ; le Chevalier d'Ailly, Brigadier, Lieutenant-Colonel du régiment Royal-Roussillon ; le Marquis du Guesclin , Sous-Lieutenant d'une des compagnies de la Gendarmerie ; le Chevalier de Monaco, Guidon de Gendarmerie ; le Chevalier de Champignelles, le sieur de Magnière et le sieur Hébert, exempts des Gardes-du-Corps ; le sieur de Bonnaire, Sous-Lieutenant de la compagnie des Grenadiers de la Maison du Roi; le Marquis de Puysegur, le Chevalier de Saint-Sauveur, le sieur de Saint-Georges et le Chevalier de Mezières, employés dans l'Etat-Major de l'armée ; le Marquis de Guéry, commandant une des brigades du régiment Royal des Carabiniers ; le Sieur de Pujol, Lieutenant‑Colonel d'une des brigades du même régiment ; les sieurs de Rigal, Lieutenant-CoIonel du régiment de la Couronne ; du Rousset, Lieutenant-Colonel de celui de Beauvoisis ; de Bombelles, Lieutenant-Colonel de celui de Hainaut ; de Mannery, Lieutenant‑Colonel de celui de Dillon ; Deguerty, Lieutenant-Colonel de celui de Lally ; du Breuil, Lieutenant-Colonel du régiment Royal des Vaisseaux, et le Chevalier d'Ollières, Lieutenant-Colonel du régiment Colonel-Général de la cavalerie.

Le 15, le Roi , accompagné de Monseigneur le Dauphin et de toute sa Cour, assista au Te Deum, qui fut chanté dans sa chapelle, pour rendre à Dieu des actions de graces de la victoire que Sa Majesté a remportée sur les alliés. Le soir, toutes les troupes de l'armée, s'étant rangées en bataille à la tête de leurs différens camps, firent en réjouissance de cette victoire une triple décharge de mousqueterie précédée de celle de l'artillerie.

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