Source : Grimoard - Lettres et mémoires choisi parmi les papiers originaux du Maréchal de Saxe - p.165
L'ennemi étant arrivé à Leuze, M. le Maréchal de Saxe ne douta plus qu'il ne vint pour l'attaquer : en conséquence, les équipages des Officiers-Généraux et ceux des troupes, qui étoient à la rive droite de l'Escaut, eurent ordre de repasser cette rivière.
Le mauvais temps qu'il fit le 9, empêcha sans doute l'ennemi de marcher ; mais le 10 au matin, il fit un mouvement par sa gauche et se porta sur Waine. Ce voisinage détermina M. le Maréchal à faire aller chaque troupe dans le poste qui lui étoit destiné pour le combat : il y avoit peu de cavalerie en deçà ; elle avoit passé quasi toute dès la veille, et étoit campée en partie sur son terrein, la droite vers Antoin et la gauche au chemin de Mons, près Notre-Dame-aux-Bois.
Du bois de Barri à l'Escaut, il y a une plaine presqu'ovale, qui peut avoir une demi-lieue de largeur, sur trois quarts de lieue de profondeur : cette plaine, qui a été le champ de bataille, étoit bornée, relativement à nous la droite par l'Escaut, sur notre front, par le ruisseau de Vezon et le bois de Barri : nous avions sur nos derrières le bois de Bon-Secours, où l'on avoit fait des ouvertures ; notre gauche donnoit dans une trouée entre ce bois et celui de Barri. Nos points d'appui dans l'espèce d'équerre qu'a formé notre armée, ont été Antoin à la droite, Fontenoi dans le centre, et à la gauche deux redoutes qu'on avait élevées ; l'une à l'extrémité et sur le flanc droit du bois de Barri, l'autre à trois cent pas de la première, sur le front du bois. Quant à la disposition de l'ennemi, il l'a faite conséquemment à la notre, sa droite au bois de Barri, sa gauche en équerre, tirant sur Antoin.
L'ennemi pouvoit déboucher sur notre investissement par trois points, par le chemin de Mons, par celui de Leuze, et par celui d'Ath ; mais il étoit assez difficile qu'il pût se porter sur nous par les trois à-la-fois, parce qu'en ce cas, il eût exposé sa gauche trop éloignée de son centre et de sa droite : aussi s'est-il réduit à venir nous attaquer par le seul chemin de Mons. Dans les mouvemens que l'ennemi avoit fait d'abord, l'on avoit pu juger de ses desseins, et il avoit fallu faire une disposition qui nous mit à couvert, sur toute la demi-circonférence de notre circonvallation ; mais dès qu'il s'approcha de Vezon, M. le Maréchal vit tout-d'un-coup quel étoit son projet, et voici comment il fit son arrangement pour le recevoir.
La brigade de Piémont fut placée dans Antoin, avec ordre de s'y accommoder ; celle de Crillon jetta deux bataillons dans le même Antoin ; les deux autres de cette brigade y appuyèrent leur droite, se prolongeant par leur gauche, le long et jusqu'à la tête d'un ravin, d'où les dragons du Mestre-de-Camp, de Royal et de Bauffremont continuoient jusqu'à la brigade de Bettens, qui appuyoit à celle du Roi, infanterie : cette brigade-ci avoit sur son front le village de Fontenoi défendu par la brigade de Dauphin, qui y étant depuis deux jours l'avoit mis en état de défense. Après la brigade du Roi, étoit celle d'Aubeterre, et ensuite celle des gardes, dont la gauche se portoit à la redoute de la droite ; la brigade Irlandaise étoit le long d'un abattis d'arbres qu'on avoit fait d'une redoute à l'autre, sur le front du bois de Barri ; ces deux redoutes étoient gardées par une batterie de canons : il y avoit aussi une batterie sur le front d'Aubeterre ; deux sur les flancs du village de Fontenoi ; une sixième sur le front de Bettens ; une septième devant Crillon ; une huitième devant le village d'Antoin, au débouché du chemin de Condé, et une neuvième hors de ligne sur la chaussée de Leuze. Le reste de l'artillerie fut disposé entre les deux lignes pour être porté, ainsi qu'on l'a fait dans le fort du combat, là où le besoin le requerroit. L'on plaça aussi de l'autre côté de l'Escaut, vis-à- vis Antoin, six pièces de canon de douze.
Comme la droite de la brigade du Roi et la gauche de celle de Bettens formoient une espèce d'angle obtus, l'on avoit pour la protection de ce flanc construit trois redoutes depuis Fontenoi jusqu'aux dragons. Les brigades d'infanterie de Royal et de la Couronne étoient en réserve derrière les brigades du Roi et d'Aubeterre ; l'on porta aussi un peu avant l'action, à la gauche de cette réserve, 8 escadrons qu'on tira de la première ligne de cavalerie, et qui prolongèrent la ligne de la réserve jusqu'à la hauteur de la brigade des gardes.
Cinquante-deux escadrons de cavalerie étoient sur deux lignes, en troisième et quatrième ligne, la droite tirant sur les dragons, la gauche appuyée au chemin de Mons, vers Notre Dame-aux-Bois.
Le régiment des Vaisseaux étoit d'abord destiné pour la chaussée de Leuze, mais on le fit avancer derrière les Irlandais : l'on porta aussi à la gauche des Vaisseaux la brigade de Normandie, qui était restée à Rumignies aux ordres de M. de Bérenger.
Le régiment Royal-Corse, qui étoit d'abord vers Rumignies, suivit aussi Normandie ; il fut placé sur le front du bois de Barri, pour masquer un débouché attenant la redoute de la gauche.
Les régimens de Traînel et d'Angoumois ont resté pendant toute la bataille, le premier, au débouché du bois sur la chaussée de Leuze, l'autre, dans une cense en arrière sur la même chaussée.
La Maison du Roi, quatre escadrons de la Gendarmerie qui sont arrivés ce jour-là, et les Carabiniers étoient en réserve entre l'Escaut et la chaussée de Leuze, mais on les fit marcher derrière les Irlandais et la brigade des Vaisseaux ; l'on fit pareillement venir du centre les brigades de cavalerie du Roi et de Royal-Roussillon.
Le corps de troupes, que commandoit M. de Lowendal, et qui devoit veiller depuis le bois de Breuze jusqu'au Bas-Escaut, ne marcha qu'à la fin du combat, et ne donna point.
Le régiment de Linden, hussards, a été mis par pelotons sur les derrières pour faire face la ville depuis le Haut-Escaut jusqu'au bois de Breuze ; le régiment de Beausobre s'est tenu vers le mont de Trinité ; nous avions outre cela des partis d'infanterie qui battoient le pays entre le chemin d'Ath et le Bas-Escaut.
L'on a jetté pendant la bataille dans les retranchemens des ponts du Haut-Escaut 3 bataillons des gardes et 3 bataillons de milices : l'on avoit aussi établi à tout événement quelques pièces de douze sur les hauteurs de Calonne.
Messieurs les Officiers-Généraux se sont tenus à leur division ; ceux qui étoient de jour se sont postés, M. de Lutteaux à Fontenoi, pour veiller sur la droite, M. de Coutades s'est chargé de la gauche, M. de la Marck a commandé dans Antoin.
Le 10 de mai, environ les deux heures après-midi, quelques escadrons de cavalerie Hollandaise se déployèrent dans la plaine, appuyant leur droite aux hayes de Vezon, et leur gauche au chemin de Condé à Antoin, à un recoude que forment des bois qui longent le ruisseau de Vezon. Ce corps de troupes se tint tout ce soir-là, dans cette situation ; l'on en avertit le Roi, qui vint se promener avec M. le Dauphin tout le long des lignes.
II paroissoit dès-lors du monde entre Vezon et le bois de Barri, mais comme il étoit toujours en mouvement, l'on. conjectura, avec raison, que c'étoient des travailleurs qui faisoient des ouvertures et des communications pour le passage de l'armée ennemie.
M. le Maréchal passa la nuit au bivouac entre les deux lignes : le point du jour fut accompagné d'un peu de brouillard ; dès qu'il fut dissipé, l'ennemi nous tira quatre coups de canon, qui furent sans doute le signal de son mouvement sur nous. Pour lui répondre, l'on fit pointer notre canon sur la cavalerie Hollandaise, qui étoit dans la même position que la veille ; ce canon l'obligea à se retirer un peu en arrière, mais en même-temps, elle démasqua sur sa droite une batterie de canons et d'obus, qui ont tiré durant toute la bataille, et qui nous ont tué quelques chevaux.
Comme il paroissoit des troupes sur notre gauche vers Vezon, M. le Maréchal ne douta plus que l'ennemi ne fût en pleine marche : en même-temps il ordonna à toutes les batteries, depuis Antoin jusqu'à la redoute de la droite, de faire feu sur tout ce qui voudroit déboucher. Il se porta lui-même tout le long dès lignes, et fut ensuite se placer près de la redoute de la droite, en attendant le commencement de l'action ; notre artillerie cependant, qui commença à tirer dès les 5 heures du matin , faisoit un feu terrible.
L'ennemi, qui s'avançoit sur nous, en souffrit tellement qu'il fit trois fois ses cris ordinaires, sans oser s'avancer ; ses Officiers même eurent beaucoup de peine à le retenir.
Pour en imposer au feu de nos batteries, les Anglais firent précéder leur colonne de plusieurs pièces de canon qui tirèrent d'abord sur la redoute où les troupes attenoient : et ce fut un de ces boulets qui cassa la cuisse à M. de Grammont, à la tête de la brigade des gardes.
Sur ces entrefaites, M. du Brocard étant arrivé, proposa à M. le Maréchal d'avancer une batterie sur le haut du régiment de Courten : cette batterie tua beaucoup de monde à l'ennemi qu'elle prenoit en flanc, mais elle attira un feu très-vif des batteries qui faisoient face à la redoute, et dont les ennemis changèrent la direction. M. du Brocard resta toujours à cette batterie du centre ; mais comme il lui faisoit faire un mouvement pour laisser la liberté de la manœuvre aux troupes que l'ennemi se disposoit d'attaquer, il fut tué d'un coup de canon.
M. le Maréchal voyant que les ennemis marchoient dans leur ordre de bataille, les Anglais à la droite et les Hollandais à la gauche, se porta à la tête des dragons pour observer les mouvemens de ces derniers, qui sembloient devoir commencer l'attaque : leur infanterie longeoit un chemin qui, venant de Bouchegnies et Bourgeon, porte sur Fontenoi ; elle étoit protégée par leur cavalerie qui marchoit dans la plaine, et qui s'y déploya dès que l'infanterie s'arrêta vis-à-vis Fontenoi à hauteur d'une maison brûlée qu'elle ne dépassa pas, parce que le feu du village non-seulement l'arrêta, mais même la contraignit de se rejetter sur sa gauche : une seconde colonne d'infanterie Hollandaise suivit le chemin de Condé à Antoin, à couvert d'un rideau qui longe quasi le ruisseau de Vezon ; mais dès qu'elle se fit voir, la batterie de Bettens et celle d'Antoin, ayant tiré dessus, cette colonne s'arrêta tout court pour ne plus se mouvoir ; ainsi notre canon ou le feu du flanc droit de Fontenoi tinrent d'abord cet ennemi en respect ; la contenance fière de la cavalerie, que commandoit M. le Comte d'Eu, acheva d'assurer notre tranquillité de ces côtés-là.
Les Grassins et nos gardes avancées s'étoient pour lors repliées du front de notre gauche; et déjà l'on voyoit marcher droit sur l'entre-deux de Fontenoi et de la redoute du coin du bois, trois grosses colonnes d'infanterie Anglaise et Hanovrienne qui s'étoient séparées et l'infanterie Hollandaise, au bas du village de Fontenoi, après l'avoir inutilement insulté. Leur cavalerie marchoit sur une quatrième colonne sur leur droite entre le chemin de Mons et le bois de Barri ; mais le feu de notre canon fit bientôt reculer cette cavalerie, qui n'a plus reparu qu'un instant avant la retraite : c'est à la tète de cette cavalerie que le général Campbel, qui la comandoit, a eu la cuisse emportée.
L'infanterie Anglaise et Hanovrienne se mit en bataille par un simple à gauche ; la droite quasi vis-à-vis la tête des gardes Françoises, et la gauche à la hauteur du village de Fontenoi, qu'elle vouloit absolument tâcher de tourner.
M. le Maréchal qui, à la manœuvre des Hollandais, avoit jugé qu'il n'y avoit pas beaucoup à craindre sur sa droite, se portoit sur sa gauche pour observer les mouvemens des Anglais, lorsqu'à peine arrivé entre les deux premières lignes en face de ces dernières, il essuya le feu de la mousqueterie ennemie, qui commença à tirer sur le village de Fontenoi, et continua tout le long du jour de la bataille jusqu'à leur droite : quelques-uns de nos bataillons, qui essuyèrent le feu, ne purent en soutenir la violence, et se retirèrent en arrière de la brigade de cavalerie qui étoit en réserve, et qui, de son côté, fut contrainte de marcher par sa gauche, pour se mettre à couvert, sous le feu de la redoute.
L'ennemi, se voyant plus libre sur son front, se forma pour lors en bataillon quarré à trois faces pleines, tant pour avancer dans le centre, que pour envelopper de droite et de gauche la redoute et le village de Fontenoi ; mais bien loin que ce mouvement lui réussit, son imprudence de déborder la hauteur de l'un et de l'autre le mit en danger ; car M. le Maréchal, qui s'apperçut de cette faute, ordonna sur-le-champ à quelques brigades, tant de cavalerie, que d'infanterie, de tourner l'ennemi par notre droite à la faveur du village de Fontenoi, pendant qu'il envoyoit ordre à d'autres troupes de l'envelopper par notre gauche, sous la protection de la redoute ; la droite exécuta ces ordres un peu trop promptement, de sorte que l'ennemi en sûreté du côté de notre gauche, qui ne s'étoit. pas encore ébranlée, tourna tout son feu sur la droite qui seule l'attaquoit : il fut si terrible qu'il jetta du désordre dans nos troupes ; l'ennemi n'en put pourtant pas profiter, parce que les brigades d'infanterie de la réserve le continrent sur notre droite, pendant que sur notre gauche le régiment des Vaisseaux et le feu de la redoute lui donnoient des inquiétudes qui l'empêchèrent d'avancer ; ce fut même pour faire face à ce double feu, qu'il se forma de nouveau en colonne ; il se passa encore près d'une heure où tout fut indécis : nos troupes faisant des mouvemens sans succès, mais l'ennemi aussi n'en étant pas plus avancé.
M. le Maréchal, ennuyé de ces incertitudes, rallia lui-même l'infanterie qui avoit d'abord plié, et qui revint à la charge de fort bonne grace. Il la joignit à la brigade Irlandaise, qui s'étoit déjà formée devant l'ennemi sous les ordres de Milord Clare ; il fit avancer aussi le régiment de Normandie et celui des Vaisseaux ; ce dernier avoit soutenu long-temps le feu de l'ennemi et s'étoit toujours rallié avec une valeur singulière. M. de Lowendal qui étoit venu de la gauche où il n'y avoit point d'ennemis, et M. de Bérenger, qui commandoit la brigade de Normandie, se joignirent à Milord Clare, et le tout se porta sur l'ennemi par son flanc droit, pendant que la Maison du Roi, la Gendarmerie et les Carabiniers, conduits par M. le Duc de Richelieu, fonçoient l'épée à la main, sur le centre, où les quatre pièces de canon, mises en réserve, et qu'on avoit pointé dessus, avoient déjà jetté l'épouvante. Dès que nos troupes de la droite vers Fontenoi virent celles de la gauche en mouvement, elles s'ébranlèrent aussi de leur côté, et dans un instant, l'ennemi fut enfoncé et culbuté, abandonnant le champ de bataille et une partie de son canon.
Nos troupes marchèrent sur les fuyards ; mais comme les Anglais avoient jetté de l'infanterie dans les hayes de Vezon, qu'ils avoient laissé un corps de cavalerie en de-çà du village, et que sur notre droite les Hollandais étoient toujours dans leur même position, M. le Maréchal contint l'ardeur des troupes, et se contenta d'envoyer, par les bois de Barri, un corps de Grassins qui, ayant pris en flanc la cavalerie ennemie chargée de l'arrière-garde, l'obligea de se retirer précipitamment.
M. le Maréchal envoya en même -temps porter au Roi l'agréable nouvelle du succès de ses armes. Dès le commencement de l'affaire, Sa Majesté s'étoit avancée sur le champ de bataille, et avoit elle-même rallié quelques fuyards. M, le Dauphin, qui l'accompagna toujours, lui demanda avec instance de charger à la tête de sa Maison, mais le Roi ne voulut pas exposer des jours aussi précieux.
M. le Maréchal ne jugea pas à propos de faire poursuivre ce soir-là les ennemis. Au point du jour il envoya à leurs trousses les Grassins qui trouvèrent çà et là une grande quantité de munitions de guerre et plusieurs pièces de canon ; ils prirent aussi, chemin faisant, le château de Briffeuil, où étoient tous les blessés des ennemis.
M. le Comte d'Etrées partit à 8 heures du matin avec un détachement pour aller à Leuze ; il ramassa aussi sur sa route nombre de prisonniers ; de sorte que nous en avons à présent plus de 3000, tant bien portans que blessés.
L'ennemi nous a abandonné 32 pièces de canon ; sa perte va de 12 à 14000 hommes ; la nôtre de 3 à 4000.
Il n'est pas douteux que les dispositions de M. le Maréchal, son intrépidité et son attention à se trouver par-tout, ont décidé de la victoire.
Les Irlandais qui ont pris un drapeau, la Maison du Roi, la Gendarmerie et les Carabiniers méritent des éloges particuliers. Les brigades du Roi, de Royal, de Dauphin, de la Couronne, le régiment d'Aubeterre et celui des Vaisseaux avec un bataillon d'Eu, se sont distingués dans cette action, qui a été des plus vives et des plus sanglantes.
Nos officiers de marque, qui ont été blessés sont MM. de Lutteaux, de Bavière, Chevalier d'Apcher, d'Anlezi, la Perouze, Duc d'Havré et Craon ; ce dernier est mort de ses blessures.
MM. de Grammont, du Brocard et Chevalier de Dillon ont été tués.
La retraite de l'ennemi sous Ath nous donne la facilité de continuer notre siège, qui sera sans doute bientôt fini, puisque nous sommes déja maîtres de la demi-lune et de l'ouvrage à corne.
Tournai a capitulé le 23 au soir.