Source : Grimoard - Lettres et mémoires choisi parmi les papiers originaux du Maréchal de Saxe - p.158
Rive gauche de l'Escaut.
Toute la partie de la rive gauche de l'Escaut paroit en sûreté par la position qu'on peut prendre entre I'Escaut et la Marque, la droite au château de Chin, le centre à Besieu, la gauche à Cheren.
Le ruisseau de Camphin couvre la droite de Chin jusqu'à Besieu ; il ne s'agiroit que de retrancher les villages de Chain, Blandin, Hertin, et Besieu, en occupant tous les châteaux qui sont sur le ruisseau, et dont la plupart sont très-Forts.
Un terrein marécageux couvre la gauche jusqu'à la Marque, près de Cheren. Il n'y a nulle apparence que les ennemis se portent dans cette partie, n'ayant aucun magasin sur l'Escaut, ni sur le canal de Bruges.
Rive droite de l'Escaut.
Il y a trois partis à prendre pour couvrir le siège de Tournai à la rive droite de l'Escaut.
1°. De prendre une position dont la gauche appuieroit au château de Flines, et la droite à Vaux, en occupant les hauteurs du mont de la Trinité.
2°. De marcher à l'ennemi, laissant seulement 30 bataillons et 20 escadrons pour le siège.
3°. De faire une ligne de circonvallation dont la gauche, appuyant au château de Constantin, passeroit un peu au-dessus du Saulsoy, de Varchian, et retomberoit à Vaux.
Chacun de ces trois partis mérite des attentions particulières.
PREMIER PARTI.
Un corps d'infanterie, placé sur le mont de la Trinité, et dans toute la partie fourrée, jusqu'à Varchim ; la cavalerie dans la plaine entre Varchim et Vaux, l'un et l'autre soutenus par l'armée qui pourroit s'y porter et s'y mettre en bataille, forme au premier coup-d'œil une position avantageuse, mais elle n'est pas sans beaucoup d'inconveniens.
1°. Elle tiendroit une étendue de près de 3 lieues, dont les communications seroient difficiles, particulièrement à la gauche, le terrein étant fourré et coupé de ruisseaux, notamment celui de Varchim, sur lequel l'ennemi peut former une inondation jusqu'au pied des bois de Breuse.
2°. Il faudroit au moins 100 bataillons, à raison de 100 pas par bataillon, pour occuper sans intervalle le terrein de la gauche.
3°. La cavalerie ne seroit pas en état de porter aucun secours à l'infanterie.
Rien n'empêchera à l'ennemi d'avancer à une lieue de notre position, d'où marchant pendant la nuit en colonne et donnant partout de la jalousie, il pourroit dérober ses mouvemens et attaquer avec une disposition formée la partie qu'il croira la plus folle ou la moins occupée ; que, s'il pénètre par la droite ou par la gauche, l'année n'est plus en état de se réformer pour un second combat ; mais s'il pénètre entre le mont de la Trinité et le ruisseau de Varchim, il la sépare, sans espérance de pouvoir se réunir.
En un mot, l'ennemi ne risque dans ce combat que la perte de Tournai : nous nous exposerions à de plus fâcheux événemens en la perdant, et le gain d'une bataille ne nous vaudroit que la prise de cette place, dont on peut s'assurer sans se commettre.
SECOND PARTI.
Que si l'on prend la résolution de marcher en avant sur l'ennemi, il faut considérer :
1°. La personne du Roi.
2°. Vos forces combinées avec celles de l'ennemi.
3°. Jusqu'où l'on peut aller en avant , et ce qu'opposeroit l'ennemi à vos mouvemens.
Tout est dit, quant à la considération de la personne du Roi.
Quant aux forces, on supposera que l'ennemi ne pourra rassembler qu'environ 55000 hommes, qu'ainsi on sera en état de lui opposer à-peu-près autant de troupes , en laissant 30 bataillons, et 20 escadrons pour continuer le siège.
A l'égard des mouvemens, on supposera encore que les ennemis, ayant tous leurs magasins à Mons et à Bruxelles, assembleront leur armée derrière la Dender.
A ce mouvement de l'ennemi, vous pourriez porter votre armée sur le ruisseau de Leuze, que vous laisseriez devant vous, et la gauche tirant sur Ligne, ou passer au-delà du ruisseau de Leuze et appuyer la gauche vers Ligne.
Il n'y a pas d'apparence que vous marchiez plus en avant, encore moins d'aller attaquer les. ennemis campés derrière la Dender, la droite à Lessine et la gauche à Ath.
Dans cette situation, les ennemis pourront passer la Dender, camper leur gauche à Lessine et la droite au bois de la Hamayde, ayant devant eux plusieurs ravins et ruisseaux pour les couvrir. Cette position, d'où ils pourroient partir la nuit, les porteroient sur le mont de la Trinité , qui ne seroit qu'à trois petites lieues de leur droite ; que, s'il arrivoit qu'ils forçassent ou surprissent ce mouvement, ils secoureroient Tournai, en s'avancant sur le ruisseau de Gaurin, qu'ils mettroient dans une position inattaquable, et qui sépareroit la grande armée de celle du siège. Cette comparaison de mouvemens, (sur laquelle cependant il faut s'informer du local du pays), fait penser qu'il seroit dangereux que l'armée d'observation s'éloignât si fort du siège, et qu'il conviendroit de reconnoître une position entre Leuze et Tournai, par laquelle on pût en fermer les approches à l'ennemi, et le combattre avec moins de désavantage.
Il parait difficile de trouver une position qui remplisse tous ces objets, le pays étant extrêmement difficile sur la gauche du chemin de Leuze, et l'on doit présumer que les ennemis ne marcheront pas en avant par la plaine, étant inférieurs de moitié en cavalerie, mais au moins égaux en infanterie.
Une armée d'observation peut se porter sur l'ennemi pour le combattre, et doit s'opposer à tous ses passages ; mais il est dangereux qu'une seule armée assiégeante marche au-devant de l'ennemi son objet est de prendre la place, et non de combattre, à moins d'un avantage certain, sans lequel il est plus prudent de se renfermer dans ses lignes, en les rendant les plus fortes qu'il se pourra.
Il ne paroît pas que dans la situation présente nous ayons aucun avantage décisif à marcher au-devant de l'ennemi.
Excepté la partie droite, qui conduit dans la plaine de Leuze, par où l'ennemi ne se présentera pas, toute la gauche, depuis le ruisseau de Gaurin jusqu'à celui de Beelers et au-dessus, est un pays fourré par lequel l'ennemi peut dérober ses mouvemens et arriver par Velaine , ou Melle , au mont de la Trinité : en vous prévenant d'autant qu'il est peu de chemins, qui conduisent de Leuze dans cette partie, et qu'il faudroit reprendre le grand tour pour venir gagner le mont de la Trinité par Varchim.
En un mot, il peut réussir , ou ne s'exposer à combattre qu'autant qu'il le voudra bien ; ce qui rendroit, par conséquent, notre mouvement dangereux, du moins inutile.
TROISIÈME PARTI.
Que, si l'on se détermine à rester dans ses lignes, il s'agira d'examiner quelle est la position qui conviendra le mieux.
Celle d'appuyer sa gauche au château de Flines près le bas Escaut ; d'occuper le mont de la Trinité, de se relier sur les bois de Breuse, où l'on feroit des abattis pour se rabattre par Varchim sur le village de Vaux.
Cette position paroit la plus avantageuse, parce qu'elle domine toujours devant soi ; mais il faut considérer que cet avantage est balancé par une étendue de 3 lieues, dont le travail seroit fort considérable, et la garde difficile, si l'on se réduit à appuyer sa gauche au château de Constantin, de pousser la ligne un peu au-dessus du Saulsoy et de Varchim pour la fermer par sa droite à Vaux ou à Brégerois, près de moitié de l'étendue de la circonvallation.
Il est vrai que, la gauche soumise au mont de la Trinité, pourroit souffrir de quelques coups de canon ; mais on ne garderoit les parties vues, que par des détachemens soutenus des corps campés dans les lieux couverts. Ce petit inconvénient ne mérite pas d'allonger une ligne de circonvallation de près de moitié.
Il résulte de toutes ces observations, qu'attendu les situations, il ne convient pas de donner rien au hasard ; et qu'il suffira d'assurer la prise de la place, qui est l'objet essentiel que l'on se propose de remplir, en retranchant parfaitement la circonvallation de la rive de l'Escaut, et la conduisant par le chemin le plus court, afin qu'elle exige moins de troupes pour la garder.
Cette précaution nous mettroit en état de suivre l'ennemi avec un gros détachement de l'armée, pour s'opposer aux diversions qu'il pourroit entreprendre ; en tout cas ouvrez des débouchés dans vos lignes, vous serez par-là en état d'attendre l'ennemi ou de marcher à lui.
Il n'est pas hors de propos de prévoir que le siège de la citadelle, pouvant être difficile et très-long, on sera peut-être obligé, par les circonstances, de le tourner en blocus. Il conviendroit pour cela d'assurer un camp retranché, qui embrasseroit depuis Cerq jusqu'à la chaussée de Lille, en passant par Aire ; ce camp retranche deviendroit peut-être difficile ou trop long à faire, par la suite, et l'on abrégeroit d'autant le séjour devant Tournai, en le faisant faire actuellement par les pionniers ; ce qui mettroit en état de nous porter promptement à de nouvelles opérations.