Source :
J. Lemoine : " Sous Louis le Bien-Aimé.
Correspondance amoureuse et militaire d’un officier pendant la guerre de sept
ans (1757-1765) " - pages 83-86
Madame de *** à M. de Mopinot
Paris, 8 août 1757.
Il s’en faut de beaucoup que tout le monde soit content de la bataille ; on fait courir des copies de lettres particulières qui ne produisent pas l'effet qu'on s'en promettait. On a beau chanter les louanges du maréchal d'Estrées, personne n'approuve sa conduite ; on ne conçoit pas comment une armée si supérieure à celle des ennemis a été sur le point d'être coupée par un corps de huit mille hommes qui allaient, dit-on, s'emparer de notre camp, de nos bagages et nous couper les vivres et que ce mouvement ait forcé le maréchal à faire cesser le combat ; j'ai vu une lettre où était ce beau détail, on n'y a pas oublié les harangues avant et après le combat ; s'il a dit ce qu'on lui fait dire, il n'a assurément pas le talent de la parole ; comme dans ce pays on se presse pour tout, sur la première nouvelle de cette bataille qui était des plus complètes, que les ennemis étaient si bien battus qu'on ne les verrait plus, qu'elle leur coûtait quinze mille hommes, tandis que nous n'en avions perdu que cinq cents ; sur ces premières nouvelles, dis-je, on avait commencé un feu à la Grève qui devait être précédé d'un Te Deum et suivi de grandes illuminations, mais le détail qu'on a apporté au roi a tout gâté, il y a des ordres de suspendre ; pour pallier cette étourderie, on fait courir le bruit que c'est à cause. de la mort de la reine de Pologne, mère de la dauphine. La méprise de nos régiments qui a causé tant de dommage à celui de Picardie donne du chagrin à tout le monde ; on dit que le roi en est fort attristé.
On amuse le public avec deux projets d'accommodement pour le Parlement ; je ne les crois ni l'un ni l'autre, cependant les voici tous les deux.
1° Au retour de Compiègne, le roi tiendra un lit de justice dans lequel il donnera une déclaration pour interpréter celles qui ont fait tout le mal et cette interprétation est telle qu'en expliquant les autres, elle les anéantit ; alors le Parlement rentrera et jouira de tous les droits ; le public approuve cet arrangement et blâme hautement celui-ci.
2° II s'agit de supprimer entièrement le Parlement et le Grand Conseil et de créer un nouveau Parlement beaucoup moins nombreux, dont les membres seraient pris parmi les gens du Grand Conseil et parmi les démis du Parlement, c'est-à-dire que l'on choisira ceux qui dans les négociations ont fait connaître un penchant à la docilité ; le Grand Conseil ne subsistant plus, toutes les causes qui lui étaient attribués resteraient au Parlement.
Le supplice de Damiens n'a pas terminé son affaire, je sais à n'en point douter qu'elle a des suites ; mais il n'est pas possible de découvrir de quelle nature elles sont ; Un conseiller travaille nuit et jour à des recolement et confrontations, le tout avec un si grand secret qu'à peine sait-on dans le public que cette malheureuse affaire se renouvelle.
M. le duc d'Orléans gagne de jour en jour l'amitié du public ; madame d'Orléans de son côté est affable et populaire (1) ; le jour qu'elle reçut la nouvelle de la bataille elle se mit sur son balcon, lut sa lettre et causa avec tout le monde d'une manière a gagner tous les coeurs ; on fonde aussi de grandes espérances sur le comte de La Marche (2) ; le prince de Conti est enchanté de sa conduite : ces deux maisons sont aujourd'hui la plus grande espérance du peuple pour le soutien du trône, on ne dit mot du prince de Condé. J'apprends dans le moment que de nouveaux ordres ont fait recommencer les travaux du feu ; on dit que vous êtes dans Hanovre où vous demandez quatre millions de contribution.
Adieu, cher ami; je vous aime et vous embrasse de tout mon coeur.
Note 1 : Louis-Philippe d'Orléans, duc d'Orléans, né à Versailles le 12 mai 1725, avait épousé le 17 décembre 1743, Louise-Henriette de Bourbon-Conti.
Note 2 : Louis-François-Joseph de Bourbon-Conti, comte de La Marche, fils de Louis-François de Bourbon, prince de Conti, grand prieur de France.